
fon Arpinate , ou il étoit né , c’eft-à-dire la maifon
de campagne qu’il avoit dans le territoire d’A rp in ,
v i l le , non de la T o fc an e , comme le dit More r i ,
mais à i’extrémitité de l’ancien La tium, oppofé
à la T o fc an e , environ à cent milles de Rome.
Elle méritoit encore à plus d’un titre ia pré-
-dileâion de l'orateur romain. Sa fituati®n étoit des
plus agréables : elle s’élevoit fur les bords de la
rivière appcllée anciennement Fibrine, dans l’endroit
où elle forme une petite île avant de fe
jetter dans le Ly ris. Elle n’étoit qu’une métairie
félon les moeurs antiques, dans le tems que C icéron
y naquit du vivant de fon grand-père : mais
fbn père même l’avoit rtconftrujte avec la magnificence
que le ton des nouvelles moeurs exigeoit.
C e lieu eft entre Arpin & S o ra , à environ fix
milles du premier & à trois du fécon d , un peu
moins d'un mille au-deffus du lieu appellé Vlfola,
dans l’endroit où eft i’églife de S. Dominique.
C e tte églife n’en occupe pas feulement le lie u ,
mais elle eft bâtie de fes matériaux. On vo it dans
fies murs ces groffes maffes de pierre qu’em-
p îe yo ien t les anciens : ils font formés de matériaux
qui annoncent l’ancienne magnificence de
c e lieu. On y apperçoit plufieurs pierres, qu’on
reconnoît pour des çaiffons de foffites par les rofes
dont elles font chargées : on en trouve d’ autres,
auxquelles on n’a pas ôté les cara&ères propres
de la frife dorique qu’elles compofèrent. Les co*
lonnes de granit réduites en tronçons dans le fou-
te r re in , étoient fans doute de quelque portique
de cet ordre. Ce tte églife eft fituée juftemem à
l ’endroit où l’on vo it l’île formée par le Fibrène.
L ’ î l e , de la grandeur que lui donne C ic é ro n , c’eft-
à-dire de celle d’une paleftre , n ’eft maintenant
qu’ un champ ; mais on v o it bien quel riche parti
l ’on put en tirer. C ’étoit le lieu favori où fon
ijlufire poffeffeur fe re tiro it, pour é c r ire , pour
méditer ou pour lire. Mo loco hbentijjîmi Joleo uti
five quid mec\im ipfe cogito Jîve'dliquid Jcribo aut lego.
Atricus ne pouvoir fe raffafier de fa vue . Les fomp-
tueufes mofaïques, les fuperbes lambris, 'les mis
& euripes, c’ eft-à-dire, les plus curieufes pièces
des plus magnifiques maifons de campagne,
lui paroiffoient milérables en comparaifon de la
verdure & des ombres, des belles eaux & de tous
le s charmes que la nature avoit prodigués à ce
lieu. L e Fibrène en e fflt en cet endroit a dans
l ’un & l’autre de fes deux bras line égale grand
e u r , une rapidité agréable & une fraîcheur qu’il
fire en partie des eaux de neige dont il fe forme ,
fraîcheur que Cicéron dit lui-même n’avoir ja*
mais rençontrée dans les nombreufes rivières qu’il
a v o it eu oçcafion de voir. La falubriré de l’air
n e le cédoit point à l’aménité de la fituation , &
fon pofieffeur s’efforçoit çl’en allçr jouir, fur-tout
dans ! a fai fon critique.
Ce tte petite île du Fibrène n’eft pas éloignée
d’ une autre plus grande que forme le Ly ris , &
Çn’cççupe apjoprd’hpi Iç bonrg ap p e lé çl’çlfê
Vlfola. Dans l’endroit même où elle fend le fleuve l
I elle lui fait faire deiyt ch ûtes, dont la première
à droite eft toute brufque & a plus de trente
pieds de hauteur, & la fécondé ne femble inclinée
fur un talus de plus de foixante pas, que
pour réunir les deux plus beaux fpe&acles qu’on
peut avoir dans le même genre. D ’après tous ces
caraélères, on peut conclure que cette première
maifon de Cicéron dut fon plus grand prix aux
beautés naturelles.
Mais la magnificence romaine fut déployée
dans la fécondé , qui fut fon Tufculanum, dont la
fituation certaine fut vers Grotta Fer rata. L ’eau
Crabra qu’on y v o it , & pour laquelle Cicéron
dit qu’il payoit une rente aux T u fcu lan s , fuffit
pour convaincre que les ruines antiques des fon»
demens & des fabriques qui fubfiftent, font celles
de la maifon de campagne où furent compofées les
Tufculanes.
