
n* avoit cru podlble l'emploi de ce marbre. Michel-
Ange s’ën empare. En peu de temps on en vit
fortir la ftatue du D avid placé devant le palais
v ieu x. Sa proportion eft te lle , que l'homme de
la taille la plus avantageufe atteint à peine'à Tes
genoux. Les défauts qu’on y remarque, fur-tout
à une épaule, proviennent du manque de matière
& des anciens coups de cifeau , dont lé nouv
e l artifte n’a pu réparer la mal-adreffe.
Quelques tableau x, parmi lefquels on compte
la Sainte Famille qu’on vo it aujourd’hui à F lo rence
, 8c fur-tout -le grand carton de la guerre
de P i le , pour la falle du confeil que*Michel-Ange
devoit peindre en concurrence avec Léonard de
V in c i , lui avoit acquis la réputation du p remier
de toùs les deflinateurs. C e dernier ouvrage fur-
tout , qui fervit de modèle aux plus grands peintres
d u fiè c le , ne permettoit plus de comparaifon entre
lui & tous fes contemporains. Pour en dire afféz ,
fans faire l’énumération de tous lès grands hommes
qui y puifèrent des le ço n s , il fuffira de dire que
Raphaël fut de ce nombre.
Jules I I étoit monté fur le liège de S. Pierre.
Il avoit conçu le projet d’éternifer fa mémoire
par le monument qui devoit renfermer fes cendre
s. Il appella Michel-Ange , alors âgé de- vingt-
n e u f ans. L’ambition du pontife ne vouloir confier
le foin de fa gloire qu’au plus grand génie de fon
fiecle. Michel-Ange répondit à fon attente, 8c lui
préfenta le modèle du maufolée le plus magnifique
dont la mémoire des hommes ait gardé le fou-
venir.
C e tombeau , qui de vo it avoir dix-huit braffes ,
ou fix toifes & huit pouces de lo n g , fur douze
braffes ou quatre toifes de la rg e , étoit ifolé^ afin
qu’on pût le vo ir de tous les côtés. Un rang de
niches étoit pratiqué dans fon épaiffeur. Elles
étoient féparées par des termes drapés , qui fai-
foient l’effet de caryatides & foutenoient la corniche.
A chacun de ces termes dévoient être
attachées autant de figures d’efclaves ou de pri-
fonniers enchaînés, pofant fur un reffaut du fou-
baffement. O n y v o y o it plufieurs autres figures
fayamment difpofées , repréfentant des vertus ,
& les arts fournis à l’empire de la m o r t , comme
le pontife qui les avoit encouragés. O n auroit
remarqué aux angles de la première corniche quatre
grandes ftatues repréfentant la v ie aétive &
la vie contemplative , Moïfe & S. Paul. Toute
cette maffe fe terininoit pyramidalemënt par une
efpece d attique , ornée d’une frife d’ehfans avec
des fê lio n s , au-deffus de laquelle s’êlevoit le far-
cophage porté par deux figure s, dontTune qui
repréfentoit le c ie l, paroiffoit/fe réjouir de ce
que l ’ame du pape étoit allée jouir de la gloire
éternelle ; la fé co n d é , fous l’emblème de la terre,
paroiffoit pleurer la perte un fi grand pontife.
O n devoit entrer dans l’intérieur du maufolée par
les niches du milieu des petits côtés | & l’on y
eut trouvé une efpéce de rotonde au centre de
laquelle devoit être placé le farcophage. Enfin ce
maufolée devoit être décoré par quarante fiatues
indépendamment des enfans & des ornemens en
bronze doré. .
Michel-Ange fe livroit tout entier à cette grande
entreprife. L’ impatience du pape flimuloit de plus
en plus fon courage : il alloit fouvent le voir
travailler. Ces fréquentes vifites éveillèrent la ja-
loufie. B ramante, que le pape aimo it, chercha
tous les moyens de deffervir un r iv a l , dont la
gloire pouvoir éclipfer la fienne. Pour refroidir
le pontife fur l’execution du monument, il lfo
repréfenta en courtifan adroit que cet ouvrage
emportoit avec foi l’idée d’un préfage fâcheux;
qu’il étoit de mauvais augure d’ élever fon propre
tombeau. Ces infirmations firent leur effet ; le
pape négligea l’entreprife & par contre coup celui
qu’il en avoit chargé ; il ceffa de donner à l’ar-
tifie les fecours d’argent 8c les audiences qu’il
lui prodiguoit auparavant.
