
peu de progrès, s'écria-t-il, dans l'art de la fcutpture
pendant une fi longue fuite d.'années l Son grouppe
d’Apollon 8c de Daphné en eft la plus forte preuve.
Il le fit à dix-huit ans ; & c’eft, fans contredit, fon
chef-d’oeuvre. On eft même obligé d’avouer, en le
voyant, que s’il gagna depuis quelque foupleffe
dans la taille du marbre & dans le rendu des chairs,
ce fut au dépens de la pureté du contour , & de
la correâion du deflin, qui fe trouvent dans cet
ouvrage de fa jeuneffe a un degré que n’ont pas
ceux qu’il fit depuis.
Cependant la mort de Grégoire XV laiffa vacant
te trône de faint Pierre. IVIaffée Barberin venoit
d’être nommé pour le remplir. Ses grandes qualités
l’y avaient appelléj'ie voeu des arts fur^tout
Rvoit été rempli. Le fien fut de répondre aux
grandes efpérances qu’il avoit fait concevoir. Il
fit venir Bernin. Vous êtes heureux fans doute, lui
dit-il, de voir pape, Maffèe Barberin ; mais il s'efiime
bien plus heureux encore de ce que Bernin vit fous fon
règne. Dès-lors il lyi communiqua les grands projets
d’embelliffement dont il voulôit lui confier l’exécution.
La première entreprife, à laquelle notre ar-
tifte mit la main, fut la confefiion de S. Pierre. Elle
lui valut une penfion de trois cens écus par mois, pendant
les neuf années qu’il employa à ce grand ouvrage.
Le magnifique baldaquin, qui en eft le principal
objet, doit paffer pour le chef-d’oeuvre de ce
genre dans lequel Bernin n’avoit point eu de modèle.
( Voye^ Ba ldaquin ). Une des grandes difficultés
étoit de placer dans un fi vafte local, & fous l’im-
menfe coupole de faint Pierre un objet dont les
proportions rçpondiffent à celles de i’enfemble,
Ç ’eft un des grands mérites de cet ouvrage dans
lequel le Bernin montra toute la fineffe & toutes
>es rellourées de fon efprit, ou la magnificence du
deffin répond au travail de la matière, & qu’on
youdroit pouvoir admirer, fans regretter le métal du
Panthéon, aux dépens duquel il fut fait.
Le pape, avant de récompenfer le,Bernin, voulut
avoir l’ayis de plufieurs perfonnes afTemblées .à ce
fujet. Un particulier, auffi ignorant qu’intérçfTé,
étoit d’avis qu’on donnât à l’artifte une chaîne
d’or de cinq cens ducats (5500 liyres). Ceft fort
bien, répondit le pape, l'or fera pour le Bernin / niais
la chaîne conviendrait à l'auteur de ce confeil : il fit fur
lu champ porter au Bernin dix mille écus (ou 50,000
livres ) , lui accorda plufieurs penfions^ & donna
Un bénéfice à chacuu de fes deux frères,
Bernin donnoit, dans des entreprifes moins
importantes , des preuves multipliées de la fécondité
.de fon génie, & de l’art qu’il poffeda
plus qu aucun autre, de plier fon imagination
au befoin des ^ circonôances. Les petites chofes
font quelquefois mieux connote les grands hom-
jnes. Deux fontaines d’un genre bien différent
firent admirer la variété de fes reffources. Dans
l’une, fitûée place d’Efpagne, il avoir à mettre
en oeuvre un très - grand volume d’eau , mais
jJ devoir fuppléer à la difficulté ipfermontable de
les faire jaillir à une certaine élévatiotf. Il ïma-
gina donc de pratiquer un grand baflin ovale au
milieu duquel eft repréfentée une barque qui
coule à fond. L’effort qu’elle fait en enfonçant
eft fenfé faire jaillir l’eau -au-deffus de l’endroit
par où elle entre ; elle s’écoule auffi par les' écoutilles
qui forment autant de jets particuliers où l’on
prend l’eau plus aifément. Cette fontaine s’appelle
la barcacia ( mauvaife barque ). La fécondé eft
d’un genre plus poétique & plus analogue au goût
& aux principes du Bernin, qui vouloit que les
ornemens hydrauliques fuffent toujours relatifs à
l’hiftoire ou à la fable. Dans celle-ci qui fait l’ornement
de la place Barberine, il n’avoit qu’un
filet d’eau à employer, mais fufceptible de s’élever
à une allez grande hauteur. Il y repréfenta
Glaucus au milieu d’une grande coquille double
& fupportée par quatre dauphins. Le dieu marin
tient des deux mains une conque dans laquelle il
fouffie, & par où il fait jaillir l’eau qui retombe
çn pluie dans la coquille, & de celle-ci dans le
baffin inférieur;
Mais Urbain VIII preffoit vivement le Berna
d’orner avec des niches les quatre énormes piédroits
qui foutiennent la coupole de S. Pierre. Il exécuta
fes ordres, 8c y plaça quatre ftatues coloffales
dont une ( S. Longin ) eft de fa main. Ces grandes
niches, & les efcaliers pratiqués dans l’intérieur
des mafiifs pour monter aux balcons qui font au-
deffus des niches, fervirent de prétexte aux envieux
du Bernin pour lui caufer des défagrémens.
