
les «ouvcrnemens très-prononcés qù*oft jugera de
l’influence qu'ils ont lur les habitudes dont fe
compofe le car a fore moral des peuples. Les climats
équivoques n’impriment point aux peuples
de carafon phyfique bien remarquable. Les gou-
vernemens mixtes ne donnent point aux hommes
de c a r a fo n moral fenfiblement diftînS. A moins
qu’on ne veuille mettre au nombre des caraforts ,
celui qui, fe compofant de prefque tous les autres,
offriroit un mélange d’où réfulte précifé-
aiemla nullité de carafon, félon la définition que
nous avons donné« de ce mot. Ceft n’avoir point
de c a r a f o n que de les avoir tous.
Le gouvernement o’eft pas la feule caute
morale du carafon diftinfrif des peuples. On en
découvre beaucoup d’autres| & des plus importantes,
dans les inftitutions religieuses & fociales ,
dans le genre de vie & les moeurs , félon qu’elles
font plus intimement liées à la nature du climat
& à la conftîtution du gouvernement. Lorfque
toutesces chofes font dans une dépendance mutuelle
, c’eft-à-dire qu’elles font toutes l’effet naturel
& la conféquence les unes des autres, il en
réfulte chez un peuple un carafon très-authentiquement
écrit. Ce fera de la difcordance de' ces
caufes , de leur peu d’union entre elles, ou de
leur ifolement, que proviendra la, foibleffe, la nYo- ‘
bilité , la nullité de carafon. Une feule de ces .
caufes a quelquefois fuffi cependant pour imprimer
à certains peuples un carafon très-marqué. ;
Mais on obfervera qu’il ne femble fe conferver
que chez ceux où la politique & la fuperflition
fe font réunies pour le rendre indélébile.
Le carafon moral d’une nation réfulte donc ,
en premier lieu , du climat & des caufes phy fiques
qui en dépendent ; enfuite du gouvernement &
de toutes les inftitutions qui en font la principale
force. Ce carafon eft plus ou moins eflentiel &
diftinâif, félon le carafore même du climat & la
force des caufes premières, ou félon les accidens
particuliers des caufes fécondés & l’accord des
caufes morales qui contribuent a fa formation ; &
il confifte dans une certaine difpofition habituelle
del’ame , qui eft plus commune chez une nation
que chez une autre , quoique cette difpofition
ne fe rencontre pas dans tous les membres qui
compofent la nation.
Chaque homme reçoit de la nation dont il
fait partie, une différence fpécifique qui le diftingue
des hommes d’une autre nation.
Dans les nations qui fubfiftent depuis long-
tems , on remarque que les individus qui les compofent
ont un fonds de carafon qui ne change
point. Ainfi les Athéniens, du tems de Démof-
thène , étoient grands amateurs de nouvelles ; ils
l’étoient du tems de S. Paul, & ils le font encore
aujourd’hui. On voit aufli , dans le livre admirable
de Tacite , fur les moeurs des Germains ,
des chofes qui font encore vraies aujourd’hui de
leurs ddeeadans, Ce carafore individuel, ainfi
permanent, eft l’effet, plus qu’on ne penfe, de ch
caufes naturelles qui enveloppent, fi l’on peut dire,
chaque individu., & dont le pouvoir agît fur lui
dès fa n ai fiance. Le gouvernement de chaque
peuple eft après cela la caufe la plus agHTmie fur
le carafon particulier de chaque homme ; mais
toutes ces caufes & plufieurs autres encore condiment
ces traits de reffemblance qui font qu'une
nation ne paroît être qu’une feule famille.
Il eft aufli des traits propres ^chaque individu
dans une même nation , & qui les diftinguent
plus ou moins les uns des autres. Mais, comme
l’on en eft convenu , malgré fKnépuifable fécondité
de la nature dans la variété infinie des nuances
dont elle fait cataâérifer chaque objet en particulier
, l’on ne reconnoît de caractère que dans
ceux qui forcent d’une manière frappante de l’e t
pèce d’uniffon qui forme le carafon national.
