
Ainfi, dans l’emploi métaphorique de ce mot, «
cara&ère n’eft autre chofe que le ligne par lequel
la nature écrit fur chaque objet fon effence, fes
qualités diftinâives , fes propriétés relatives, enfin
tout ce qui peut empêcher de le confondre avec
un autre.
Mais bientôt on obferva que, comme chaque
être fe fait remarquer matériellement, & diftin-
guer d’un autre' par une conformation particulière
, il exiftoit auflî des habitudes perfonnelles
à chacun, & qui composent leur être moral. Par
une fécondé métaphore ou tranfpofition d’idées,
on appliqua de nouveau aux formes morales le
mot de cara&ère, & alors dans ce fens encore
plus figuré, il lignifie le figne diftinâif auquel
on reconnoît les habitudes effentielles , diftinâives
6c relatives de chaque efpèce d’êtres, comme de
chaque individu d’une même efpèce.
D ’où il rêfulte que le mot caractère, pris dans
le fens figuré , le feul qui nous occupe ic i , s’ap-r
plique aux qualités phyfiques & morales des êtres ,
ce qui donne la diftinâion de cara&èrephyfique ou
v'tjible, & de cara&ère moral ou inteUe&uel.
Je définis le premier l’indication apparente &
fenftble de la nature des objets, de leurs qualités
diftinâives, des propriétés relatives à leur defti-
natiçn.
Je définis le fécond l’indication énergique &
prononcée des habitudes que chaque efpèce d’êtres
a reçues en partage , des modifications particulières
à chaque individn, & des qualités analogues
à leur emploi, ou la fin à laquelle ils font def-
tinés.
Définition plus particulière du moi cara&ère.
Cette première définition du cara&ère nous conduit
à une autre diftinâion plus précife 6c très-
importante pour l’intelligence de tout ce que renferme
la lignification- vague du mot cara&ère.
On doit reconnoître, foit au phyfique, foit au
moral, trois fortes de cara&ères ,1e cara&ère ejfen-
tiel, le cara&ère difiin&ifou accidentel, & le cara&ère
relatif.
Au phyfique, le cara&ère eflentiel eft le type
par lequel la nature fait reconnoître fes ouvrages :
c’eft cette indication compofée de grands traits qui
forment fur-tout les divifions générales des trois
Jègnes(jela nature, les diftinâions plus particulières
des différentes dafles d’êtres, les nuances propres
des efpèces , des fexes , des âges , enfin toutes les
marques extérieurement apparentes & grandement
écrites, qui s’oppofent à la confufion d’une efpèce
avec une efpèce. Le cara&ère diftinâif ou accidentel
eft celui qui dépend de tous les accidens
particuliers , de toutes les variétés de développement
, qu’une multitude de caufes vifibles ou in-
vifibles impriment aux mêmes efpèces, félon
la diverfité de leur pofition, ainfi qu’aux individus
d’une même efpèce , félon la diversité
çles éiémens qui modifient leurs formes,
& des influences qui ont fur eux quelque aâioit.
Le cara&ère relatif eft une indication plus particulière
des facultés relatives aux différens genres
de propriétés dont la nature a doué certaines
efpèces ou certains individus, 8c qui fait reconnoître
à quel emploi ils font plus fpécialement
deftinés.
Au moral, le cara&ère eflentiel eft celui qui
confifte dans l’uniformité des habitudes générales
qui forment l’inftinâ particulier de chaque efpèce
d’êtres, 8c qui indique d’une façon confiante 6c
toujours la même leurs inclinations , leurs goûts
dcqninans 6c les penchants qui tenant à la nature
même de leur organifation , ne peuvent jamais être
détournés par les caufes accidentelles. Le cara&ère
diftinâif eft celui que les accidens particuliers de
L’organifation , que les circonftances , les inftitu-
tions fociales, 8c toutes les exceptions qui font
dans l’ordre même de la nature, rendent propre
à tel ou tel individu , ou à telle gu telle partie
d’une même efpèce ; ce n’eft enfin qu’une modification
locale ou momentanée du cara&ère effen-
tiel. Le cara&ère relatif eft l’empreinte où le développement
particulier de certaines qualités analogues
à telle ou telle fin , & à telle ou telle
manière d’être , 6c qui indique à quoi tels ou tels
êtres font propres ; il défigne une corrélation entre
ce que l’on paroît & ce à quoi l’on eft propre.
