
Mais, £ le pouvoir des arts fut fi grand dans la
Grèce , à quel degré d’eftime & d’honneur ne durent
point parvenir les artijîes , dont le pouvoir & le génie
créoient, en quelque forte, les Dieux de leurs pays ?
Faut-il s’étonner qu’on ait fouvenc donné le titre de
divin à des hommes, qui fembloienc effectivement communiquer
avec la divinité, & qui-, conduits dans leurs
ouvrages par un fentiment qui nous eft inconnu, avoient
élevé l’art fi fort au-dellus de la Nature, qu’ils l’avoient
rendu digne des Dieux. Ils avoient compris, que ces
repréfentations triviales de la nature vulgaire , telle
que la conçoivent lès Ecoles modernes, auroient
dégradé la majefté des Dieux. En les revérifiant de la
Nature humaine, ils fentirent qu’il falloir en embellir
les formes , & la rendre fi parfaite, que le peuple
crût y appercevoir des êtres d’un ordre & d’une nature
fupérieurs à la fienne. Platon nous dit que les art i fie s
n’avoient point donné aux figures divines les véritables
proportions qui fe remarquent dans, la Nature,
mais celles que leur imagination jugéoit les plus
belles. Quand Phidias , dit Cicéron, faifoit la ftatue
de Jupiter ou celle de Minerve , ce n’étoit point d’après
un modèle qu’il opéroit ; mais au fond de fon
âme exiftoit le type de la beauté qui lui fervoit de
règle , & qui dirigeoit fon art & la main. Nec vero_
ïlle artïftx ( Phidias ) cüm faceret J avis formata aut
Mïvervce, contemplabatur aliquem à quo jîmilitudinem
duceret , fed ipfius in mente infidebat fpecies eximia
quczdam, quam intuens , in eaque defixus , ad illius
Jîmilitudinem artem & manurn dirigebat , Cicero , de
Orator. 1. z.
• C ’eft à l’influence des arts fur la religion /
qu’eft due la perfection qu’ils obtinrent par la
recherche du beau idéal, & que les artijîes furent
redevables delà haute confédération dont ils jouiffoient.
Les caufes politiques n’y contribuèrent pas moins :
on en connoît trop le pouvoir fur les arts, pour qu’on
s’arrête à en faire fentir toute l’importance. Ecoutons
Winckelmann fur l’eftime qui accompagnoit les arts
& les artijîes dans la Grèce.
Leur fociété étoit recherchée par les plus grands
hommes & par les fbuverains mêmes. Socrate difoir
que les artijîes étoient les feuls fages , parce qu’ils fe
contentoient d’être tels, fans chercher à le paroître.
Efope fréquentoit affiduement, félon Plutarque , les
atteliers des fculpteurs & des architectes. On vit le
peintre Diognète donner des leçons de Philofophie à
Marc-Aurèle, & cet empereur avouer qu’il avoir appris
de lui à diftinguer le vrai du faux , à ne pas adopter
des chimères pour des réalités.
Un artijle Grec pouvoir être légiflateur : car tous
les légiflareurs étoient, félon le témoignage d’Arifiote,
de fimples citoyens. Il pouvoir parvenir au commandement
des armées , comme Lamachus un des plus
pauvres citoyens d’Athènes. Il pouvoir efpérer de
voir élever fa ftatue auprès de celles des Miltiades*
des Thémiftocles , & auprès de celles des Dieux
mêmes. C ’eft ainfi que Xénophile & Strabon virent
placer leurs ftatues aflifes à coté de celles d’Efculape
& de la déeffe H ygiée. Chirifophus, le fculpteur
de l’Apollon de Tégée , étoit fculpté lui - même
auprès de fon ouvrage. On voyoit au fronton du
temple d’EIeufis, Alcamène fur un bas-relief. Plif,
dias grava fon nom au* bas de fon Jupiter Olympien,
On lifoitj fur plufieurs ftatues des vainqueurs aux jeux
Eléens , les noms des artijîes qui les avoient faites.
Enfin , le char attelé de quatre chevaux de bronze,
que Dinomène confiera à la gloire de fon père Mitron
, roi de Syracufe , portoit pour infeription deux
vers qui apprenoient le nom de l’artijle Onatas.
La gloire & la fortune d’un artijle ne dépendoient
point en Grèce des caprices de l’orgueil ou de l’ignorance.