On iiuputoit à cette prétendue hardieffe les lézardes
furvenues dans le dôme. Cependant, comme
on le dira ailleurs ( voye^ Coupole, Eglife ), on
avoit, dès la fondation de S. Pierre, laiffé un efpace
vuide dans ces piédroits , & Bernin n’avoit pu
contribuer à 1’affoibliffement fuppofé. Il n’en eut
pas moins à fouffrir des traits de la fatyre & de
la malignité. Confidérant un jour avec beaucoup
d’artiftes la ftatue de fainte Véronique qui occupe
l’une des quatre grandes niches, il demanda en
plaifantant au fculpteur (François Mochi)d’où
venoit, dans un lieu fermé, le vent qui agitoit les
draperies de la fainte 8c le voile qu’elle tient entre
fes mains : des fentes, lui répondit le fculpteur,
qne tu as Qccafionnèes dans le dôme.
La réputation dn,Bernin étoit trop bien établie
pour fouffrir de ces reproches calomnieux. Il n’y
répondit que par .de nouveaux ouvrages, qu’en
donnant de nouvelles preuves de fon habileté.
L’efcalier dupalais Barberin fut exécuté fur fesdef-
fins ; il eft conftruit en limaçon fur un plan elliptique
ou ovale 1 l’enfemble en eft grand & majeftueux.
La façade de ce palais fut aufti dirigée par lui. Elle
çonûfte en deux aîles 8c un avant-corps dans le
milieu, formant ce que les Italiens appellent Lo*
gia. On y admire l’ordre dorique du premier étage &
la nobleffe de fon ordonnance. Ce palais, un des
beaux de Rome, eût offert un enfemble bien plps
ffiiagnifique, fitçms les açceffo ires en euffent été terris*
pés fuivant les projets de Bernin. Il fit à peu près
dans le même temps la façade du collège de la
propagande. L’édifice menaçoit ruine, ce qui obligea
l’artifte à donner.beaucoup de talut à la façade pour
renforcer le bâtiment, en buttantcontrelui.
Le nom du Bernin étoit fameux dans toute l’Europe.
Louis XIII lui avoit déjà fait offrir une
penfion de douze mille écus (60000 liv<) pour
l’attirer à Paris. Ces offres étoient bien capables
de le tenter, mais il ne voulut pas fe décider fans
l’avis du pape. Celui-ci ne put fe réfoudre à le
Lifter partir ; il lui dit qu’il étoit fait pour Rome ,
6c que Rome étoit faite pour lui. Soit reconnoiffance,
foit attachement pour cette ville, Bernin y refta. Pour
l’y fixer davantage, le pape ne ceffoit de l’exhorter
ail mariage. Notre artifte céda à fes inftances&
fe maria en 1639; il vécut trente-cinq ans avec
fa femme, dont il eut une famille nombreufe. Urbain
VIII, après avoir fait décorer l’intérieur de
S. Pierre, prit la réfolution d’en orner auffi l’extérieur,
en finiffant les campaniles dont la façade
devoit être accompagnée. La foiblefte du portique
avoit empêché Maderne d’exécuter entièrement
fon deffin, 8c perfonne depuis lui n’avoit ofé le
reprendre. Bernin chargé de ce foin, commença
par confulter les deux conftruéleurs qui avoient
travaillé aux fondations , à la fin du pontificat de
Paul V. D’après, les affurances pofitives qu’ils
donnèrent au pape de leur folidité, notre artifte
fe mit à l’ouvrage. Le premier clocher qu’il éleva
fut celui de la partie droite du côté du faint office;
il étoit orné de deux ordres , lavoir le çorinrhien
& le compofite ; le tout avoit cent foixante 8c
dix-fept palmes de haut/ A la réferve delà
pyramide qui devoit le couronner & qu’on n’avoit
-exécutée qu’en bois, le clocher étoit fini
lorfque la partie du portique , qui lui fervoit
de foubaffement, s’ouvrit en plufieurs endroits.