Michel-Ange s’appercevoit du refroidiffement
du pape à fon égard. Il crut en avoir la preuve
dans une occafion où l’entrée de la chambre lui
fut refùfée. Quand fa jainteté m enverra chercher ,
dit-il au camèrier, vous lui direç que j e riy fuis
pas. D e retour chez lu i , il donne ordre à fes db-
mefiiques de vendre fes effets, & prend la porte
pour Florence. A jpéine arrivé fur les terres de
T o fc an e , il eft joint par cinq couriers du pape,
chargés des lettres les plus preffantes, & d’ordres
même qui lui enjoignoient de retourner à Rome,
fous^ peine d’ encourir fa difgrace. Prières & menaces
, tout fut inutile. Elles ne purent, rien obtenir
de lu i , finon qu’il écriroir au pape , que l ’ayant
traité d’une façon peu c o n v e n a b l e i l étoîr le
maître de choifir un autre fculpteur.
Durant un féjour de trois mois que Michel-Ange
fit à Florence , Jules II adreffa au fénat trois brefs
remplis de menaces, pour qu’il le lui renvoyât
à Rome. Le fénateur Soderini, qui étoit gonfa-
lo n ie r , lui dit de fe préparer inceffamment au
vo y ag e . Mais Michel-Ange qui craignoit la colère
du p ape, répondit qu’il s’en iroit plutôt à Conf-
tantinople, où le Grand-Seigneur l’avoit fait inviter
de fe ren d re, pour faire un pont de cette capitale
à P é r a , afin de joindre en cet endroit l ’Europe
à l’A fie . Cependant le fénateur le détourna
de ce p ro je t , & le décida à retourner vers le
pape ‘qui étoit alors à Bologne. Pour lui donner
plus’ de sû reté, on l’en vo y a comme perfonne
publique , avec la qualité, d’ambaffadeur. L e cardinal
Soderini fut chargé lui-même de lè préfenter
au pape. Jules le regardant d’un oeil de colère :
Enfin , lui d i t - il, au lieu de venir nous trouver, vous
aveç attendu que nous ayons été nous-mêmes vous chercher.
Voulant dire que Bologne eft plus près de
Florence, que Rome. Michel-Ange témoigna au
pape les regrets de fa conduite paffée & fut bien-
tôt rétabli dans fes bonnes grâces. Il fut auffi-tôt
chargé de faire fa ftatue en b ro n z e , pour êire
placée ail frontifpice de fainte Pétronç. Jules s’«p*
percevant que la main droite avoit une aélion un
peu forte, dit en riant à Michel-Ange : votre ftatue
donne-t-elle des bénédictions ou des malédictions ?
Elle menace Bologne 6* l ’avertit de vous être fidèle,
répondit l'artifte. Ce t air menaçant n’imprima pas
long-tenjps au peuple. Elle fut b r ifé e , lorfque
les Bentivoglio rentrèrent dans Bologne. Alphonfe
d’E ft, duc de Ferra re, en acheta la matière, &
en fit faire une pièce d’artillerie qu’il nomma la
Julienne.
Bramante v o y an t que le pape avoit rendu à
Michel-Ange toute fa confiance, & que c’êtoit par
les ouvrages de fculpture qu’il captivoit fa faveur ,
réfolut d’expofer fon talent à une épreuve capable
de la lui faire perdre. Il perfuada au pape de lui
faire peindre la voûte de la chapelle Sixtine. Michel-
Ange chercha tontes fortes de raifons pour s’ex-
eufer. Obligé d’o b é ir , il fit venir de Florence
plufieurs des meilleurs peintres, pour l’aider &
lui apprendre la manière de*peindre à f re fq u e ,
dont il ne connoiffoit point la pratique. Mécontent
d’eux , il les r e n v o ie , détruit leur ouv rag e ,
s’enferme feul dans la ch apelle, 8c ne permet
plus à perfonne d’y entrer. Il rompit tout commerce
avec fes amis pendant tout le temps que
dura ce grand ouvrage ; il ne fe fioit même à p e r fonne
du foin de b royer fes couleurs. C e myftère
augmentoit la curiofité publique & l’impatience
du pape. Michel-Ange craignoit fon emportement,
& ne voulut pas rifquer d’en éprouver les effets ;
au bout de vingt mois il détruifir l ’échafaud. T o u t
le peuple accourut en foule dans la chapelle. C ’eft
alors que Raphaël changea 'de manière , remerciant
Dieu d’être né du temps de Michel-Ange.