Cette campagne avoit appartenu au grand Syllai
Cicéron n’eut garde de toucher à la peinture d’un
des événement de la guerre Marfique , que ce
général y avoit fait p la c e r , puifque c’étoit fous
l u i , & dans cette même gu e rre, qu’il avoit fait
fes premières armes. Mais du refte le lu x e , ou
du moins le goût du dida teu r, ne fatisfit point
le conful. Cicéron donna à tout une forme nouvelle
; il alla jufqu’à s’endetter pour l’embellir.
Tufculanum & Pompeianum valde me deleSlant nifi
quod are non Corinthio me obruerunt. A d A ttic . lib. 2 ,
ep. i .
La conftru&ion en étoit des plus nobles. Elle
étoit compofée au moins de trois grands corps
de bâtimens. Les bois les plus agréables, les plus
belles eaux s’y faifoient remarquer : mais les
embelliflemens intérieurs en faifoient le plus grand
mérite. Cicéron s’y étoit épuifé pour orner cette
campagne des chefs-d’oeuvre de la G r è c e , des plus
rares fculptures, des portraits des grands hommes,
qu’Atticus fon ami s’étoit chargé de lui acheter
dans le pays même. Il vouloir que cette maifon
devînt un petit abrégé de la Grèce. C e qui dif-
tinguoit cette patrie des feiences & des a r ts , étoit
fur-tout la philofophie des fa meules écoles d 'A thènes
, de l’Académie, célèbre par fa fubïime
métaphyfique, du L y c é e , oùrégnoit la plus fubtile
logique , fans compter le Portique , qui fe piquoit
de la plus héroïque iporale. Les poinrs philofo-
phiques propofés contradidoirement y étoient difr
entés avec autant de profondeur que d’éloquence.
Cicéron aimoit fa pairie de toutes les manières
dont on peut l’aimer : il auroit voulu qu’elle ne
pût le céder à la Grè ce en matière de lettres
même ; il entreprit de prouver que les lettres latines
n’étoient pas moins capables que les grecques
des exercices les plus relevés. Il conftrii'fir des
lieux exprès dans fes campagnes, & fous les noms
qu’avoient ceux du pays qu’ il vouloit que le fien
égalât.
, Daps les trois grands bâiimens dont j ’ai dit que
fe compofo'it fon Tufculanum, étoiefit pratiqués
un lycée & une académie : le premier renfermoit
la bibliothèque, & étoit entouré d’a llé e s, pour
faire ces promenades qui donnèrent le nom à la
fefte péripatéticienne : l’autre ne manquoit pas du '
bois qui fe trouvoit dans le lieu- qu’Academus
donna à la philofophie. Ce s noms ne furent pas,
comme tant d’autres noms étrangers , appliqués,
par la vanité romaine, à des objets domeftiques.
Les lieux qui les portèrent furent des fan&uaires
de philofophie, plus de fait encore que de nom.
Un fi noble ufage du Tufculanum en doit faire
pardonner d’autant plus facilement le lu x e , qu’il
y étoit tout dirigé vers le même objet. Dans les
ltatues que Cicéron aeketoit à fi grands fra is, la
première qualité qu’ il exigèok-étôît qu’elles fuffent
dignes de fon académie. Celles qui lui plaifoient
le plus étoient ces termes dont les corps étoient
de marbre grec du mont Pentelique, & les têtes
de bronze : le grand nombre qu’il en a v o it , leur
rapport à fon académie, & fans doute à fon l y cée
, & l’ufage le plus commun des termes dans
ces temps, tout prouve que c’étoit une fuite de
grands hommes de la G r è c e , fur-tout de philo-
fophes. D ’après ces détails, on peut juger de la
beauté de cette maifon de campagne , ornée des
raretés de la Grèce par le plus grand connoiffeur
de Rome.
