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police des tilles, dos ùfagesrefpïfiablés en eux-
mêmes , &- qu’il auroit pu faire Habilement tourner
au profit de la chofe publique.
Mais fur-tout les amis des arts & des tendres
fentimens qui leur font attachés, ont vu avec peine
des réglemens fages en eux-mêmes , combattre fans
aucun intérêt ces doux & utiles préjugés qui laif-
fent à l’homme l’efpôir de revivre au milieu des
liens, qui prolongent en quelque forte cette courte
exiftence , & confolent de la brièveté de la vie
par Fefpérance de pouvoir rappeller qu’on a été.
Si une fage politique ne fait plus aujourd'hui
tirer du fouvenir des morts 8c du refpeft pour les
mânes des ancêtres, ces grandes leçons, ces fu-
blimes moyens que les anciens favoient fi habilement
mettre en oeuvre pour la défenfe & le falut de
la patrie, en plaçant autour des murs & fur les remparts
même des villes les fépulcres de leurs héros : fi
les grands hommes qsi ont honoré leur pays, 8c
dont les âmes divines habitent & convergent encore
avec nous dans leurs ouvrages , n’obtiennent
pas même de leur patrie une légère, marque de
fouvenir dans le lieu -de leur fêpulture, du moins
que la trille amitié puiffe quelquefois leur payer
ce tribut ; qu’elle puifiê, dans le marbre qu’elle
animera, nourrir fa douleur des traits d’une image
chéris ; qu’elle fâche du moins où elle doit aller
pleurer ce qu’elle a perdu.
Les villes de Grèce fe difputoicnt les tombeaux
des grands hommes, 8c l’honneur de pofféder leur
dépouille autant que celui de leur avoir donné le jour.
De nombreux cénotaphes trompoient le .voyageur
8c la poftérité fur le lieu véritable de leur fépul-
ture. Les diftinétions les plus flatteufes 8c les marques
les plus honorifiques attendoient après le
trépas des citoyens dont la vie , fignâlée par d’im-
portans fervkes, s’étoit paffée dans la plus parfaite
Et l’on voudreit aujourd’hui, fous un vain prétexte
d’égalité, confondre 8c anéantir indifiinélément
tous les hommes dans 1e mè ne abyme de
Foubli. Sans doute la mort égalité tous les hommes ;
oc c’eft précifément l’iniuftice de ce niveau que les
hommes doivent réparer. jj
Je fins donc bien loin d’approuver ces réglemens
auftères autant que puérils, qui tendent à
n’établir de niveau entre les hommes que lorf-
qu’ils ne font plus, qui détrûifent Fémùlation entre
les vivans pour établir l’égalité entre les morts,
qui étouffent Texprefiion touchante de la fenfi-
hiîité, 8c éteignent les falutaires affc&ions de la re,-
connoiffance particulière 8c publique ; qui amorti
lient le génie des peuples , qui enlèvent des mo-
numens aux villes, appauvriffent les arts 8c tarif-
fent les fources de l’hiftoire : mais je fuis loin d’approuver
aiifii les ufages jufqu’à préfent reçus , d’étaler
dans nos temples tous ces trophées de la vanité,
de défigurer leur afpeél par ccs étalages défordonnés
de compofitions fan tactiques , dont l’idée feule
comme le coup-d’oejl centraient û fouvent 8c fi
indiferètenrient avec la nature 8c la forme du lie« I
En cherchant donc à reftituer aux temples k
dignité qui leur appartient, 8c à les purger dé tous
ces- emblèmes de mortalité ; en cherchant encore
à concilier la falufcritc des villes avec les intérêts
de la politique 8c des arts, je n’ai trouvé qu’en Italie
des modèles de cimetières publics , où toutes les
bienféances relatives à ce genre foient ménagées
de manière à ne plus rien laiffer à defirer.
Je ne veux point reparler ici des catacombes
qui, comme ~on l’a prouvé à cet article, ne furent-
point la plupart creulèes pour l’objet qui nous
occupe en ce moment. Il eft bien vrai qu’on ne
pou v o it , dans la finte, tirer un meilleur parti de
ces grands feutèrreins qu’en en faifant des dépôts
de fêpulture. Il eft bien vrai que prefque toutes
les grandes villes ont dans leur voiiinage des cavités
réiùltantes des travaux des carrières, qui ne
femblent attendre encore qu’une femblable deftina-
| tion pour devenir utiles. J’infifterois donc davantage
fur cette idée, fi je devois parler des cimetières-
en économifte plutôt qu’en artiite.
