
CAN NE , f. f. Mefure romaine compofée de
dix palmes, qui font fix pieds onze pouces de
roi.C
annes. Efpèces de grands rofeaux dont on fe
fert en Italie & dans le Levant, au lieu de doffes ,
pour garnir les travées entre les ceintres dans la
conftru&ion des voûtes. Les conftru&ions des anciens
nous ont tranfmis ce procédé.
On fe fert aufli de ces rofeaux à la place de
chaume, c*eft-à-dire, de paille de feigle ou de
froment, pour couvrir à la campagne les maifons
des payfans, les étables, les granges, les écuries
, &c.
CAN NE LER, v. aâ. C ’eft dans le fût d’une
colonne , d’un pilaftre , ou bien dans les gaines ,
termes , confoles, vafes, fur la face d’un larmier
, &c. creufer des canaux formés ou d’un
demi-cercle, ou d’un arc dont le côté du triangle
équilatéral feroit la corde. ( Foye^C annelures).
CANNELURES, f. f. pl. Ce font des canaux
ou des cavités longitudinales, formées ou taillées
perpendiculairement ou en fpiral le long du fût
d’une colonne , d’un pilaftre , fur divers membres
d’architeâure , autour des vafes 8c fur la fuper-
ficie de plufieurs autres objets.
Ce mot paroît dériver de celui de canal, auquel
ces cavités reffemblent, ou de celui de cannes ou
rofeaux, qui quelquefois rempliffent les cannelures.
Le mot latin ftnges ou firiga, qui veut dire
fillon, exprime & peint d’une manière encore
plus jüfte cette efpèce d’ornement.
Turnèbe & Balous veulent qu’au lieu du mot
flrtges, qu’on trouve ordinairement dans Vitruve,
on life celui de flrigiles , parce que les fngiles,
ou efpèces d’étrilles dont les anciens ufoient dans
les bains, pour exciter la tranfpiration en fe frottant
la peau, étoient compofés de petits filions.
Mais ce changement de mot inutile en lui-même ,
ne préfenteroit qu’une image & moins jufte &
mqins' noble. Ce qu’on en doit conclure, c’eft
que les, flrigiles & les cannelures furent ainfi ap*
pellées du rapport qui fe trouvoit entre leur forme
& celle des filions.
Les Grecs appelloient encore les* cannelures
paQS'üxrsç yiovos , virgatio columnez , parce que cet
ornement donne à la colonne la reffemblance d’un
faifceau.
De toutes les raifons étymologiques qu’on a
cherché à rendre des cannelures, je ne penfe pas
qu’il y en ait une plus ridicule que celle dont
Vitruve prétend expliquer cette manière d’orner
les colonnes. Le rapport fortuit des efpèces de
canaux formés par les cannelures., avec ceux que
produifent les plis tombans de la robe d’une femme,
ne. paroîtroit qu’une équivoque puérile , fi ce rapprochement
n’étoit le comble de Pabfurditè. Il faut
croire que cet écrivain s’eft laiffé abufer par une
forte de double emploi dans le mot flrlx ou flria,
formé du mot firingere qui fignifie rejferrer, & qui
exprimoit aufli l’effet que la preflion fait éprou«
ver à une étoffe, ou que cette forte de fimi-
litude n’eft chez lui qu’une conféquence abufive
du fyftême d’imitation analogique du corps humain,
& de l’application de fes proportions diverfes aux
ordres de colonnes. Quoi qu’il en foit, on doit
peut-être moins encore s’étonner de cet abus de
raifonnement dans Vitruve, que de la crédulité
de ceux qui ont répété après lui cette fable
populaire.
Ce paradoxe de l’architeâe romain prouve juf-
qu’à quel point l’efprit de fyftême peut difcré-
diter les meilleures opinions, 8c combien le raifonnement
peut quelquefois fe jouer de la raifon.
De ce que l’architeâure étudiant les proportions
dans le livre même de la nature, s’eft appliqué
l’efprit de celles que le corps humain 8c la variété
des fexes préfente à l’oeil obfervateur ; de
ce que les deux caractères diftinéts de force dans
le dorique, 8c de grâce dans l’ionique, rappellent
cette diverfité de formes qui diftingue les deux
fexes, pouvoit-on en inférer que des cannelures
fuffent la fuite d’une imiration qui n’eft qu’intel-
le&uelle ou analogique ? Devoit-on fur-tout donner
une pareille origine à un ornement qui eft propre
à l ’ordre le plus mâle , comme au plus délicat
de tous?
