
rentes, q u il y a eu d’artiftes & de règnes qui fe
font fuccédés jufqu’à Louis X I V , le dernier des
fouverains qui y ait écrit fon nom.
Un monument moins confidèrable, mais qui
n a guère eu moins d’architeâ es, l’hôtel de Carnav
a le t , fameux par les fculptures de Jean Goujon ,
compte auffi Ballant à la tête de ceux qui-con-
coururent à fa conftruéfion. Comme rien aujour-
d hui n y rappelle le f ty le de ce maître , je laifferai
de vaines recherches qui ne feroient rien à fa
g lo i r e , pour paffer a un édifice dont il ne partagea
l ’honneur a v ec perfonne, & que le temps nous
a tranfmis dans toute fon intégrité.
C ’eft à Eicon en qu’il faut confidérer le génie de
Ballant.
Je n ai point dans ce récit de fes ouvrages fuivi
1 ordre des temps , ou , pour mieux d i r e , j’ai fuivi
.1 ordre inverfe , ayant voulu réferver pour la
■ dernière la defcription de cet édifice qui doit avoir
été un des premiers de notre archite&e. En e ffe t,
1 hôtel Soiffons ne fut bâti qu’après le palais des
T u ile r ie s , celui-ci fut commencé en 1564; mais
Thiftoire nous apprend que le connétable de
Montmorency fe retira pendant fa difgrace, qui
dura depuis, 1540 jufqu’à la mort de François I ,
dans le château qu’il avoit fait bâtir à Efcouen. 11
ntmême graver ces vers ^d’Horace, Æquant memento
tebusin ai dais fervare mentem, & c . qu’on y lit en-
core aujourd’h u i, & qui faifoient allufion à fa
djfgrace. Il réfulte de cette époque que le château
d Efcouen doit avoir été bâti avant l’an 1540, &
précéda par conféquent de beaucoup ceux dont on
a parlé.
A ne confidérer que fon g o û t , on le jugeroit
anterieur à eux. L e mélange du gothique & de
1 antique y eft encore plus apparent, & leur con-
trafte plus fenfible.
L e gothique s’y reconnoît d’abord à la construction
, formée dans toute l’étendue du bâtiment
de ces petites pierres dont fe compofe l’appareil
ordinaire des édifices gothiques. On l ’y reconnoît à
la grandeur des croifées, à la hauteur des toits, deux
caraaères qui fe font perpétués jufqu’à nos jours
dans 1 architeâure françoife. O n l ’y reconnoît aux
petites tourelles qui accompagnent les pavillons ,
aux pavillons eux-mêmes dont fe trouvent flanqués
les quatre corps de bâtimenS qui compofent la
cour ( ces pavillons, comme on a eu occafion de le
«ire en parlant du palais du Lu xembourg, représentent
ici comme ailleurs, ces tours dont on forti-
hoit jadis les angles des châteaux gothiques. ) On
r y reconnoît enfin à des détails de décoration tout-
a-rait capricieux dont font chargées les croifées
T 1 Jéèond: étage, à un certain air de maigreur &
de lecherefle répandu dans l ’exécution de cette
archireéhire.
L e .g o û t antique s’y fait reconnaître d’abord à
, 5v§wlarite d ordonnance & de proportions qui
régné dans tout l’enfemble de ce château , tant
au-dehors qu’au-dedans} à l ’emploi des ordres,
appliqués tantôt en pilaftres fur tous- les trumeaux
des c ro ifé e s , tantôt en colonnes ifolées
dans les différens avant-corps dont on aura lieu
de parler plus en détail ; au bon goût & à la
jufteffe de certains profils ; à l’élégance enfin de
beaucoup de parties d’ornemens diftribués avec
ch o ix , & exécutés avec goût & pureté fur des
portes , autour des n ich es , & dans plufieurs
membres de l’archite&ure.
C e château confifte en quatre corps de bâti-
mens qui forment un plan quarré aux angles duquel
s’élèvent quatre pavillons quadrangulaîres
plus élevés d’un étage que le refie de l’édifice.
Dans leurs angles rentrans font des tourelles qui
fe terminent en cône. A flis fur une hauteur, il eft
accompagne de pentes & d’efplanades qui y con-
duifent. Des foffés l’entourent fur trois côtés : le
quatrième eft une terraffe qui domine fur le bourg.