Je ne dirai rien non plus de ces galeries de morts
qifune dévotion peut-être exagérée s’eft plu à
former & fe plaît à vifiter dans certaines villes.
J’entends parler fur-tout du fameux cvnaière de
Palerme ;-où les corps, préparés de manière à
éviter la corruption, fe ' trouvent placés dans trois
rangs de niches, qui offrent autour d’une immenfe
galerie quadrangulaire, un fpeftacle peut-être moins
fait pour infpirer une terreur falütaire, qu’un dégoût
inévitable , 8c des affrétions contraires à celles
même qu’on s’étoit propofé d’exciter : ce n’eft fous
aucun des rapports religieux qu’il m’appartient de
toucher à cette matière. '
Mais il exifie dans les villes de Naples 8c de Pife,
deux cimetières dont les ufages , les difpofitions 6c
les formes pourroient fe réunir pour* former ce
que le bon ordre , la bienfcance, l’intérêt de l’humanité
8c celui des arts peuvent exiger.
Le grand cimetière de- Naples a dans fa difpo-
fition moins en vue la décoration que la falubrité*
L’ufage des fépultures modernes ayant habitué les
hommes à des idées entièrement contraires à celles
des anciens; des foffes communes où Ton entaîTe
les générations les unes fur les autres étant tout ce
que l’on trouve dans les cimetières des autres pays,
& le befoin de dégorger au bout d’un .laps de
temps ccs champs mortuaires, devenant un dv s
inconvéniens à tous égards les plus notables, on
peut citer comme l’effet d’une police auffi attentive
qu’elle puiffe- l’être, la méthode d’inhumation qu’on
va rapporter.
Une vafle enceinte creufée en autant de fou-
terreins que l’année compte de jours, offre trois
cens foixante. & cinq ouvertures rangées & diftri-
buées fymmétriquement fur fa fupemcie. Chaque
ouverture eft fermée par. une pierre qui lui fert
de couvercle. C’eft à ce dépôt commun que de
tous les quartiers de la villa on amène tous les
corps
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feorps à ifihumer. Chaque jour on ouvre une de
ces foffes, que l’on referme 8c que l’on fcelle cha
que jour : mais avant cette clôture , on prend la précaution
de jetter dans la foffetine certaine quantité
de chaux, qui, avant que l’année foit révolue, a
confumé les corps de manière que lorfqu’on en
fait de nouveau l’ouverture l’année fuivante, on
n’a à craindre aucun des effets de la putréfaétipn.
On ne propofe à imiter cette méthode d’inhumations,
qu’aux villes dont, l’immenfe population
ne permet de mettre aucun intérêt avant celui de
la falubrité. Mais le cimetière de Pife va nous pre-
fénter le plus beau monument que les fiècles
modernes aient réalifé dans c'e genre.
Le campo fanto .ou le cimetière de Pife, e ft, fous
tous les rapports, un édifice digne d’admiration.
Quand il n’auroit pas, relativement à l’hiftoire moderne
des arts, l’avantage de s’offrir comme un
de ceux ou les premières lueurs du bon goût ce
l’architecture commencèrent à briller, il n’en feroit
pas moins , par l’étendue de fon plan, la grandeur
de fa conception, 8c la nobleffe de fes ùfages , le
monument le plus remarquable de l’Europe..
Plufieurs vaiffeaux , lit - on dans les anciennes
chroniques de Pife , ayant amené de Jérufalem
dans cette ville , de la terre fainte, l’on conçut le
projet de placer cette terre miraculeufe dans une
enceinte dont la magnificence répondit a la valeur
que la dévotion attachoit à cette pieufe conquête.
Le champ appellé proprement campo fanto , 8c environné
par les portiques dont on va parler, contient
, dit - on , cinq bras ou neuf pieds de^ cette
terre précieufe. Sa propriété, qui peut-être a -
fait toute fa réputation , eft celle qui convient le
mieux à un cimetière. On affure que les corps y
font promptement confumés. On en a fait une
fréquente expérience dans la dernière guerre d’Italie.
Autrefois il ne falloit que vingt-quatre ' heures, actuellement
il en faut plus de quarante-huit. Peut-
être les fels alkalins ou calcaires dont cette terre
avoit été imprégnée, font-ils en partie évaporés.
