
fur des termes. Il nous en eft parvenu qui n’ont j
outre la t ê te , que le col 8c une portion de la poitrine.
Il eft vrai qu’un grand nombre de ces têtes,
dont on a fait des bufles, fit jadis partie des fta-
tues dont on les a arrachées 8c auxquelles on les
appliquoit à volonté. O n ne fauroit deviner aujourd’hui
de quelle façon précifément ces têtes
étoient fupportées. O n n’a rien trouvé qui ref-
femblât à la forme de nos piédouches. L ’on croi-
xoit que la plupart des bufles antiques'qui ne peuv
en t fe foutenir aujourd’hui qu’à l’aide d’un pied ,
fe plaçoient autrefois dans des niches rondes 8c
o v a le s , où ils étoient incruftés 8c fcellés.
L ’ufage des bufles fut très en vogu e chez les
Gre cs , fous la forme des hermes : les Romains en
firent venir de G rè ce en très-grand nombre. C i céron
avoit chargé A t ticu s , fon ami, de lui acheter
à Athènes tout ce qu’il trouveroit en ce genre :
i l vouloit en faire l’ornement de fa bibliothèque.
Le s Romains multiplièrent à l’infini ces fortes de
repréfentâtions. D eu x c a u fe s , dit le comte de
C a y iu s , favorifèrent cette multiplication à Rome.
L a première de ces caufes fut l’ufage que les
Romains avoient de placer dans les veftibules de
leurs maifons, connus fous le nom d'atrium, les bufles
de. tous leurs parens défunts, avec une infcription
renfermant leurs n om s, furnoms & qualités, 8c
de les repréfenter a vec leur habillement o rdinaire,
ou avec celui de la plus grande dignité dont ils
avoient été revêtus. Il faut convenir que ces
attentions contribuoient effentiellement à faire
étudier la reffemblance , en même temps qu’elles
produifoient une agréable variété pour la déco-,
ration. La vanité avoit autant de part que le fen-
timent à cette pratique des Romains ; & la fu-
perftition fervoit encore de prétexte à cette v a nité.
Non-feulement ils faifoient participer ces
bufles, par leurs habillemens de deuil ou de fê te ,
à tous les événemens heureux ou malheureux de
leurs familles ; mais i l s les faifoient porter à leurs
funérailles. Plus ces bufles étoient nombreux ; plus
la marche étoit pompeufe & plus la famille atti-
roit les regards. D ’ailleurs , quelques-unes de ces
cérémonies étoient liées au culte des dieux mânes
ou domeftiques. A in fi on pourroit c ro ir e , qu’in-
dépendamment du crédit & de la fuperftition,
le gouvernement cherchoit à entretenir ces objets
de morale, dans la v u e d’adoucir la férocité qui
n’eft que trop naturelle aux hommes, & principalement
à ceux qui compofent une nation
guerrière.
La fécondé caufe fut l’ufage où étoient les R o mains
de placer un grand nombre de bufles dans
leurs maifons , leurs bibliothèques , leurs bains ,
leurs jardins, enfin aux deux côtés de leurs portes.
Les bufles pour cette dernière deftination étoient ordinairement
à deux têtes , pour la décoration intérieure
& extérieure, 8c ils étoientpofés fur desmaf-
fifs qui formoient la p o r te , laquelle paroiffoit ordin
aire ment libre 8c dégagée de tout bâtiment. Le goût
qu’ils avoient pour la fculpture s’étendoit plus loin
que leurs villes & que leurs maifons : leurs campagnes
é to ien t, pour ainfi dire , couvertes de dieux
termes, 8c leurs chemins de Mercures & d’autres
dieux tutélaires.
Si je devois parler des bufles ; par rapport à l’art
de les faire , ce fujet me fotsrniroit de nombreufes
obfervations : mais celles font particuliérement du
domaine de la fculpture, & fe lient uniquement
à la pratique d’un art dont les relations avec celui
que je traite ne font pas toujours dire&es. Je ne
dois confidérer ici les bufles que comme un ornement
d’architeéhire. A v an t cependant de parler
de l’emploi de cette efpèce d’ornemens, & de la
manière dont ils peuvent figurer dans la décoration
des édifices, je' me permettrai quelques réflexions
fur le goût 8c le ftyle que la fculpture
devroit préférer pour la çompofition & l ’exécution
des bufles.