L’applaudiffement univerfel que cette peinture
mérita à Michel-Ange, le rendit plus cher au pape
qui le combla d’honneurs & de richeffes. Cependant
il ne put en obtenir la permifiion de retourner
à Florence pour y faire la ftatue de S. Jean-
Baptifte ; il tut obligé de continuer le travail du
maufolée. L a mort de Jules II fufpendit ce grand
ouvrage. Léon X , fon fucceffeur , voulant laiffer
après lui des marques de magnificence, dans le
lieu même où il étoit né , envoya Michel-Ange à
Florence , pour bâtir la façade de l’églife de Saint-
Laurent. Les plus fameux architectes, tels que
Baccio d’A g n o lo , Antoine San Gallo , André &
Jacques Sanfovin & R aphaë l, concoururent pour
ce monument. L e deflin de Michel-Ange eut la
préférence. C e t artifte exécuta le modèle que l’on
conferve encore dans l ’un des cabinets de la bibliothèque
des Médicis. Buonaroti fe rendit de
nouveau à Carrare , pour y faire choix des marbres
dont il auroit befoin. Le pape ayant appris
qu’on en trou voit de pareils à baravezza en T o f cane,
employa Michel-Ange à l’exploitation de
cette carrière : plufieurs années fe perdirent à cet
°bjet ; on ne fit que les fondemens du monument
|>rojetté & refté depuis &ns exécution.
Michel-Ange avoit environ quarante ans , lorsqu'il
s’appliqua à l’architeâure. Il n’eut d’autres
maîtres dans cet art que fon génie & la fcience
du deflin. Je ferai vo ir par la fuite que fon goût
d’architeCture a plus de rapport qu’on ne le croiroit
a v e c celui qu’il développa dans les autres arts.
Son premier monument fut la facriftie de Saint-?
L auren t, dont il fit depuis là chapelle- fépulcrale
des Médicis. Ce t édifice eft quarré dans fon plan ,
& orné de deux ordres de pilaftres corinthiens.
On vo it au-deffus de la corniche du fécond ordre ,
au milieu de quatre arcades , un même nombre
de grandes fenêtres pyramidales. La chapelle fe
termine par une_ coupole , dont la voûte eft ornée
de ca iffoiis, avec autant de goût que de fageffe*
J’aurai lieu de reparler de ce monument. Les deux
tombeaux qui la dé corent, y partagent l’attention
des admirateurs de ce grand homme. Les figures
dont ils font ornés, font des plus belles 8c de
fon meilleur temps. Comme prefqué tous fes
ouvrages en fcu lpture, elles ne font pas entièrement
terminées ; mais ce qui y man que, du
côté du f in i, n’ôte rien au mérite de l’enfemble
de la compofition , ni même à celui de leur exécution.
On ne fe laffe point d’admirèrla grâce & la
molleffe de fa déeffe de la N u i t , repréfentée fou*
la figure d’une femme dormante.
L e quatrain füivant fut fait à fa louange.
La notte che tu vedi ih f i dolci atti
Dormire , fu da un angelo fcolpita
ln quefio JaJfo ; e perche dorme ha vita
Défia la fe nol credt, e parlera ti.
M ich e l-A n g e répondit pour la Nuit par les
vers fuivans :
Grato mi e il fonno , e piu l'efler dt fajfç
Mentre che il danno e la vergogna dura.
Non veder, non fentir me gran ventura
Péro non mi dèfiar. D e h parla bajfo, .
Dans- le cours de cè féjour à F lo ren c e , Michel-
Ange fit la fameufe ftatue du Chrift qu’oa adore
dans l’églife de la Minerve à Rome.
Florence: alors étoit afliégée. Michel-Ange, en
qualité de çommfflaire général des fortifications
de la Tofcane -, la,- fortifia, 8c défendit pendant
lin an le clocher de Saipt-Miniat contre l’artillerie
des ennemis. L e fiège dujoit encore ; il fut obligé
de s’enfuir à V en ife où il donna le deflin du pont
de R ia lto , à la lollicitation du D o g e Gritti. Retourné
à F lo ren ç e , qui étoit afliégée par le pape
& l’empereur, il en rendit la prife difficile.
Cependant les agens du duc d’Urbin preffoient
Michel-Ane,e de terminer le maufolée de Jules II.
On convint que pour lés fommes qu’il avoit
re ç u e s , il le réduiroit à une feule fa c e , décorée
de fix fiatues de fa main.
Y y a