Les produirions de l’arc, loin d’être a'fiervies
au mauvais goût d’un homme que l’adulation & la
fervitude érigent en juge*, étoient appréciées & ré coin-
penfées par les plus fages de la nation, dans les afièrn-
blées générales de la Grèce. II y avoit à Delphes & à
Corinthe, du tems de Phidias , des concours de peinture
, & des juges prépofés pour cet objet. Strâbon
nous a confervé les noms des premiers concurrens,
qui furent Panéus , parent de Phidias, & Timagoras
de Chàlcis déclaré vainqueur. C e fut devant de pareils
arbitres que parut Aërion avec fon tablean dujmaria-p-e
d Alexandre & Roxane : Piroxénidès, ch ef de l’afi
femblée, préfida au jugement, lui accorda la palme,
&, lui donna fa fille en mariage. Un nom célèbre n’en
impofoit pas à ces juges , & ne les empêchott pas de
rendre juftice au mérite.Parrafius, étant venu à Samos
difputer le prix de la peinture , dont le fujet étoit le
jugement fur les armes d’Achille , vit le tableau de
Fimanthe préféré au fien. Ces juges avoient plus que
les connoiflances d’un amateur 5 ils n’étoient point
étrangers aux arts ; car il y eut un tems ou les jeunes
Grecs fréquentoient avec la même aflïduité les atteliers
des artijîes, 8c les écoles des philofophes 5 & cela, dit
Ariftote , afin de parvenir à la connoiflance du vrai
beau. Platon s’appliquoit au deflin & aux fciences
exactes eh même tems.
Les artijîes G recs, ainfi aiguillonnés, travailloient
pour 1 immortalité. Les réeompenfes qu’ils recevoient
pour leurs ouvrages , les rtiettoiènt en état de faire
briller leurs tafens fans aucune vue d’intérêt. Poly*
gnote ayant peint le Poecile, fameux portique d’Athènes,
ne voulut recevoir aucun paiement pour fon travail
j & il paroît qu’il en ufa de même à Delphes,
où il repréfenta la guerre de Troye dans' un édifice
public. En reconnoiflance de ce dernier ouvrage , les
Amphiérions firent des remerciemens folemnels à ce
généreux artijle, & lui afîîgnèrent des logemens aux
dépens du Public dans toutes les villes de la Grèce.
A R T I S T É M E N T , adv. Fait avec art & avec
g o û t , fait de la main d’un artifte.
ASIATIQUE ARCHITECTURE. Les momi;
mens de 1 architecture Ajiatique ou Orientale embraf-
fent une fi grande étendue dans la durée des tems,
préfentent de fi grandes variétés par la diftance des
lieu x, que nous ne prétendrons point offrir ici foiw
un feul point de vue , tout ce que l’art 4e bâtir a
produit dans cette immenfe contrée.
Qu anta l’ordre des lieux, il feroit abfwde de ne
pas y reconnoître une diverfité de goûts, qui empêche
d’y rapporter l ’architeériire à une feule & même
origine. Il feroit ridicule de n’accorder qu’un feul
principe à l’art de bâtir, dans cette région la plus vafte
de l’Univers, divifée en ‘ royaumes dont la communication
eft encore un problème & un fujet de dif-
pute.
L ’ordre des fiècles exige auffï qu’on faffe plus d’une
diftinérion dans ce fujet. Les révolutions du tems &
des empires qui fe font fuccédés , ne permettent pas
de comprendre enfemble, & fous un leu! afpedr, les
réfultats fi variés du génie des peuples qui ont habité
fucceflîvement ces belles contrées.
[ Ainfi , fous le titre d’architecture Afiatique , nous
| ne comprendrons , ni celle dè l’Afie mineure, peuplée
I de colonies Grecques, & dont le ftyle fait partie de
l’art des Grecs , ni les monumens de Palmyre & de
[ Balbeck dans la Ccelo-Syrie , qui , par leur goût
| rentrent évidemment dans l’architedure Romaine.
Nous n’examinerons point non plus particulièrement
| ici les différens ouvragés des peuples anciens & mo-
| dernes de l’Afie , rélervant ces détails aux articles
f architecture Perfdne •, Indienne , Chinoijè Japo-
I aoife, &ç.
f Nous ne prétendons confidérer^dans. cet article.,
ique les rapports généraux & communs , que le
I climat & les caufes phyfiques ont établis dans
I l’architefture des divers peuples de l’Afie , quoiqu’a-
I vec les différences les plus effentielles. Nous ne vou-
I Ions qu’examiner ce qu’on appelle en général le <raût
î Afiatique ou Oriental, appliqué à l’art de bâtir, en
Iindiquer les cames , & faire voir que l’invariabilité
Ide goût a toujours été un des caractères propres de
Icette portion . du globe.
