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travailler, arrivent après fans peine 6c apurement
à la connoiffance de la perfection de l’art. Ce
n’eft qu’à ceux-là que je m’adreffe & à qui je
veux communiquer la penfée qui m’dft venue
de féparer en deux branches les cinq ordres de
l’architeCture, & former un corps à part des trois
que nous avons eu des Grecs * le dorique , l’ionique
& le corinthien, qu’on peut appeller avec
raifon la fleur & la perfeâion des 'drdres, puif-
qu’ils contiennent non-feulement tout le beau ,
mais tout le néceffaire de l’architeâure, n’y ayant
que trois manières de bâtir, la folide, la moyenne
6c la délicate , lefqu elles font toutes parfaitement
exprimées en ces trois ordres ici : par confèquent
on n’a point befoin des deux autres ( le tofcan
& le compofire ) , qui, étant latins & comme étrangers
à leur égard, femblent, en quelque façon,
d’une autre efpèce ; de forte qu’étant mêlés , ils
ne font pas bien enfemble. '
» Si l’on'confidère qu’on ne trouve point d’exemple
antique, où les ordres grecs foient employés
parmi les ordres latins, & de plus qu’il a paffé
Tant de fiècles remplis d’ignorance , particuliérement
au fait de l’architeâure & de la peinture
qui font demeurées comme erifevelies fous les
ruines de l’antiquité, j’efpère qu?on fera de mon
fentiment. Car ce n’eft pas ma penfée d’aller à
la nouveauté ; au contraire , je voudrois j s’il étoit
pofîible, remonter jufqu’à la fource des ordres, &
y puifer les images & les idées toutes pures de
ces admirables maîtres qui les avoienr inventées,
& en apprendre l’ufage de leur propre bouche,
parce que fans-doute ils ont bien déchu , à mefure
qu’ils font allés s’éloignant de leurs principes
, & qu’on les a comme tranfplantés chez
les étrangers, où ils ont dégénéré fi notablement,
qu’ils feroient à peine reconnoiffables à leurs
.auteurs.v
» Car, à confefferla vérité, avons-nous raifon de
nommer encore dorique, ionique & corinthien,
,ces trois pauvres ordres maltraités & défigurés
qu’ils font tous les jours par nos ouvriers ? Leur
refte-t-il un fepl membre qui n’ait reçu quelqu’alté-
ration ? A peine même trouverôit-on maintenant
un architeéfe qui ne dédaignât de fuivre les meilleurs
exemples de l’antiquité. Us veulent tout com-
pofer à leur fantaifie, & penfent que l’imitation
eft un travail d’apprentif ; que pour être maîtres,
il faut néceffairement produire quelque nouveauté.
Pauvres gens qu’ils font, de croire qu’en fantafti-
quant une efpèce de corniche particulière , ou
telle autre ehofe , ils aient frit un ordre nouveau ,
& qu’en cela feulement confiée ce qu’on appelle
inventer ! Comme fi,1e Panthéon, ce merveilleux
.& incomparable édifice, qu’on voit encore aujourd’hui
à Rome, n’étoit pas une invention, de celui
qui l’a bâti, parce qu’il n’a rien rien changé de
l’ordre corinthien , dont il eft entièrement com-
po.fé I
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» Ceux que la nature a mieux partagés, & qu$
ont une plus belle imagination , voient bieh que
la beauté véritable & effentielle de l’architeftiire
n’eft pas fimplement dans .chaque partie prife à
part, mais qu’elle réfulte principalement de la
fymmétrie, qui eft l’union & le concours général
;de toutes enfemble, laquelle vient à former comme
une harmonie vifible que les yeux éclairés par
l’intelligence de l’art confièrent avec grand
plaifir.
» Voulons-nous donc bien faire , ne quittons
point le chemin que les Grecs nous ont ouvert.
Suivons leurs traces, avouant de bonne-foi que
le peu de bonnes chofes qui a paffé jufqu’à nous,
eft encore de leur propre bien.