Mais on jugera mieux encore des maifons dé
campagne des Romains par celles de Pline le jeune,
& dont il nous a fait lui-même la defeription &
les plans les mieux détaillés. O n verra qu’outré
la grandeur, la magnificence , les commodités &
les délices qui fe trou voient réunis dans leurs
habitations champêtres, les anciens favôient encore
s’y procurer des avantages, qu’ils tiroient de
la fituation des lieu x , des expofitions les plus
favorables à la fanté , & à une forte de volupté
que les hommes fages trouvent à jouir de l’air
le plus tempéré & le plus p u r , félon les différentes
faifons, & malgré l’inconftance même dès
temps, l is avoient l’art de profite r, en architecture,
de tout ce qu’un pays offre d’agréable aux
yeux & à l’e fp r it , de quelque nature & en quelque
fituation que ce puiffe être. Parmi le grand
nombre de logemens qu’enfermoit la maifon de
campagne de Pline à Laurentum, il y en avoit
où l’on pouvoit jouir de la vu e & du bruit même
de la m e r ; d’autres plus retirés au milieu des
jardins, ne recevoient ce bruit que de fort loin ;
d’autres n’avoient ni la vu e ni le bruit de la mer,
& jouiffoient du calme le plus profond. En chacune
de ces différentes fituations , il y avoit des
appartenons & des chambres de jour & de nuit
des falles d’affemblées & de feftins. Ce tte maifon
étoit fituée à dix-fept milles de R om e , du côté
à’Ojlia, fur le bord de la mer. Il n’exifte aujourd’hui
que des doutes & des difputes fur fon emplacement.
Une autre maifon de campagne de Pline
etoit en T o fc an e , du côté de la petite v ille qu’on
Architecture, Tome J,
appelle aujourd’hui Borgo fon fepolcro ; elle étoit
fort éloignée de la- m e r , & dans une fituation.
toute différente de la précédente.
Ces deux maifons de campagne n’etoient pas les
feules qu’il poffédât ; il en avoit encore une à
Tufculum (Frefcati), une à Tibur {Tivoli} , une
à Prenefte ( Palejlrïna) , deux fur l e ia c de Co rn e ,
l’une efearpée & fituée fur des rochers , 1 autre en
b as, & prefque à fleur d’eau ; il appelloir l’une
Tragedia, & l’autre Comedia. O n v o i t , par la fo r tune
que de pareilles habitations fuppofent, que
cet écrivain orateur & épiftolaire, mais qui dans
c e moment ne fe préfente à nous que du cote
de l’archite&ure , peut être regarde comme un
propriétaire riche & de bon g o û t , dont les pof-
fefiions étoient délicieufes, & qui ne devoir le
céder qu’ à très-peu de Romains de fon temps.
Je vais rapporter en 'entier les deux lettres de
Pline le jeune, dont j’ai tâché de faire pafler dans
cette tradu&ion nouvelle , l’efprit & le véritable
fens.
P l i n e à A p o l l i n a i r e .
u J’ai été des plus fenfibles à l’ intérêt que vous
m’avez témoigné , & aux alarmes que vous z
caufé le projet que j’avois formé d’aller paffer
l’été dans ma maifon de Tofcane. Vous avez effayê
de m’en détourner, parce que vous en cro y e z
l ’air mal-fain : o u i, fans doute , il l’eft fur les
côtes , & dans toute l’étendue du canton fitué le
long de la mer : mais ma maifon en eft fort
éloignée ; elle reçoit au contraire , de UApenniiï
qui la domine , l’air le plus v i f &. le plus falubre ;
& pour vous raflùrer entièrement fur mon compte,
je v eu x que vous fo y e z inftruit de la température
du clima t, de la nature du p a y s , & des agrè-
mens de ma campagne. V ou s fe r e z , je penfe %
aufli charmé d’en lire le r é c it , que moi de vous
le faire.
» Vous faurez d’abord que l’h iver, dans ce p a y s ,1
eft froid & même rude. Le climat n’y fouffre pas
le myrthe , l’olivier , :ni toutes les autres productions
qui demandent une douceur de température
habituelle. Le laurier pourtant s’y plaît ; il s’y con-
ferve fort v e rd , & a v ec aufli peu de^ danger qu’aux
environs de Rome. En re v an ch e , l ’été y eft d’une
douceur admirable.; l’air y eft fans ceffe rafraîchi
par l ’haleinè des v en t s , qui femblent y refpirer
plutôt qu’y fouffler. Au fii faut-il voir le grand
nombre de vieilla rd s, d’aïeux & de bifaïeux que
nous avons ic i; il faut entendre fur-tout les v ieu x
contes des jeunes g en s , & les hiftoires des grands-
pères : fi vous y v e n ie z , vous vous croiriez de
l’autre fiè c le .:
» Rien de plus beau que la pofirion du pa ys.
Imaginez un immenfe amphithéâtre, & tel que
la main de la nature feule peut en former. Une
large & vâfte plaine eft environriée de montagnes-,
dont -le fommet eft couronné par de hautes &
i F f f