AuffitÔt les ennemis du Bernin fe. déchaînèrent
contre lui. Leurs clameurs parvinrent aux oreilles
du pape qui feignoit de ne pas les entendre. Les
plus habiles gens avoient décidé que Bernin n’étoit
point l’auteur du mal & que le mal n’étoit pas fans
remède, qu’il falloit renforcer les fondemens de
la façade, achever la première tour 8c élever
j autre pour donner I plus de c.onfiftanc^ à toute
la maffe. La mort d’Urbain VIII empêcha l’exécution
de cé projet.
Sous Inridc.ent X , le Bernin ne trouva pas la
meme proteâion. Des gens aufti ignorans que mal
intentionnés, lui déclarèrent une guerre ouverte.
Ils perfuadèrent au nouveau pontife qu’il y avoit
ueu de craindre que le poids de la tour n’occa-
«oonat la ruine entière de la façade. Bernin, mandé
Par le pape, fe juftifia très-aifément, & demanda
que le terrein fût fondé ; il l’obtint, & Innocent X
Jugea qu’il falloit diminuer le poids du clocher
parle retranchement de fon attique, avant d’exa-
"uner ies fondations. Mais les ennemis de Bernin
réfolw la ^eftru&jQn de fon ouvrage 8c
l’obtinrent, ce qui fut promptement exécuté en
1647, ^ -
Bernin fut fenfible à cet affront ; mais le triomphe
de fes ennemis ne fit qu’exercer fa philofophie:
il continuoit tranquillement fes travaux, & don-
noit les deffins de la chapelle du cardinal Cornaro
dans 1 églife de la Viéfoire, où il plaça le fameux
grouppe de fainteThérèfe qu’il regardoit comme le
plus bel ouvrage de fon cifeau. Le maufolée du
pape Urbain VIII, placé dans l’églife de S. Pierre,
vis-à-vis de celui de Paul III, mettoit le fceau à
fa réputation. Ce grand ouvrage de fculpture ne
trouvera point ici fa defeription, non plus quô
celui d Alexandre VIL {Voye^_ Mausolée. )
Mais les mauvaifës impreffions que les difeours
des ennemis du Bernin avoient faites fur l’efprit dit
pape, furent telles qu’il ■ avoit réfolu de l ’éloigner
des entreprifes importantes dont il s’occupoit. Il
avoit formé le projet de faire élever au milieu de
la place Navonne l’obélifque amené à Rome du
temps de l’empereur Caracalla, & qui étoit refté
enfeveli fous les ruines de fon cirque. Les plus
habiles archite&es de Rome avoient reçu du pontife
1 ordre de lui donner des plans d’une fuperbé
fontaine. Bernin feul n’avoit point été corifulté.
Cependant le prinçe Nicolas Ludovifi, qui avoit
époufé une nièce du pape , & qui étoit très-
attache à Bernin, lui demanda un modèle-. Si-tôt
qu’il fut achevé, le prince le fit porter fecréte-
nient au palais Pamphile, dans une chambre par
laquelle le pape devoit paffer au fortir de table.
La richeffe de l’invention , la nouveauté de l’idée ,
la grandeur du fujet, étonnèrent le pontife. Voici y
s’écria-t-il, un tour du prince Ludovifi; il faudra ,
malgré foi, fe fervir de Bernin. Il le manda fur le
champ, 8c après mille démonftrations d’amitié,
& même des exeufes de ce qu’il n’avoit pas encore
employé fes talens , il lui ordonna d’exécuter
fon modèle qu’il ne pouvoit fe iaffer de con-
confiderer. Depuis cette époque, Bernin eut les
bonnes grâces du pape ; il traitoit même familièrement
avec lui. Cet artifie , difoit - i l , efi ne
pour vivre avec les princes. Le Bernin commença
donc ce grand ouvrage qu’on met au rang de
fes chefs - d’oeuvre ( on peut en voir la deferip-
tion a 1 article Fontaine'}. Il etoit déjà terminé,
mais non découvert encore le pape impatient
voulut en jouir, avant que la vue en fût permife
au peuple. Il entra dans l’enceinte & refta plus
de deux heures' fous les tentes fans fe Iaffer d’en
admirer l’enfemble & la belle exécution. L’eau
cependant n’y avoit point encore été amenée.
Le pape s’en alloit & demandoit à Bernin dans
quel temps il comptoit que les eaux feroient en état
d y etre conduites : je ne le faispas prècifement, répond
l’artifte ; mais je tâcherai que cela foit au
plutôt: le fignal auffi-tôt eft donné, le fracas des
eaux jailliffantes fait retourner le pape: la furprife
agréable que vous m ave£ donnée, lui dit-il avec tranf-
port, prolongera ma vie de dix ans,