Ces diftinâions & définitions vont nous expliquer
les diverfes acceptions du mot cara&ère, 8c
l’on verra que ces différentes fignifications que
l’ufage confond fifoùvent, répondent précifément
à la diftinéfion qu’on vient d’établir.
Significations & acceptions du mot cara&ère.
On dit en parlant du même objet, du même
être, du même ouvrage , il a du cara&ère, il a
un cara&ère, il a fon cara&ère ; ce qui ne fignifie
pas la même chofe, quoique dans le langage
ordinaire on s’y méprenne, puifque , comme on
le verra , fur-tout dans les ouvrages de l’a rt, une
chofe peut, avoir du eara&ère ou un cara&ère , fans
avoir pour -cela fon cara&ère.
Quand on dit d’un être quelconque , il a du
cara&ère y ou il y a en lui du cara&ère, on veut
exprimer par cette manière de parler je ne fais
quoi de grand, de fort, d’impofant, que l’on a
fouvent de la peine à déterminer. Dans cette acception
du cara&ère, on veut dire cara&ère par excellence
, celui de la force , 6c qui eft le cara&ère
ejfentiel, tel que je l’ai défini, c’èft-à-dire, ces
traits énergiquement prononcés qui tiennent à
l’eflence des êtres.
A in fi, lorfque vous dites au phyfique cet
homme a du cara&ère, c’eft.comme fi vous difiez
cet homme eft tellement conformé, fes traits font
tellement écrits 6c prononcés, qu’il s’éloigne le
plus poffible des traits de la conformation d’une
femme ou d’un enfant. C ’eft dans ce fens qu’un
homme .fait a plus de cara&ère qu’un jeune homme:
l’homme qui n’aura point du cara&ère fera celui
dont les traits peu ou mal développés, 6c dont
la conformation équivoque fe rapprocheront le plus
de la rondeur de l’enfant ou de la molleffe de la
femme. Quand on dit d’un homme au moral qu’il
a du caraâère, c’eft comme fi l’on difoit cet
homme a des habitudes fortement prononcées,
& particuliérement celles qui conftituent l’effence
morale d’un homme. C ’eft fur-tout dans la force,
la gravité, le férieux , la févérité , l’inflexibilité
que réfidera ce cara&ère dans toutes les qualités
enfin qui s’éloigneront davantage de l’enjouemenr,
de la grâce, de la légèreté qui conftituent le caractère
d’un âge 6c du fexe dont le cara&ère e ft , pour
ainfi dire, de n’en avoir pas,
Ainfi dans ce fens , du cara&ère fignifie caractère
par excellence, cara&ère de force ou eflentiel.
Lorfqu’on emploie ce mot dans fa fécondé
acception,- comme lorfqu’on dit de tel objet ou
de tel être, il a un cara&ère, on veut Amplement
parler de ces nuances qui modifient à l’infini tous
les objets d’un même genre, tous les individus
d’une même efpèce. Je m’explique.