C ’en eft trop fur cet objet. Il eft des vérités
qu’on affoiblit en les prouvant, parce qu’on leur
donne l’air d’avoir befoin de preuves. On peut
en dire autant xde certaines erreurs ries combattre ,
c’eft en quelque forte les fortifier ; c’eft réalifer
un fantôme que de s’armer contre lui.
L’ornement d’architedure dont il s’agit, a fait
rêver d’autres chimères pm- les faifeurs de fyf-
têmes. La manière d’être conféquent entraîne quelquefois
à de grandes inconféquences. C ’eft ce qui
eft arrivé à ceux qui, frappés de l’analogie des
formes de l’architeélure avec les types de la charpente
, ont conclu du rapport des colonnes avec
les arbres , qu’il y en avoit entre les cannelures 8c
l’écorce des arbres. Cette analogie a peut-être
quelque chofe de moins ridicule que celle indiquée
par Vitruve ; car enfin, le rapport d’imi-
statiou d’un arbre avec une colonne eft bien plus
direél & bien plus pofitif que celui du corps humain.
( Foyeç Architecture ). Mais la conféquence
qu’on peut tirer de ce principe en paroiffant
porter fur une bafe plus raifonnable, n’en eft
pas moins chimérique.
On a vu ailleurs que tout le fyftême de l’ar-
chite&ure grecque poloit fur celui de la charpente ;
que toutes les parties conftitutives des édifices
étoient la repréfentation de cet affemblage de
poutres 8c de folives qui formèrent la cabane de
bois que les Grecs prirent pour modèle. Mais ce
modèle , réel ou fid if, quel qu’il fû t , étoit déjà
lui-même un ouvrage de l’art, & façonné par la
charpente ; c’eft ce que prouvent 8c les architraves
6c les folives du plancher, 8c celles du comble.,
«u’on ne peut envifagqf que comme des arbres
déjà taillés & équarris. 11 n’y a donc aucune raifon
de fuppofer que les fôutiens de l’édifice foient une
imitation plus exade des arbres, 8c fur-tout des arbres
tels que la nature les produit dans les forêts. (Voye^
Arbre). L’arbre employ é au fupport de la cabane ;
l ’arbre enfin qui eft le type primitif de la colonne
chez les Grecs , avoit déjà reçu de la charpente la
forme de pqutres ; 8c le rapport qu’on a voulu trouve!'
entre les cannelures 8c l’écorce des arbres, a tout
autant de réalité que celui des chapiteaux ornés
de feuilles avec les branches de l’arbre. D ’ailleurs
dans ce fyftême d’imitation de l’architedure, il
ne faut encore , ainfi qu’on l’a démontré ailleurs,
prétendre voir que l ’efprit de l’imitation , 8c jamais
les procédés fervils d’une copie qui ne fauroit
fe prendre à la lettre. Ainfi, tout ce qu’on pour-
roi t dire à ce fujet, c’eft que l’écorce des arbres
étant en quelque forte l’ornement de leurs troncs,
elle auroit pu donner aux Grecs l’idee d orner
aufli le fût de leurs colonnes; mais on ne concevra
jamais de rapport d’imitation réelle entre
les filions perpendiculaires des cannelures 8cl’écorce
d’un arbre quel qu’il foit.
Si l’on vouloir faire remon ter l’ufage des cannelures
chez les Grecs à l’imitation d’une autre architecture
, 8c s’il étoit pofîible de fuppofer à de pareils
détails une origine authentique & lointaine , peut-
être ne manqueroit-on ni d’induftions probantes ,
ni d’analogies raifonnables, pour faire dériver
cet ornement de l’Egypte. Quoique les cannelures
proprement dites ne fe trouvent point fur les colonnes
égyptiennes, cependant les colonnes a
faifceau de l’Egypte , c’eft-à-dire, celles qui etoient
évidemment compofées de plufieurs arbres réunis &
liées enfemble,rendroient des cannelures la meilleure
raifon ; mais d’autres colonnes égyptiennes-nous fe-
roient voir qu’il eft de certains ufages communs
à tous les peuples, fans qu’il foit néceffaire de
fuppofer entre eux des relations ,^& ce font ceux
qui tiennent à la nature des chofes , 8c des procédés
que le plus fimple bon fens indique.
