
ou é l é v a t io n . C ’ e f t une décoration d architeéhire ,
de peinture & de fculpture , é t a b l ie ,-fur une bâtiffe
de charpente pour l'appareil & la repréfentation
des tombeaux ou cénotaphes qu’on é lèv e dans les
pompes funèbres. A in f i, cütafalqiie e f t p r e e i f ém e n t
ce qu’on entend par cénotaphes. Mais l’u f a g e a
étendu ce mot à la décoration générale des chapelles
ou églilés fépulcrales que l’on conftruit en
charpente, ou que l’on d i lp o f e pour les grandes
cérémonies funèbres.
J’ai promis , dans la v ie de Michel-Ange Buo-
narotî , de donner la defcription du catafalque
qu’éleva en fon honneur l’académie du deffin de
Florence. Il n’y en eut jamais de plus beau ni de
plus digne de l’attention des artiftes, puifqu’il fut
dirigé par les plus grands maîtres de la première
école de l’Italie ; & jamais monument ne mérita
mieux à tous égards de le coniérver dans le fou-
venir de ceux qui font appellés a en elever de
pareils. » r
Dès que le corps de Michel-Ange eut été tranf-
porté à Florence , l’academie , d’accord avec le
grand -d uc , réfolut de faire les obfèques de ce
grand homme avec une magnificence qui répondît
à fa'h au te vertu. Ammanati, Vafari Ck‘ Bronzino
furent choifis pour diriger cette grande entr-eprife.
Si l’on n’eût écouté que l’ardeur & l’émulation
de tous les artiftes qui vouloient y contribuer ,1e
lu x e & la pompe de la décoration euffent peut-
être été-pouffes trop loin. Il fut réfolu fagement
qu’on cherchcroit à honorer le génie de Michel-
A n g e j plutôt par les productions de l’art & du
g én ie , que par les effets drfpendieux d ’une ftérile
richeffe.
« En e f fe t , difoient les académiciens ayant à
» honorer un homme de génie teLque l’a dm i fable
» Michel-Ange , profeffant un art qui étoit le fien ,
» & nos Ticheffes confiftant plus dans nos talens
U que dans l’or & l’argent, nous ne de vons’ pas
n penfer à une magnificence royale 8c à un luxe
» fuperflu , mais il faut honorer l’art par l’art ;
}J & l ’amour dont nos coeurs font enflammés pour
w cet homme d iv in , doit éclater dans les.plus beaux
jj ouvrages que pourront produire le. génie &
jj l’adreffe des mains. Et quoique nous puiflîons
jj efpérer de .Son.Excellence» tout L’argent dont
n nous aurons befoin ( ce qu’ il nous a déjà donné
jj peut nous en être un, fur garant ) , cependant
jj nous devons être convaincus que ce que. l’on
jj attend de nous , c ’eft plutôt de belles inventions
jj qu’un appareil éclatant & difpendieux « . . v
O n peut affurer pourtant que la magnificence
éo-ala la beauté des ouvrages qui fortirent de leurs
mains ; c’étoit des obfèques vraiment royales. On
en va juger.
A u milieu de la nef de Saint-Laurent, vis:à -vis
les deux portes collatérales , s’élevoit un catafalque
de forme quarrée", haut dé .vingt-huit copiées ,
a vec une renommée au foihmet. Lalongueur.étoit
de vingt coudées , & la largeur de n e u f A la
•bafe & à la hauteur de deux coudées , du côté.de
la porte principale de l ’é g life , étoient couchés deux
beaux fleu v e s , l’Arno & le Tibre. L ’Aruo tenoit
une Corne d’abondance pleine de fleurs & de fruits,
pour fignifier par-là les richeffes de Florence dans
les beaux-arts. Le T y b r e , en étendant un bras,
ouvroit les mains pleines des mêmes fleurs & des
mêmes fruits , qui romboient de la corne d’abondance
de l’Arno.J L’intention de l’allégorie étoit
d’indiquer combien Rome avoir profité des richeffes
de Florence , & de faire voir en même temps que
Michel-Ange avoit paiTé une grande partie de fa
vie à Rome , où font les chefs-d’oeuvre de fon
génie. Il eft inutile de faire obferver que l’Arno
avoit à côté de lui un. lion , & le T y b re ladouve,
allaitant Remus & Romulus. Le T y b r e étoit de
la main de Jean-François de Caftello , élève du
Bandinelli ; 8c l’Arno du cifeau de Baptifte'Bene*
de tto , élève de l’Ammanati.