» C’eft le fujet qui m’a convié de commencer ce
recueil par les ordres grecs , que.je fuis allé puifer
dans l’antique , même avant'd’examiner ce qu’en
écrivent les auteurs modernes. Car les mei.leurs livres
que nous ayions fur cette matière, ce font
les ouvrages de ces vieux maîtres qu’on voit
encore aujourd’hui en pied,- la beauté défquels
eft fi véritable, & fi univerfellement reconnue,
qu’il y a près de deux mille années que tout le
monde l’admire. C ’eft-là qu’il faudroit aller faire
fes études pour accoutumer fes yeux , & confirmer
fon imagination aux idées de ces excellens
efprits, qui, étant nés parmi la lumière, & dans
la pureté du plus beau climat de la terre, étoient
fi nets & fi éclairés, qu’ils voyoient naturellement
les chofes que nousAdéèouvtons ici. à peine après
une longue & pénible étude.
» Pour moi, je remarque dedans les trois ordres
grecs une beauté fi particulière & fi excellente,
que les deux autres latins ne rire touchent point
en comparaifon. Auffi, le rang qu’on leur adonné
fait-il bien corinoître qu’il n’y avoit'plus dé place
pour eux qu’aux extrémités, comme le rebut de
part & d’a’utre ».
Ce petit extrait fuffit fans doute pour annoncer
le goût & les connoiffanGes de Chambrày.
Comme il n’eft connu que par cet ouvrage , ce
fera , je penfe, avoir açquitté ce qu’on lui devoir,
que d’avoir fait, mention de fes pèn fées plutôt que
de fes aérions. Tous les détails de fa vie font inconnuscomme
indifférens aux artiftes. On fait
qu’il vécut fous Henri IV , Louis XIII & le commencement
du règne de Louis XIV. Au mot Parallèle
on aura occafion de -parler de la méthode
fage & éloignée de tout efprit de fyftême
avec laquelle, il a rédigé cet excellent ouvrage.
CHAMBRE, f. f. fe prend quelquefois comme
mot générique , qui défigne , d’une manière vague
& indéterminée,,une pièce quelconque d’un appartement
ou d’une maifon.
Chambre , pris dans fon fens plus précis, dans
celui fur-tout qui eft relatif à l’ordre, à la diftri-
bution 6c à la nomenclature des appartetnens dans
les
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les habitations ou les palais modernès, fignifie la
pièce deftinée au fommeil & au repos.
Ayant à traiter cet article fous le rapport des
notions hiftoriques que l’antiquité nous préfente,
& fous celui des règles que la théorie moderne
peut y appliquer dans l’art de la diftribution des
appartemens, je dois prévenir que dans la première
partie le mot chambre ne fera confédéré que
fous la valeur indéterminée du mot générique. Les
reftes de toutes les pièces qui fubfiftent encore
dans les ruines des fabriques antiques, ne permettent
pas de pouvoir affigner a chacune une
qualification très - précife. La fécondé partie de
cet article envifagera le mot chambre fous la figni-
fication exaâe que l’ufage lui donne dans nos
maifons.
Des chambres antiques. j
Le mot latin camera qu’ont pris les Italiens ,
pour défigner ce que nous entendons par celui
de chambre, & qui en eft indubitablement 1 ^etymologie
, n’exprimoit pas , chez les anciens, l idee
que nous y attachons aujourd’hui. Ce mot fignifie
proprement une voûte, ou un lieu voûté j &. il
me femble bien fuperflu de chercher fi 1 application
de ce mot à l’idée moderne, prouve ou ne
prouve pas que les chambres des aneiens étoient
toujours voûtées. Les anciens donnèrent comme
nous des noms particuliers à toutes les pièces qui
compofoient l’intérieur de leurs maifons. Les" def-
criptions des maifons de campagne de Pline le
jeune , qu’on a rapportées au mot Campagne ,
peuvent fervir à prouver ce qu’on avance ici.
C’eft-là qu’on verra les différences bien fenfibles
qui exiftent entre tous ces mots ; mais il femble
auffi qu’on peut en Inférer que le mot cubiculum,
celui qui repréfente exaélement l’idée que nous
attachons au mot chambre, s employoit chez les
anciens , comme parmi nous, d une façon allez
générale , & comme l’équivalent du mot piece.