On trouve en Egypte ( voye^ Archit. Egyç. )
des colonnes poligones 8c taillées en petites fàcètes
jufqu’au nombre de feize. C ’eft bien, là fans doute
qu’on.doit voir le véritable principe des cannelures ;
& ce principe , comme on le devine, aifément,
doit avoir été commun à tous les peuples ».quelle
qu’ait été chez eux l’origine de l’architeéture. En
effet, que ce foit le bois ou la pierre qui aient
été les premiers matériaux., il eft confiant’ que
le procédé naturel, pour donner aux colonnes leur-
rondeur, eft dè les équarrir par pans plus ou
moins larges, 8c que cet équarriffage dont on ufe
encore aujourd’hui, dans la charpente , 8c fur-tout
la taille des pierres, doit avoir mené naturellement
à l’idée des cannelures. On fait qu’en fait
d’ornemens qui ne tiennent point à la conftitution
effentielle de l’architeélure, le hafard a pu produire
plus, qu’on ne penfe.:
Nous avons vu que le boffage ( voye^ Bossage )
devoir en partie fon exiftence au hafard de pierres
laiffées bruîtes dans des bâtimens imparfaits ; 8c
qu’on fit par la fuite un ornement de ce qui n’étoit
qu’un défaut. Seroit-il plus déraifonnabîe d’attribuer
les cannelures à l’équarriffage des bois de charpente
, ou aux. procédés que la taille des pierres
emploie à l’arrondiflement des colonnes, 8c de
fuppofer que des colonnes abandonnées dans cet
état de rondeur imparfaite , auront fuggéré à quelque
architeéle le motif des, cannelures ?
Si l’on n’avoit appris, fur-tout dans de pareils
fujets, à fe méfier des conféquences du fyftême
le mieux fondé en raifon, on çhercheroit à appuyer
celui-ci d’exemples & d’autorités qui paroîtroient
péremptoires. Vitruve d’abord nous appr en droit
que l’ufage des colonnes taillées à pans-ou à facètes
fut aufli celui des Grecs ; qu’il étoit- également
affeélé à l’ordre dorique auquel on fe contente
quelquefois, dit-il, de donner au lieu de cannelures
, vingt pans qu’on laifle tout unis 8c fans
être creufés ». Ces exemples, dans les monumens
parvenus jufqu’ànous, font rares ; mais cependant
on en voit un au temple dorique de Cor a ( voye-%: ■
C or a ) ; 8c ce qui eft plus fingulier encore , on
retrouve cet ufage aux colonnes corinthiennes des
portiques que Philippe , roi de Macédoine, fit
élever à Delos , dont le fût fupérieur , félon M.
de Choifeul - Goufiier , eft cannélé , tandis que la
partie inférieure eft feulement taillée à pans , de
manière que leur coupe horizontale fait un po*
ligone.
Peut-être pourroit-on conclure que de pareilles
autorités ne prouvent rien fur l’origine des can>
nelures, parce que les monumens ou cet ufage fe
rencontre font d’un- fiècle très-poftérieur à l’ invention
des- cannelures. Cependant fi l’on réunit les analogies
réfultantes des colonnes poligones des Egyp- ,
tiens, 8c des colonnes poligones doriques dont
Vitruve fait mention ; fi l’on fait attention que
dans plufieurs monumens les cannelures s’élèvent
fur les pans équarris de la colonne, 8c que cette
pratique d’équarriffage employée pour l’arrondif-
ment des colonnes, eft encore l’opération qui
précède le cannetage; peut-être aufli avouera-t on
que dans une telle matière il eft difficile de trouver
une réunion de préfomptions plus fortes 8c moins-
forcées que celles- qu’on foumetici au jugement
du le&eur;
L’on a vu que fi les Egyptiens indiquent dans
les fupports de leurs édifices, tout ce qui put
donner la naiffance aux cannelures, on y chercheroit
en vain cette manière de cifeler le. fût des, colonnes.
Les Perfes plus abondans que les-Egyp-
tiens , 8c plus recherchés dans la décoration de
ra r ch ite âù re , portèrent le luxe des cannelures à
un degré qui- fe reffent affez du goût exagéré de
l ’Orient. On compte aux colonnes de Perfepolis
jufqu’à quarante cannelures. ( Foye{ Persepolis ).
Les.. Grecs furent plus économes de ce genre