D e deffus ce plan s’élevoit un grand quarré de
cinq coudées & demie avec fes corniches, Dans
le milieu de chacune d.es faces.de ce maflif étoient
des tableaux en grifaille. Sur la face des de;iix: fleuves
, on v o y o it Le grand Laurent de Médiçis recevant
dans fon. jardin le jeune Michel- Ange1, dont
il .avoit déjà, vu'quelques e liais', comme.autant de
fleurs qui annonçoient les fruits que dèvôit produire
fon génie avec . tant d’abondance. Dans le
fécond tableau , vis-à-vis la porte latérale de l’égîife,
on .vo yp it Michel-Ange , bien accueilli , après le
fiège de F loren ce , par Clément V I I »contre l’attente
du public. Le peuple n’ayoit jugé des fen*
timens du pape que par l’oppofiîion de .l’artifte à fes
intérêts. Mais Clément n’avoit vu .dans cette opposition
qu’une grandeur d’ame. qu’ il ne,'ceffoit d’admirer.
Auflidans ce tableau ,.pour raffurer Michel-
Ange & lui montrer fon eftime, il lui propofoit la
conftruâion de la nouvelle facriftie & de la bibliothèque
de_Saint-Laurent. Michel-Ange lûi'préfen-
toit ën même-temps le plan,de la nouvelle fac-rjftie ;
& derrière lui on appercèvoit les modèles de la
bibliothèque , de la faccriftie. & dès ftatu'es dont
il l’orna , portées- par de petits ' génies & autres
figures. Ce' tableau étoit de la main d’un peintre
Flamand , dit le Padouan.
Dans le troifième cadre qui régardoit le maître-
autel ,.on lifoit une grande épitaphe latine, faite par
le fa van t Pierre Vetrori.*
U foïlegium piElorum(latuariôrum acKiteïlorum auf-
jj p'icio opequefibi prompta, Cdfmi duels, auElor'is fuorum
jj 'Cümtn'ddorufnfufplchns-fîngulârem ^irtittem Michaelis-
jj Angeli Buonarota. , intejligenfque quanto fibi duxilio
jj fempér fulntirp'&clara ipji'us opéra ] Jïu'duitfe graturn
jj ergà ilium qflendere fummum omnium qui uhquam
ri fuerïnt piElorurh flatuariorum qchiüBorwn -, ideoqiu
jj monumentum. hoc fuis manibus, éxtruüüm magno ani-
w mï aritore'ipjîus inCfnor'icz dedltâvit : "
«•Le college des peintres ; Icpljpteurs & -arclii-
jj tedfës fous les aufpices & àveCIési feconrs du
jj du c Cô'me, aUteur de toûs fes avantages, voyant
„ la vertu fingullère de Michel-Ange Buonarotî ; avoit été faîte par Jean-Benoît Caftello. Dans le fe-
„ & faohnnr combien fes beaux ouvrages lui ont cond cadre, vers la porte latérale, on v o y o it Michel-,
„ é t é u tiles , a tâche dé montrer fa reconnbiflance A nge peindre fon jugement dernier ; ce tableau étoit
« au plus grand de tous les peintres , fculpteiirs ! dû aux élèves de Michel de Ridolphi ; ils y avotent
, i& architeftes , & dans cette vue il a érigé de mis une grâce & une beauté que l’on ne fauroit
„ le s mains , & avec la plus grande ardeur ,■ ce exprimer. A la gauche , la ftatue de la peinture
intiment ou’il coafacre à fa mémoire». • ■ H étoit du cifeau de Baptifte Cavalteri. Le troi-
Cetre epiiaplie étoit i.outenue par> deux petits
génies pleurans.