I S i , comme le prétendent tous les Philofophes ,
l l ’Afie fut le berceau du genre humain, ce feroit la
Iqu i! faudrait aller puifer les premières notions d ’un
jart né, en quelque forte, avec lui. C ’eft auffi là , fi
|1 on en croit l’hiftoire , que l’art de bâtir étala fes
^premières merveilles , & fe développa fous- les plus
jvaftes formes. Plus grand, près de fa naiffance, qu’il
Inele fut dans fes autres âg e s , 11 femble , par le récit
pes Hiftoriens , qu’il ait reçu dès fon origine , tout
ü’accroiffement & toute la grandeur dont il foie fuf-
| ccptible ; & , que , dégénérant fucceffivement fous la
|main des autres peuples, on puiffe compter par les
Périodes dé fa décroiffance les époques de fa durée.
levant que la Grèce fût civilifée, ne permettent poin
jKe douter que ces peuples furpafsèrent Je refte d
1. n,lv€1;s j Par les conceptions les plus hardies , pa
P^jets les plus vaftes , par lefavoi
3;r ete ûa.ns. l art de conftruire , par le luxe & 1
magnificence de la décoration.
Mais le teins, cet ennemi des ouvrages de l’homme,
nous a dérobé jufqu’à la trace des villes les plus
famenfes qui firent jadis l’ornement de l’Afie. C e n’eft
plus que dans l’hiftoire que nous retrouvons les mer-
-veilles de Babylone : fes fameufes murailles dont 011
évaluoit le circuit à~ 10 lieues , fes cent cinquante
tours qui en défendoient l’approche, fes cent portes
d airain , les cinquante glandes rues qui traverfoient
la v ille , fes palais, fes ponts magnifiques, fes ter-
rafies , fes jardins fufpendus, tout a difparu. L ’oa
chercherait en vain , par les reftes de cette ville , à
découvrir quel f u t , dans l’architecture, le goût fpécial
du peuple qui éleva ces monumens. Pareil fort eft
arrivé a l’empire des M^des , & à prefque cous ceux
dont l’hiftoire de ce pays nous vante les prodiges.
Un ne fauroit cependant les révoquer en doute ces
grands efforts de l’art de bâtir , fur-tout quand oa
confidère les reftes immenfes de Perfépolis, ( V o y e z
architecture Perfe. ) & les anciennes pagodes de l’Inde,
dont la conftruçrion, dit M. de C a y lu s , peut entrer
en ^parallèle avec les monumens de l’Egypte. C e qui
vient encore à l’appui de ces récits-, c^eft que la philofophie
, compagne des arts, avoit fixé, fon féjour
dans l’Afie , long-tems avant d'avoir été tranfplantée
éii Grèce par les philofophes de cette contrée. Les
Gymnofophiftes de l’Inde furent auffï célébrés que
les mages de PEgypte 5 & les Grecs allèrent s’inftruire
a l ecole des uns & des autres. Quand on confidère
‘cette haute antiquité de connoiffances , & les monumens
qui nous font reftes de ces deux nations, il
peut être permis de douter à laquelle des deux on
doit aflïguer l’antériorité fur l’autre.
Une grande partie de l’Afie nous préfente, de même
que l’E g yp te , de vaftes fouterrains où l’archireélure
doit avoir pris naiffance. C e qui fait croire que ces
excavations prodigieufes ne font pas le réfultat fortuit
des carrières , c’eft qu’on les voit taillées régulièrement
, embellies de toutes les richeffes de l’art
& qu’elles offrent le ftyle & le goût dominant des
. édifices du pays. Tels font les fout mains de Milaffa,
d’Arabhifar, du Mont Satnfon : tels font ceux de la
Perfe, de la Montagne nommée Tagli Rujlan , des
environs de Jaffa , du Naxi Ruftan , des rochers de
Chelminar. Dans les uns, on a pratiqué des niches &
ménagé des colonnes: les autres font ornés de pein- "
tures fymboliques. Plufieurs autres contrées de l’Afie
font remplies de femblables ouvrages. L ’ifie de Ceilan
a un de Tes antres taillés, dans la montagne appeliée
Pic-Adam. L ’Indoftan, le T an gu t, le Tib e t en ont
de pareils.
Nul doute qu’en la plupart dé ces contrées
brûlantes-, l’homme n’ait cherché , dans le fein de la
terre , un rempart contre les rayons ardens du foleil j -
& , que les demeures fouterraines ayentdû être ufitées ;
dès l’origine des fociécés dans ce pays. L ’afao-e .ne
s’en eft jamais perdu ; il dut être le plus analogue
aux befoins du climat, & paroît avoir été toujours
conforme au génie des habitans. Que d’autres àppro-
fondiffent la deftinarion & l’emploi de ces fouterrains*
T ij