C e n’eft pas loffqu’il eft queftion d’art & fur-
tout de fculpture, qu’on doit craindre d’être taxés
de partialité dans la préférence qu’on donne aux
Grecs fur tous ceux qui les ont fuivis. Tou s les
efforts qu’ont faits les modernes pour fortir du
cercle des inventions des Grecs , n’ont fervi qu’à
défabufer de toutes ces vaines tentatives. C e 'cercle
a été tracé par la nature elle-même. Hors de lui
point de vérité. Je voudrois donc qu’on revînt
au principe des Grecs dans Tart des bufles ; &
peut-être n’y a-t-il point de genre de fculpture
où il nous foit plus facile de nous rapprocher
d’e u x , comme il n’y en a pas dans lequel nous
nous en foyons peut-être plus éloignés.
On vo it bien que j’entends-par l’art des bufles;
l’art des portraits qui en compofent aujourd’hui,
comme au tre fois , le plus grand nombre.
Quand les modernes accufent leurs moeurs J
leurs coftumes & leurs Tiabillemens d’être les
premiers ennemis de la vérité 8c de la beauté
dans les arts du deffin, il faut bien être d’accord
avec eux. Rien de plus vrai fans d ou te , fur-tout
pour la fculpture : je ne connois pas de. meilleur
moyen d’anéantir cet a r t , que de le réduire à
l’imitation de nos coftumes & de nos formes d’habillement.
La repréfentation des grands hommes
contribua, chez les G re c s , à la perfection & au
développement de la fculpture. La repréfentation
de nos grands hommes, telle qu’on l’a pratiquée
jufqu’à p ré fen t, accélérera le dépériffement de
cet art. La caufe en eft fenfible. Les Gre cs,
dont les habillemens étoient des plus favorables
aux arts, préférèrent cependant de repréfenter
leurs grands hommes nuds. Greeca res e(l nihilvelare.
Plin. L . '3$. Les modernes, dont les vêtemens
font incompatibles avec les arts, préfèrent, dans
les images de leurs grands hommes, la repréfentation
de leurs habits à celle de leurs corps. Si
la fculpture confifte prefqu’enfièrement dans l’imitation
du corps humain, il faut avouer qu’elle
confifte on ne peut pas moins dans l’imitation de
toutes les formes mefquines ou burlefques dont
fe compofent les vêtemens modernes.
Je n’ai jamais trop conçu quel fi grand intérêt
pouvoit attacher les modernes à cette exaéte imitation
de coftume dans les effigies des grands
hommes. Eft-ce une efpèce de lceau particulier
qu’ils veulent leur imprimer pour empêcher de les
confondre avec ceux de l’antiquité ? Mais que de
moyens il y auroit pour empêcher cette équivoque
, 8c d’ailleurs quel honorable rifque ! V eu-
lent-ils par-là tranfmettre à la poftérité l’hiftoire
de leurs habillements ? Q u e l trifte préfent à lui
faire ! Ou nos fucceffeurs feront en ce genre plus
ridicules que n o u s , ou ils le feront moins:dans
le premier c a s , que nous importe leur fuffrage ?
Dans le fécond cas , que de rifées nous apprêtons
à nos dépens !
Et dans tous les c a s , quelle puérilité que de
charger nos grands hommes de l’emploi ridicule
d’apprendre aux fiècles futurs les modes bifarres
du nôtre !
Je conçois.encore moins la condefcendance des
artiftes pour de tels p ré ju g é s -d an s la repréfentation
des portraits ou dans W r t des bufles. Car
enfin on n’a point à o b jeâ er en ce genre les convenances
fociales qui' femblent être* les plus fortes
raifons du fyftême moderne dans les ftatues ( Voyeç
Statue ). Je t ro u v e , au contraire, toutes fortes
de motifs pour revenir dans ce genre au ftyle
des anciens 8c à leur fyftême de nature.
Le büße ne repréfentant que la partie fupérieure
du corps , & plus particuliérement encore la tête ,
ne peut jamais tranfmettre\la copie fidelle de
nos habillemens : rien par conféquent ne fe prête
plus naturellement à l’imitation des bufles antiques.