En prenant ce mot fous l’acception de fon ufage
particulier, comme chambre à coucher , les anciens,
outre cubiculum y employoient auffi le terme
thalamus. Ainfi , ce que nous appelions' antichambre
fe nommoit par eux antithalamus ( Voye^
Anti-chambre ).
Vitruve , dans les préceptes qu’il donne fur la
difpofition des maifons, ne. parle que de l’ordre
& de la diftribution de leurs pièces , & ce qu’il
en dit ne fauroit concerner que l’article Maison ,
( voye^ ce mot ). Si l’on veut quelque chofe. de
particulier aux chambres , c’eft dans les monu-
ir.ens & les ruines aptiques qu’if faut aller chercher
, & qu’on peut trouver quelques détails fa-
tisfaifans fur leurs formes, leur difpofition &
leur décoration.
Il ne nous refte malheureufement rien qui
puiffe nous donner.des lumières bien precifes fur
Architecture, Tome 1 .
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la riature des chambres dans les maifons des granc.es
villes. La découverte de la très - petite ville de
Pompéii, ne peut fervir encore qu’à affeoir l*es
conjeâufes vraifemblables, plutôt qu à établir des
notions certaines à cet égard. Le nombre des m.ii-
fons, & par confèquent des chambres m on y a
trouvées étoit. encore peu confidérab e lorfque
Winckelmann vifita les ruines ; mais la grande
reffemblance de tous ces intérieurs, de marions,
l’exaftitude connue de ce célèbre hiftorien ^e
l’antiquité, m’engagent à rapporter ici le peu qu il
en a dit, d’après le peu qu’il en avoit vu.
Jufqu’à préfent(c’eft Winckelmann qui parle)
on n’a découvert, en dedans de la porte de Pompéii
, que deux maifons , toutes deux placées^ fur
le penchant de la colline ou la ville étqît bâtie.
L’entrée de ces deux maifons fe trouve du coté
de la rue. La cour de l’une d’elles peut avoir au-
delà de foixante & dix palmes roriiaines de long.....
De la cour on entre immédiatement dans cinq
chambres y tant de l’un que de l’autre coté, & en
face de la porte de la cour, il y a trois autres
, chambres, qui toutes ont des pavés de differentes
efpèces de mofaïque & des murailles peintes.
La fécondé chambre à la gauche femble avoir
été une chambre à coucher, comme on en peur
juger, tant par un efpace pratiqué dans le bas
du mur pour y placer le lit fur fa longueur, que
par deux fers qui formoient les pieds du bois de
lit. Cet efpace, deftiné à contenir le lit, eft enduit
en couleur rouge, ainfi que tout le pourtour
de la chambre qui a douze palmes romains de
longueur, fur neuf palmes & demi de largeur.'
Les murs de toutes ces chambres font peints ;
& quoiqu’on en ait déjà enlevé les meilleurs
! morceaux pour le cabinet de Portici, il y refte
néanmoins encore de beaux tableaux ; j’y retnar-
quai deux jeunes figures mafquées dans le goût
grotefque. Les feuils des portei de quelques-unes
de ces chambres font d’albâtre blanc.
La fécondé maifon, qui tient immédiatement
à la première, & qu’on a prefqu’en fièrement déblayée
1 pofsède encore dans une chambre des
peintures plus belles que celles des chambresde
l’autre maifon. Cette chambre forme, pour a>nfi
dire, un quarré parfait de quinze palmes romains,
tant en longueur qu’en largeur, n’étant que de
quatre pouces plus longue que large : ja principale
porte a fix palmes de large. C’eft ici que fe
trouvoit la Diane qu’on voit au cabinet de Portici,
& qui avoit déjà été coupée anciennement, &
enlevée du mur pour la placer ailleurs. On y voit
encore, fur un pan de la muraille, une autre
figure autour de laquelle on remarque plufieurs
corps d’inftrumens.
Il me rèfte à faire fur ces maifons les remarques
fuivantes. Premièrement, toutes les chambres
en étoient voûtées, mais ces voûtes etoient toutes