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» Cette diftribution doit être le chef-d’cèi'fVre du
goût, parce qu’elle doit tempérer ici ce qui aurait
trop de faillie, foutenir là ce qui paroîtroit trop
ifo lé , cacher les étranglemens, & fe prêter partout
à la perfpe&ive, foit qu’elle trancne fur l’horizon
, ou qu’elle fe perde dans le lointain. Les
intérêts même de chaque faifon doivent être balancés
& ménagés, de forte que chacune ait fon
règne. Les pêchers & les ceriliers à belles fleurs,
forment un amphithéâtre enchanté pour le printemps ;
les acacias, les frênes, les planes donnent des
berceaux de. verdure pour l’été ; l’automne a fes
failles à branches pendantes, fes trembles & fes
peupliers à feuilles fatinées ; & l’hiver fes cèdres,
fes cyprès & fes pins. Comme la proieétion des
collines & des monticules eft très-yariee, les ar-
briffeaux font pour les endroits où la pente efh
plus douce ou brufquement rompue par des avan-
cemens & des landes. Dans les faces qui font coupées
à p ic, ou avancées en demi-voûtés, ou élevées en
précipices, les rochers dont elles font hériffées,rie
laiffent d’efpace que pour des arbriffeaux ifolés,
qui en augmentent l’air fauvage, & tranchent fur
leurs erouppes bizarres.
» un petit vallon, entouré de collines & de
monticules forme , par lui - même un payfage
riant & fait pour le pîâifi'r des yeux. Plus l’enceinte
en eft irrégulière, échancrée & tortueufe, plus il
offre de variétés, félon les divers points de vue.
De quelque côté qu’on en parcoure les' bords,
l’ordonnance en paroît changer à chaque pas, &
offre un nouveau tableau. Les Lenôtrc chinois travaillent
fur cette idée, les différentes formes qu’ils
ménagent aux vallons - des jardins de plaifance ;
& c’eft auffi fur cette idée qu’ils affortiffent les
omemensdont ils les embelliffent. Plus un jardin
eft varie, plus il y a de ces petits vallons ; mais
aucun'ne reffemble à l’autre. Celui-ci eft alongé
comme le niveau de nos grandes ailées, puis fe
courbe à une de fes extrémités pour fe cacher où il
font; celui-là s’étend , s’élargit, fe déploie dans
ion centre, & s’ouvre des. iffues de toutes parts ;
J’un paraît fe rétrécir par degrés, & feinble finir
fous l’horizon ; l’autre s’arrondit en cercle, & paroît
s’ifoler & fe détacher de tout. Les paffages qui
conduifent d’un vallon à l’autre, font fi négligemment
difpofés , que rien n’y prépare à la iurprife
des regards & au doux treffaillement de l’ame,
quand on découvre tout le baffin. Comme leur enceinte
s’alonge ou s’accourcit, s’étend ou fe ref-
ferre, s’enfonce ou s’avance, félon l’endroit par
où l’on s’en approche, on croit toujours la voir
pour la première fois. Les changemens de chaque
faifon ajoutent au charme de l’illufion, & en augmentent
le plaifir, ainfi que dans les campagnes.
Mais ce n’eft que par les yeux qu’on peut comprendre
jufqu’où l’on eff touché de trouver ainfi des
prairies émaillées de fleurs , des champs couverts
cfe moiffons, des pièces de terre labourées, avec
fours filions arrondis, leurs bornes, &; leurs foffés
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.couverts de fôfeaux. Si l’on y réftèontfî duelqit^
carrés ou quelques bordures de fleurs cultivées,
leur peu d’étendue femble annoncer que c’eft une
licence pour laquelle on demande grâce. Les
Chinois fe paffent du brillant & de l’éclat des
décorations étudiées, parce qu’ils poffèdent fupé-
rieurement l’art d’animer le payfage de leurs jardins
par les eaux qu’ils y conduifent, la façon dont ils
les diffribuent, & le parti merveilleux qu’ils en
tirent.