Divers autres accefloires lui ont confervé l’apparence
militaire qui n’étoit pas toujours une fimple
apparence dans les châteaux de ce temps. Plus de
détails fur le plan de cet édifice feroient inutiles :
on a pu obferver qu’il eft affez femblabie à celui
du^ Luxembourg, auquel il n’eft pas improbable
qu il aura pu fervir de modèle.
} Son élévation fe compofe d’un r ëz - de- chauffée ,
d un premier étage & d’un fécond, qui pris aux dépens
du comble, nous fait voir combien eft ancienne
dans ce pays la forme de ces fenêtres qui portent
le nom très-moderne de Man farde.
Les deux étages principaux font percés de
grandes croifées accompagnées de refens, fur lesquels
fe détachent des pilaftres d’une forme affez
bâtarde, & qui régnent d’une manière uniforme
dans toute l’étendue de l’édifice. Les croifées de
1 étage du comble font formées depiîaftres corinthiens.
C e qu’il y a de plus digne d’être obfervé
dans toute cette é lévation, confifte dans les avant-
corps dont on a déjà parlé; Celui qui décore la
façade d entrée, nous préfente au rez-de-ehauffée
quatre colonnes de l’ordre dorique Soutenant une
frife à triglyphe, élevé fur des piédeftaux ifolés &
montés^ eux-mêmes fur une autre ftylobate continu.
L ’ordre fupérieur eft l’ion ique, dont les colonnes
ont un piédeftal commun. Une arcade formant
une efpèce de loggia, fépare ees quatre
colonnes , comme la porte d’entrée fait le milieu
de celle d’en-bas. Une partie ceintrée & renfoncée
fait le couronnement de cette ftiçade. Dans le
renfoncement eft la figure du connétable de
Montmorency à ch e v a l, & repréfentée de bas-
relief. Un attique fupporte ce ceintre. Il eft orné
d’efpèces de caryatides, ou plutôt- de termes qui
finiffent en gaîne p a rle bas.
O n admire davantage les avant-corps qui fer-
vent de milieu aux deux grandes façades de la
cour. L ’une formée de deux ordres, le dorique &
le corinthien ; l’autre plus grande & plus majef-
tu eu fe , compofée d’un grand ordre de colonnes
corinthiennes, dont la hauteur eft égale à celle de
tout le bâtiment. Celle-ci forme un beau périftyle
de quatre colonnes, & d’autant de pilaftres adoftes
au mur. L ’entre-colonnement du milieu , beaucoup
plus large que les deux autres, s’ouvre pour
indiquer l’entrée de l’efcalier qui aboutit à cet
endroit. C e milieu eft percé de deux arcades &
de deux croifées. Les deux efpaces des deux autres
entre-colonnemens font remplis, dans le h au t,
de tables ou cadres profilés qui reçoivent des armoiries
; dans le bas , par des niches où l’on v o yo it
jadis deux efclaves de Michel-Ange.
. L ’entablement de cet'ordre eft riche, fa frife eft
ornée de trophées, & d’autres ornemens allégoriques
à la maifon de Montmorency.
11 y auroit de l’injuftice à vouloir preffer d’une
critique trop rigoureufe les diverfes ordonnances
dont je viens de rendre compte. On y trouve fans
contredit des licences de plus d’un genre -, & dans
l ’ajiiftement général , & dans lès détails.' Leur
principale excufe feroit le fiècle même qui v it
naître Bullant, fi ceux qui font venus après lu i ,
c ’eft-à-dire, depuis le rétabliffement de l’architecture
en France , n’euflent donné l’exemple d’écarts
plus- condamnables.
Encore n’ont-ils pas fu comme lui racheter leurs
défauts par toutes les qualités qu’on admirera
toujours dans ce reftaurateur de l’archite&ure. Je
parle de la févérité locale des formes, de la pureté
des profils, de la fineffe de l’ex écution , de la jufteffe
des proportions dans les ordres , & de la fcrupu-
leufe imitation des règles antiques dont Bullant
avoit fait une étude fé rieu fe, & dont il avoit
configné la théorie dans un traité qui n ’exifte
plus.
Q u e dis-je ? il s’eft confervé dans fes monu-
mens. C ’eft-là que nous pouvons a vec Chambrai
recueillir encore fes leçons.