Plufieurs caufes , chez certains peuple*, fem-
blent, foit. au phyfique, foit au moral, s’oppo-
fer à cette faillie des carafores. D’abord l’éducation
dont l’effet eft , dans la plupart des pays ,
non pas de renforcer l’empreinte particulière que
chaque individu.a reçue de la nature, mais, fi l’ on
peut dire,de recouler dans un même moule cette
pâte encore flexible de l’enfance , & de l’ affujettir
à des contraintes qui empêchent toutes les variétés
de développement auxquelles elle auroir néceflaire-
ment tendu. Cette influence uniforme de l’éducation
fur les corps , arrête, comprime & détourne la
nature de fon but & de fon intention ; c’eft ce
qui fait que les diverfités individuelles deviennent
beaucoup moins fenfibles que ne l’eft l’uniformité
de l’art qui les travaille. Les corps façonnés
par l’éducatiqn ordinaire des villes , reflem-
blent à ces arbres que le cordeau , la ferpe & le
croiffant régularifent dans nos jardins peignés;
quelle que puiffe être la diverfité de ces arbres
captifs & efelaves de l’art, vous ne l’appercevez
plus fous l’efpèce d’uniforme qui les confond &
leur donne à tous la même phyfionomie. Mettez
encore au nombre des caufes de monotonie dans
les corps , les ufages particuliers & bifarres de
l’habillement, la manière de vivre , & les moeurs
faCiices de certains pays.
Tout ce qui influe fur le phyfique , influe aufli
fur le moral des hommes ; l’ éducation des corps
façonne aufli les âmes. N’attendez pas de earafière
moral bien prononcé dans les individus dont
une règle uniforme courbe également les âmes
dès l’enfance. Lorfque les inftitutions tendant à
développer , dans chaque homme , les facultés
particulières qu’il a reçues, agiffenr d’une manière
propre à en contrarier l’emploi, ou à en rapetiffer
l’effor & à en gêner le libre exercice , il s’établit
bientôt une forte de niveau entre tous les individu- ;
mais l’effet de ce niveau eft moins d’élever ceux
qui font petits, que de rapetiffer ceux qui devien*
dreient grands. Telle eft l’influence des écoles
en tout genre & des lieux d’inftitution, où ^
c o t is e , l’exemple & une {uborÆnuion mxl-
adroite ploie tous les carafières de la même
?On ne fauroit dire fi l’efprit d’imitation eft
l’effet ou la caufe du manque de caraHire ; ce
qu’il y a de fur , c’eft que cet efprit agit particuliérement
dans les pays , dans les fiècles & chez
les individus qui ont le moins de carafl<ire* Il
eft néceffairement le propre de la foibleffe ; il
fuppofe dans une ame une complexion molle qui
a befoin de fe foutenir & de s’appuyer fur les
autres. Lorfque l'empire de l’imitation domine
chez un peuple , il efface toute empreinte de
caraüire individuel & de ce carndkre relatif qui détermine
, d’une manière très-diftin&e, les propriétés
de chaque individu &. l ’emploi auquel la nature le
deftinoit.
Cara&ère conjîdèrê dans les Arts du DeJJîru
Les arts ne font & ne peuvent être que le
réfultat delà nat-ure dans tous pays, des peuples qui
les habitent & des hommes qui les compofent.
Il exifte une a&ion de la nature fur les peuples,
des peuples fur les hommes , des hommes fur les
arts.
Les arts reçoivent donc, médiatement ou immédiatement
, une influence plus ou moins dire&e
©u indireéle des grandes caufes naturelles dont
on a parlé , & qui conftituent le caraflere eflentiel
de chaque pays , des caufes fecondaires &
politiques qui différencient les peuples , & des
caufes particulières qui modifient les hommes.
Les arts ne font qu’imiter. Suivant leur difi-
trift particulier & l’étendue , comme la nature
de leur reffort , leur imitation embraffe , ou la
nature en général , ou des parties de la nature,
ou les formes matérielles , 8c les images fenfibles
des chofes, ou les affe&ions morales & le s idées
intelle&ueltes des êtres ; mais.de quelque genre que
foit leur imitation , à quelqu’objet qu’elle le porte,
il eft confiant que les arts ne font que des miroirs
où fe répètent fidellement dans chaque pays
les qualités phyfiques & morales de la nature des
peuples & des hommes. Avant donc de juger
rimitation , il eft clair qu’il faut juger le modèle ;
avant de favoir en quoi confifte. le carafon dans
les arts, il falloir favoir de quoi dépend le carafore
dans la nature.