» Si la fource d’un ruiffeau eff élevée & domine
leurs vallons, ils ne la' font defcendre que par
cafcades & en gradins, c’eft-à-dire, en tombant
de rochers en rochers par des détours & des chûtes
où il fe perd, pour reparoître d’une manière d’autant
plus irrégulière, plus capricieufe, & l’effet
feul de la fuite. Au défaut de cette grande reffource,
ils fe fervent de toutes les pentes du terrain, pour
former de petites chûtes bruyantes, en arrêtant le
cours des eaux par des éclufes, & en les faifant
revenir comme fur elles-mêmes par des détours
finguliérement imaginés, pour les conduire à des
chutes plus profondes. En Occident, toutes les
pièces d’eau font arrondies au compas, ou alignées
à l’équerre. Au contraire , on ne craint rien tant
ici que la régularité des figures. Elles font tellement
difpofées & o u v e r te sq u ’il femble que les
eaux fe font creufé ellesr-mêmes leurs bafîins, dont
la forme eff comme l’ouvrage de leur féjpur ou
de leurs cours, & dont elles ont entamé les bords.
Ces bafîins font quelquefois de petits étangs y des
nappes qui occupent tout le fond d’un vallon, & y
laiffent à peine un petit fentier étranglé entre leurs
rives & les côtes raides qui les dominent. Quelquefois
ces bafîins fe ferrent en un canal bizarrement
large , courbé, enfoncé'ou détourné par
des rochers qui l’arrêtent, & offrent un enfemble
qui charme la vue. Quelquefois aulïi lesveaux
font comme jettées dans le milieu d’une vallée ,
où elles femblent n’avoir pénétré qu’avec effort.
O l’agréable- coup - d’oeil qu’une petite plaine
divifée en planches & en carrés pour le riz !
Les foffés innombrables & pleins d’eau qui les encadrent
, tranchent gracieufement fur leur verdure,
en relèvent les nuances , & en entretiennent la
fraîcheur. Les fiéiions des poètes cèdent ici la palme
à la réalité. Le cours d’un ruiffeau, dans un jardin
de p la ifa n c e y e ff, pour l’ordinaire, un grand
fpedacle; il a fes chûtes, fes brifans, fes erreurs,
fes retours : il eff la vive image des'variations de
la vie.
» Qii’on rapproche maintenant tout ce que nous
avons dit des collines & des monticules, des vallons
& des vallées, des eaux courantes & .dormantes;
qu’on fe repréfente tout cela arrangé , diffribué &
difpofé d’après un plan tracé en imitation de la
nature ; qu’on imagine, non des allées applanies &
efpacées, fymmétrifées & alignées ; mais des fentiers
étroits & multipliés qui s’étendent ou fe refferrent,
s’avancsnt ou fe détournent, montent ou defeendent a
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félon la forme des lieux qu’ils trayérfent ; mais
toujours fi heureufement, qu’ils conduifent aux
points de vue les plus rians, aux folitudes les plus
. champêtres , aux ombrages les plus frais, & ne
trompent les premiers regards , que pour préparer
des furprifes, & fauver, à qui s’y promène, la
fatiété de l’habitude. Nous ne pouvons rendre que
grofliérement une partie de ce que nous avons vu ;
& les penfées de l’Europe font fi loin encore, du
goût chinois, que nous défefpérons prefque qu’on
en croie une partie, fur la foi de nos récits.
» Il faudrait un ouvrage entier pour ^1 donner
une defeription qui embraffât tous les détails. Nous
nous bornerons à indiquer, en finiffant, que les
, grands ornemens des jardins de plaifance en Chine,
■ font, pour les eaux, des rives & des bords en fable,
en cailloux, en groffes pierres, en coquillages
rangés fans art, ou en terres & en gazon ; des
tapis de nénuphar ou d e là belle plante ki-ltou;
des joncs fauvages ou des rofeaux ; de petites îles
en prairies ou en verdure ; des levées, des éclufes,
& des ponts raftiques de toutes les formes. Pour
• les vallons: des champs enfoncés, des terres arrides,
des fables, des foffés, de petites haies, des grattes,
des antres, des cabinets couverts les uns de chaume
. ou de feuilles de palmier, les autres de grandes
pierres ou de tuiles, tous d’une forme différente,
gaie & champêtre. Pour les petites montagnes : |
des précipices, des gorges, des terraffes, des bel-
veders, des rampes & des gradins d’un agrefte naïf,
mais propre & gracieux. Par - tout des amas de
rochers, des pétrifications, des racailles, & ces
pierres foffiles de toute forte de formes & de couleurs
qui font femées çà & là comme par la main du
hafardv.