Ce fut l’an 1206 que Ubaldo, archevêque de
Pifé , conçut l’idée de ce vafte hypogée. La conf-
truftion n’en fut commencée que vers 1218, comme
le prouve une infeription qui s’y rencontre, 8c
terminée en 1283. Jean de Pife, le plus célébré
architeéle de fon tems, fut chargé de ce grand
ouvrage, 8c y déploya une habileté que le fiècle
où il vivoit rend encore plus recommandable.
Les dimenfions générales 8c extérieures de cet
édifice, peuvent donner line idéede fon importance.
Sa longueur eft de 222 brades ou 460 pieds, fa
largeur de foixante-feize brades, fa hauteur de 14 ,
fon circuit en a 596 , 8c le calcul total desbraffes
quarrées qu’occupe la fuperficie, eft de 16872.
Sa forme eft un grand reélan gle. Sa façade extérieure
du côté du midi, eft ornée de 44 pilaftres
, d’une proportion affez bonne , qui foutiennent
un égal nombre d’arcades en plein ceintre. Cette
forme d’ares prouve que les archite&es Pifans
Architecture. Tome 1.
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avoient déjà abandonné les voufês d arête & les
formes gothiques. La cathédrale 8c la tour de Pife
offrent auffi des exemples de ce changement de
goût. Au-deffüs de chaque chapiteau, 8c à l’endroit
où les arcs fe réunifient, eft une tete de marbre
en forme de mafearon, dont le travail, ainfi que
celui des chapiteaux, fe fent du gôût capricieux
d’ornemeut qui régneit alors. Tout l’édifice eft
conftruit en beaux marbres blanc, la plupart tiré*
des montagnes de Pife , régulièrement- équarris, unis
8c appareillés avec foin. Deux portes laterales donnent
entrée dans l’intérieur du monument.
C ’eft une vafte cour de 450 jpieds en longueur ,
environnée de portiques formes par foixante &
deux arcades d’un goût demi-gothique. Les deux
grands côtés ont chacun 26 arcades. Cinq feulement
compofent les deux petits côtés. Les arcs ÿ
font, félon le goût de l’extérieur, portés fur des colonnes
, auxquelles un foubaffement continu fort de
piédeftal. Les galeries font pavées' de beaux marbres,
8c ornées des premiers enais de la peinture renaifi
faute. On y voit plufieurs ouvrages de Giotto Ci-
mabue , 8c autres anciens maîtres.
La reine Chriftine donnoit à ces belles galeries le
nom de tnufccurn ; de fait, tous les objets intereffans ,
dont la defcriptiôn n’ eft pas- du reffort de cet ouvrage,
font bien d’accord avec ce nom autant
qu’avec celui de cimetière. De beaux farcophages
antiques en ornent" le pourtour ; tantôt ils fönt
élevés fur des confoles, 8c tantôt places fur un
foubaffement à hauteur d’appui. Ils excitent à plus
d’un égard, l’intérêt du fpeélàteur. Mais ce qui
eft fait pour l’arrêter plus long-temps fous ces portiques
funèbres, c’eft la vue des hommes célèbres
dont la république de Pife a confervé les images
8c honoré la memoire. Le dernier qui y ait reçu
les honneurs d’un maufolée eft le célébré Algarotti.
Le roi de Pruffe, qui avoit joui long-temps de ce
favànt aimable , a fait élever le monument qu’on y
v o it, 8c où on lit ces mots : Algarottus non omnis.
Le cimetière de Pif» remplit bien l’idée grande ,
fimple 8c funèbre qu’on peut fe former d’un femblable
édifice. On diroit que la teinte gothique de
fon arcliiteéhire semble encore ajouter au caractère
de la choie. Tout y infpire cette mélancolie
douce 8c profonde qui accompagne l’idée de la
mort, quand rien de rebutant ne s’offre à la vue ,
& quand aucune autre deftination ne vient faire
diftraélion à la penfée. Ces anciennes peintures entremêlées
de monumens modernes , ces tombeaux
antiques , ces. inferiptions de'tout genre , ces effigies
de grands hommes, tout vous retient dans
ce féjour dé la mort.
S’il exiftoit dans to' tes les villes de femblafcles
monumens, où l’on pût fe trouver au milieu des
reftes de fes parens 8c de fes amis , fans qu’aucune
image rebutante vînt flétrir l’imaginatioH 8c
bleffer les fens , qui n’aimeroit à s’y promener?
qui ne trouveroit un plaifir fenfible à vifiter ces
galeries , foit pour y trouver des leçons ou de«
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