Plus la nature fe développe dans un pays avec
force & par de grands traits vigoureufement
prononcés , plus les arts ont aufli de carafore.
Le premier de tous les arts d’imitation , le lan- :
gage, où fe peignent les premières fenfations que
îa nature communique aux hommes, acquiert un
-degré de grandeur , d’énergie , de fonore, d’abondance,
en raifort des caufes phyfiques dont il eft
1e produit. La poèfie , qui n’eft que. la peinture
‘des objets par le langage, aura du carafon, félon
fcue les objets qu’elle peut peindre lui prêteront
des image» grandes , hardies ou faillâtites. V o y e z
les mufes de l’Orient clans leur ftyle gigan*
refque , s’embellir des images les plus pompeufes
de la nature. C ’eft dans le vafte fpeaacle des
cieux , dans les merveilles du firmament que
leurs expreflions vont fe colorer de tout l éclat
du foleil. Le monde entier fuffit à peine a la
grandeur de leurs tableaux. C’eft que c eft - là que
la nature étale à l’imagination toute la grandeur
& tous les refloris de fa puiflance. Plus fages
dans leur délire, moins rivales qu’amies de la
nature, les Mufes de U Grèce vous feront entendre
des accens plus doux & plus harmonieux»
C ’eft • là que la nature fe montre dans tous fe*
charmes: c’eft-là que tout v i t , & que tout^ ce
qui vit femble heureux *, la poéfie grecque anima
toute la nature , mais la nature grecque elle nieme
vivifioit la poéfie. Suivez cette fiile du ciel dans
les pays où la nature eft plus avare defes charmes ,
vous ne lui trouvez plus, ni ces pinceaux ardens ,
ni ces brillantes iUufions qui compofoient fes
couleurs , fes accords ont perdu de leur énergie^
c’eft que le fpeétecle de la nature ne lui préfente
plus les mêmes images ; c’eft que le coeur humain
ne lui offre- plus lés mêmes pallions ; c eft que
les cordes de !a lyre doivent fe mettre à l’umflb*
des fujets qu’elle chante.
C ’eft bien certainement dans ces grandes caufes
de la nature que vous trouverez le principe &
la bafe du carafon effentiel de tous les^ arts. Dans
ces climats brûlés , ou le foleil femble epuifertous
fes rayons , le langage des paflions acquiert le
plus haut degré d’exaltation. C ’eft dans l’cffervef-
cence de toutes les idées qu’ont pris naiffance
renthoufiafme-Ôc les extafes des poètes ,^ & le
langage hyberbolique & ces métaphores qui font
devenues les élémens de la poéfie. C ’eft aux
mêmes caufes phyfiques qu’il faut attribuer ce
défordre de l’imagination , cette impétuofité de
fantaifie qui produit l’exagération dans tous le»
arts. C ’eft à elle que vous attribuerez ces allégories
fantaftiques , ces jouets du caprice, dont
fe berce l’imagination des peuples orientaux,8c ces
imitations illufoires de la nature qui remplacent
de tout tems l’imitation véritable à laquelle il*
ne fauroient atteindre , & ces reprèfentations co-
ioflales, & ces accouplemens monftrueux de di-
verfes natures ; toutes produélions analogues au
climat , plus encore qu’aux inftitutions & aux
moeurs qui ne font elles-mêmes que des caufes
fecondaires. Tout nous dit qu’en ces pays la
nature, douée delà fécondité la plus prodigieufe,
fe nuit , en quelque forte , à elle-même par foa
aâive reproduction ; & fi l’on pouvoit douter ua
inftant de cette vérité , elle^ fe prouveroit fans
peine par l’excès de population qui , dans ces
contrées brûlantes, a fait naître deux autres excès
également barbares, d’étouffer les nouveaux nés ,
& de vendre les adultes. Vous retrouvez, dan»
les produits de l’imaginatioa, cette, même furaboft