La conformité des-deferiptions de Chambers avec
les préceptes du lettré Lieou-Tcheou, & le fimple
apperçu des millionnaires de Pékin , ne laiffent aucun
doute fur l’exiftenee des jardins chinois, tels au
moins , à peu-près, que le premier les décrit. Nous
fortunes perfuadés que Hirschfdd n’auroitpas regardé
-ce qu’en a dit Chambers comme des tableaux de
fentaifie, s’il eût eu connoiffance des relations de
ces miffionnaires.
L’idée que nous venons de donner des jardins
des Chinois, doit frire defirer que leur goût s’in-
troduife dans nos jardins modernes ; lé moyen
d’én approcher, c’eft de prendre la nature pour
modèle, & de ne rechercher que les décorations
qui font les délices du féjour des' champs.
CHINOISE ARCHITECTURE. 1,011er trop
ou trop peu, a dit Chambers , en parlant des
Chinois, font deux excès qu’il eff également difficile
d’éviter. Et en effet, tout ce qui a rapport à ce
peuple, à fes moeurs, à fon gouvernement, à fes
arts, ne trouve que des détrafteurs ou des panégy-
riffes outrés. Quelles font les caufes de ces contradictions
? J’en vois deux : l’ignorance où l’on eff
de l’état” bien pofttif des chofés fur lefquelles on
difpute, & la manière trop o^din^ire de vouloir
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appliquer les mefures habituelles de fon goût & de
fes jugemens à des objets qui s’y refufent, & qui
ne peuvent être appréciés que du point de vue qui
leur convient.
Je vais tâcher de me placer entre ces deux écueils,
en faifant le tableau- très-abrégé de Varchitecture
chinoife.
Et d’abord, quant au reproche d’ignorance qu’on
pourra me frire fur l’état de cette architeéhire, je
dois dire que je n’ai de notions à 'cet égard, que
celles qu’il eff donné à tout le monde d’acquérir ;
n’ayant jamais été à portée de voir par moi-même
le pays dont je vais décrire les monumens. & ca-
raaérifer le goût. Mais il faut convenir auffi qu’il
y a peu d’art dont les rapports, dont les formes,
dont le génie foient plus aifés à faifir que ceux de
Tarchiteâure de la Chine; & cela, parce qu’il n’y
a pas d’art dont les copies aient été plus multipliées,
foient plus à la portée de tout le monde, & dont
les imitations frites dans le pays même puiffent plus
facilement fe confronter avec les deferiptions & les
deffins des voyageurs européens. La diverfité des
jugemens qu’on porte fur les édifices, vient cependant
de la nature même des copies que les Chinois
en font fur les meubles, les vafes, les papiers"de
tenture qui font répandus dans toute l’Europe. Ces
imitations, prefque toutes fans perfpeétive, fruit
de la routine des atteliers , ont bien tout ce qu’il
faut pour difcréditer leurs originaux, auprès de ceux
qui ne reçoivent que des impraflions foperficielles.
La certitude des défauts de vérité qui accompagnent
ces repréferitations, fert aufli de prétexte aux en-
thoufiaftes de la Chine, pour éluder toute efpèce
de critique ; eriforte que l’on voit des memes
données réfulter des conféquences jtout-à-fait" contradictoires.
Les uns prennent ces copies trop à la
lettre, les autres les réçufent en tout point, quand
la juftice veut qu’elles ne foient récufables qu’en
partie.
Il faut convenir cependant que s’il eff un objet
fur lequel un peuple ifolé néceffairement. par fon
immenfité , fans relation véritable avec aucun
autre, ne puiffe réellement pas imaginer, c’eft en
architecture. Si- ce peuple for-tout eff femeux par
la permanence de fes habitudes, par la ténacité de
fes ufages; fi fes ouvrages même d’imitation nous
y font voir les arts du deffin dans cet état de mé-
canifme le plus propre à les préferver de toutes
les influences particulières de l’imagination, foit en
mieux, foit en pis ; fi l’on eff frappe de voir à toutes'
les productions d’une ftérile fantaifie l’uniformité la
plus entière ; fi enfin l’on trouve jufqu’à la fatigue
de la monotonie dans ces redites éternelles d’objets
toujours les mêmes, & que les fiècles, en fe renouvelant
, rie voient 'jamais changer, on fera loin,
fans doute, de Vouloir établir aucune comparaifon
entre les repréfentations dont les Chinois embel-
lifferit leurs différens ouvrages, & les jeux fantaf-
tiques de Timagination de quelques autres peuples
dans décor^tjon, On peut yo ir , oq l’gt