Le château d’Efcouen-contient les modèles les
plus réguliers des trois ordres Grecs. On voit
que Bullant fut un des premiers architeéles François
qui aient tenté de réduire en pratique la
doftrine de V it ru v e , dont il fe montra toujours un
des plus zélés fe&ateurs. C ’eft: de Chambrai lui-
même que nous tirons ce témoignage. V o ic i les
paroles de ce judicieux critique :
« Bullant, dans le profil de l’ordre dorique , a
» fuivi très-ponéhiellement V it r u v e , quoiqu’ il en
»> rapporte encore d’autres tirés de l’antique, où
w je ne l’ai pas trouvé fi jufte ni fi exaél qu’il m’a
» femblé en l’intelligence de. cet. auteur ancien.
» J’ajouterai eücore;pour l’égard de Jean Bullant,
» qu’il, eft le feul des feélateurs de V it ru v e , qui
» foit demeuré dans les termes réguliers du maître
V touchant la hauteur de l’entablement dorique,
» auquel il ne donne que trois modules & d em i,
» lefquels font précifémentla quatrième partie de
3> la colonne, laquelle-ne doit avoir de hauteur
» que fept diamètres, félon V it ru v e , L . i v , ch. 1 ,
M qui font quatorze modules ».
BulUnt, dans fes profils de l ’ordre ion iqu e, n’eft
pas moins exa& obfervateur des règles de V itru v e
& des meilleurs maîtres de l’ Italie dont il imite
les ouvrages avec difccrnement. Chambrai nous
a confervé un deftin & profil de l’ordre corinthien
qu’il femble avoir imité en entier d’après Serlio :
« C a r la différence, dit .- i l, de l’un à l’autre eft
» très-peu fenfible. Je remarque néanmoins en
» celui de Bullant quelque cftofe de plus purgé ,
» comme la faillie des clentiçules ( ou de cette
» plate-bande fur laquelle ils doivent être entail-
» l é s ) , JaquëUe eft fort régulière, au lieu que
» Serlio l’a fait e x c e ff iv e , outre la répétition im-
» portune d’une petite doucine qui eft trois fois
» dans le feul efpace-deJa-eorniche, ce que Jean
» Bullant a eu la confidération de diverfifier. Il
» donne auffi plus de garbe à fon chapiteau dont
» les feuilles & les' caulicoles font mieux con-
» tournés ».
C e n’eft pas fans doute un petit honneur pour
Jean Bullant d’avoir été mis par Chambrai au
nombre des auteurs claffiques dont il a compofé fon
parallèle de l’architeéhire. C ’eft auffi à cet ouvrage
que je renverrai ceux qui n’ayant point vu par
eux-mêmes les monumens de cet architeéle, pour-
roient douter des obligations que l’architeélure
françoife lui a , & de”tout ce qu’il a fait pour fon
progrès. C ’eft bien ■ à lui qu’on peut appliquer le
proverbe latin : A lïi famam hàbent alii merentur.
B U L L E T ( Pierre ) . Si les arts du génie ne
dépendoient , comme les arts de la main, que de
certains procédés qui puflent s’enfeigner & s’apprendre
par l’ex erc ice , l’habitude & la mém oire,
on ne les verroit p a s , comme il arrive tous les
jours , dégénérer au milieu des écoles même infti-
tuèes pour leurs progrès. On ne v erro it pas tant de
médiocres élèves fortir de l’école d’un grand
maître. Enfin , on n’obferveroit pas que les grands
hommes pour la plupart ont été les élèves de leur
génie plus que de leurs maîtres.
D o it -o n conclure de ees observations l’inutilité
de' l’enfeignement dans les écoles publiques
& particulières ? Non fans d o u te , mais feulement
que leur plus grande milité confifte à tranfmettre
aux élèves d e . bons principes & les maximes
d’un goût pur & v r a i, qui, les préfervant des écarts
de la nou ve auté, les remettent fans ceffe fur la
route de la nature. Pour le g én ie , il ne fe tranfmet
pas.
Difons plus : le trop de fervitude qui règne dans
les écoles, le trop grand refpeél qu’on a pour un
maître , & qui vous attache fur fes pas, la routine
introduite dans le cours-des études, font toutes
chofes qui coupent les ailes du génie & rapetiffent
l’effor de l’invention.
Mais de ces caufes & de bien d’autres qu’on ne
rapportera point ici ( voye^ Ecole ) , celle qui contribue
peut-être le plus à produire cet effet dans
quelqu’art'que cé fo it, c’eft la trop longue habitude
de ramper fur les traces d’un maître. Le
judicieux Vafari nous avertit dê ce danger. Rare-;