Quel que foit le prix que l’on attache à l ’expref-
fion de nos coftumes , le facrifice qu’on en feroit
dans la çompofition des bufles ne fèroit pas coûteux
; mais, à coup sû r , on gagneroit beaucoup
en fe rapprochant au goût antique, par le chan- .
gement néceffaire de la coëffùre, cette partie de j
nos modes la plus abfurde & la plus antipathique j
avec la fculpture.
Quand un peuple change tous les jours de modes
ou de formes d’ajuftement, l’art qui fe charge d’imiter
un pareil m odèle , ne devient à la fin qu’un plat
hiftrion , propre uniquement à contrefaire fes ridicules
&. finger fesmanières. Mais l’art de la fculpture
ne doit pas fe dégrader par une telle fingerie.
Cet art doit imiter la nature avant d’imiter vos
modes ; & fi vos modes font contraires à la nature,
il doit fe refufer à vos caprices ; ne vous
y trompez pas , il s’y refufe fans que vous y
penfiez. Vous cro y e z avoir de la fculpture dans
Vos portraits : vous n’avez que des marbres taillés.
Si la nature eft de tous les temps 8c de tous
ses .pays, fon imitation ne . s’en .trouve pas moins
bien des fois gênée & contrariée par les moeurs
des temps 8c les ufages des différens pays : les
modernes en ont fait la trifte expérience. Che z eu xie
clima t, la relig ion , les bienféances fe font réunies
pour cacher aux arts leur modèle : de-là leur
foibleffe..Nous ne faurions nous le diffimuler ;.nos
arts n’ont jamais reçu que quelques reflets de la lumière
qui brilloit aux y e u x des Grecs ; mais il
fembleroit que les mêmes raifons ne devroient
point s’oppofer à l ’art des bufles ou des portraits,
q u i, confiftant dans la repréfentation du vifage ,
ne fauroit rejetter fa foibleffe fur la privation
habituelle de la vu e de fes modèles.
Cependant combien les bufles modernes, indépendamment
des ridicules de tous leurs accef-
fo ire s , ne font-ils pas inférieurs à ceux des Grecs !
Je crois voir la caufe de leur mauvais goût dans
les préjugés populaires , 8c les principes vicieux
d’imitation qu’ont adoptés nos artiftes.
Les préjugés populaires font l’obfervance ex afle
des détails d’habillement & de coëfîùre qu’on exige
de l’artifte, & par lefquels l’artifte a trop habitué
le public à juger de la reffemblance. L e v ice des
principes fient à des habitudes devenues générales
dans nos moeurs & nos arts , 8c à des habitudes
de détail particulières à ce genre. Si quelque chofe
caraâérife les portraits modernes , c ’eft le manque
abfolu de caraéière. C e défaut, devenu fi général
dans les copies de l’a r t , a bien fa fource aufli
dans les modèles qu’il imite. Les p'hyfionomies
de chaque peuple 8c de chaque fiècle fuivent les
variations de leur ca raâ è re ; & lorfqu.e tout concourt
à effacer chez un p eu p leles traits prononcés
de fes habitudes morales, l’expreflion énergique
des affetfions & des fentimens, la phyfionomie
qui prend l’uniffon de l’ame n’offre plus à l ’art
que de légères furfaces fur lefquelles il gliffe né-
ceffairement, fans pouvoir faire dimpreflions durables.
Le défaut de caraélère tient donc effentiellement
à la nature même des originaux.
Mais Tartifte n'a-t-il pas à fe reprocher dans
ce g en re , ou une complaifance outrée pour des
ridicules qu’il devroit combattre, ou des vices
même qui lui font perfonnels ? Et d’abord n’eft-ce
pas lui qui difpofe des attitudes & de l’ intention
de fes portraits ? Q u e lignifient donc ces airs de tête
affétés, ces pofitions maniérées qui donnent à fes
bufles l’expreflion outrée d’un mime qui charge
& compofe fes traits ? En fuire, pourquoi cette
affe&ation perpétuelle d’un fourire infipide 8c d’une
gaieté fans motif, qui contribue encore à ôter aux
figures toute efpèce de caraûère? Pourquoi, ces
y e u x hors de la tête & ces prunelles perforées
a v ec un art menfonger? Pourquoi cette imitation
fi minutieufement fcrupuleufe de tous les petits
détails, des poils’ , des fourcils, des accidens même
de la nature, & qui ne tendent qu’à rapetifler
l’effet du cara&ère, fans ajouter à celui de la
reffemblance , dout le fecret confifte dans le fen-
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