Nous avons vu que cara&ère, dans fon étymologie,
ne fignifioit autre chofe que marque ou
figne diftinéfif quelconque. Nous avons vu que
cara&ère eflentiel, qu’on exprime par cette acception
du cara&ère, voiüoit dire la marque indicative
des qualités effentielles qui conftituent d’une
manière énergique & prononcée les grandes dif-
tinélions_de la nature; maintenant lorfque vous dites
d’un être il a au plfy fique un cara&ère, vous ne parlez
plus de ces grandes diftinâions , mais des nuances
individuelles plus ou moins diftinâes dans chaque
être de la même efpèce. C ’eft comme fi vous
difiez il a un figne diftinâif, quel qu’il foit, de
facultés foibles ou fortes, grandes ou petites , qui
n’appartient qu’à lui. Quoique chaque être ait bien
réellement une configuration diftinâe des autres,
& par conféquent un cara&ère, cependant vous
ne le dites que de ceux qui ont une modification
particulière plus expreffément écrite. C ’eft ce
qu’on dit par exemple de la phyfionomie, chaque
homme a la fienne ; mais on ne dit d un homme
qu’il a une phyfionomie, que lorfqu’elle offre quelque
chofe d’affez remarquable pour différer fen-
üblement du commun des phyfionomies. Un
être a donc | un cara&ère , îoriqu’on obferve en
lui une modification individuelle, qui différé d une
manière faillante des autres. Il eft un grand nombre
d’êtres qui fe rapprochent tellement par la
conformation extérieure , qu’on ne fauroit dire
d’eux qu’ils ont un cara&ère. Lorfqu’on dit d’un
homme au moral , qu’il a un cara&ère,. on entend
que le genre de fes habitudes forme une nuance
diftinâe des habitudes des autres hommes , fans
qu’on donne à entendre do quelle nature elles,
sont ; ©n veut dire qu’une combinaifon parûcurlière
de goûts, d’inclinations, fait remarquer fon
organifation morale,' comme bien diftinâe des
autres. Dans ce fens on peut avoir un cara&ère^
fans avoir du cara&ère. Il y a des hommes qui
ont l’un 6c l’autre; il y en a beaucoup plus,
fur-tout dans les fociétés des villes , qui n’ont ni
l’un ni l’autre.
Ainfi , fous cette acception , cara&ère n’emporte
avec lui aucune relation particulière à telle ou
telle qualité, à telle ou telle propriété; c’eft comme
fi l’on difoit Amplement, cet être à un figne qui
le diftingue des autres : cara&ère alors fe rapporte
à celui que j’ai appellé cara&ere difiin&if.
Quand on dit d’un objet ou d un être, il a fon
cara&ère , fur-tout lorfqu’on y joint le mot de
propre ( 8c c’eft toujours ce qu’on entend lors
même qu’on fupprime cette épithète ) , on veut
dire que tel objet ou tel être emporte avec lui
la marque indicative de ce à quoi il eft propre :
cette acception comporte l’idée de propriété à
quelque chofe , à un emploi quelconque.
Ainfi,-dans cette troifième acception., lorfque
vous dites d’un homme au phyfique, qu il a jon
cara&ère propre , cela fuppofe que vous connoiflez
déjà les facultés dont il eft doue, & que vous
trouvez entre ce qu’il eft 6c ce qu il paroît, une
relation exaâe. Suppofez un homme capable de
tel ou tel genre de force , d’adrefle , d exercice ,
de légéreté, vous dites qu’il a fon cara&ere propre,
lorfque fes proportions, fa conformation , fa muf-
culature, &c. vous paroiffent conformes à 1 emploi
auquel la nature l’a deftiné, 8c font capables
de vous apprendre ce à quoi il eft propre. Au
moral, vous direz d’un homme qu’il a fon caraco
tère propre , lorfque fes habitudes ou fa conformation
morale font en rapport avec la place ,
l’état, la profeftion , la manière d’être pour laquelle
il fembloit né , 8c à 1-aquelle il s eft livre j
on comprendaffez, lans qu’il foit neceffaire de 1 expliquer
, que ç’eft dans ce dernier fens quon applique
le mot de cara&ère , lorfqu’on dit d’un guerrier
, d’un artifan , d’un poete, d’un maître, d un
efclavé, il a fon cara&ère, c’eft comme fi l’on difoit :
le développement de fes qualités morales^annonce
qu’il eft propre à ce qu’il eft, à ce qu’il fair.
Ainfi cara&ère , quand on dit fon cara&ère propre%
ne veut pas dire le cara&ère qu’on a en propre, mais
celui qui eft approprié à l’emploi pour lequel il
eft formé ; & c’eft celui que j’appelle carafière
relatif.
Je reviens toujours à l’étymologie du mot. Ou
eft convenu que cara&ère ne pouvoit être autre
chofe que le figne ou la marque diftinâive d’ira
objet. Caractère dans chacune de fes acceptions
indique donc toujours une marque diftin&iye >
mais qu’on n’applique aux objets qu amant quelle
fe fait reconnoître d’une manière faillante 8c prononcée
« Ces Agnes diftinâifs déjà fi multipliés.
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