La peinture qui étoit vis-à-vis la porte du cloître
repréfentoit Michel - Ange Soutenant le fiège ’de
Florence, avec les fortifications du Mont Sairit-
M'nuito »ouvragéplein d’invenuon Ôc de fagacité ,
qui. fut regarde comme imprenable..
Aux quatre angles de la baie du catafalque étoient
des grouppes de figures plus grandes que nature.
La première, en allant vers le maître-autel, à droite,
étoit un jeûne homme lvelte , ayant deux petites I
aîles au haut de la tête , comme on en voit à
Mercure. Il repréfentoit le génie , & fouloit aux
pieds l'ignorance caràétériiée par des oreilles d’âne.
Cegrouppe étoit de Vincent Danti , de Peroufe.
Sur l’autre piédeftal qui régardoit la facriftie
neuve , s’élevoit la piété chrétienne, tenant fous
fes pieds le vice , fon ennemi ; elle étoit de V alère-
Simon Cio'ii. A la gauche de c e lle - c i, on v o yo it J
un autre g.-ouppe allégorique ; c’étoit l’art , tenant
fous fes pieds l’envie. L’art paroiiîoit fous les traits
de Michtl-Ange. L’envie avoit la forme d’une vieille
femme fèche &- décharnée : des ferpens l’entou-
roient , & elle tenoit une vipère à la main. Ces
deux figures étoient d’un très-jeune artifte, nommé
Lazare Calamech, de Carrare.
‘ Sur le quatrième piédeftal étoit placé lin grouppe
d’André Calamech , élève de l’Ammanati , &
oncle du jeune homme dont on vient de parler.
La principale figure repréfentoit l’étude fous les
traits d’un jeune homme fier Ck décidé , qui avoit
aux poignets deux petites aîles , pour marquer la
promptitude de l’exécution : il fouloit aux pieds la
pareffe perfonnifiée par une femme lan'gmffànte,
fatiguée , pefante & dormeufe dans tout fon maintien.
C ’étoit de deffus le piédeftal orné de ces quatre
grouppes que s’éle voit le maflif orné de peintures
dont on a parlé ; il fervoit encore de bafe à un
troifième de même forme , mais plus é t ro it , décoré
a fes quatre an g les , de figures grandes comme nature.
A leurs attributs, il étoit ai-fè de les recon-
noître pour la peinture , la lcu lptùre, l’architecture
& la pbéfie. Ce tte dernière , 1a lyre en main ,
avoit le coftume de Calliope. V oici ce que'repré»
fentoient les peinturés dès faces ou fécond plan.
Dans le premier cadre , on v o y o it Michel-Ange
préfenter au pape Pie IV ; le -modèle de Te tonnante
coupole de Saint-Pierre de Rome. La fur-
prife du pape & de tous lés fpeélateurs étoit e x primée
d’ une manière frappante-/ L ’àutfeur de cet
excellent tableau étoit Pierre Fraficia , peintre
Florentin, La ftatue de l’arçhke&uiè placée a gauche
fième tableau , tourné vers le maître-autel, c’eft-
à-dire , an-defiùs. d e : l’épitaphe, pre fen toit Michel-
A n g e , s’entretenant avec une femme, qu’a fes
attributs l’on reconnoifloit aifément pour la fculp-
türe ; il paroiffoit délibérer avec*elle , & avoit àu*>
tour de lui pliifieurs de fes chefs.-d oe vrc. La
fculpcwte tenoit à fa main une rabletie où fe li-
foient ces mots : « Simili. Jub irrtagine formons n.
C e tableau plein d’invention , de goûc & d’exact
itu d e ,.é to it d’André del M in g a , Florentin , 8c
la ftatue d-e la fculpture qui l’accompagnoir, étoit
d’Antoine de Gino Lorenzi ,■ excellent fculpteur.
Dans le quatrième tableau , la poéfie étoit repr*é-
fentée par M ich el-Ange, occupé à écrire une de
fes compofitions îk entouré des n e u fm u fes dans
toute la pompe que leur prêtent . les poètes. A
leur tête paroifloit Apollon , la lyre en main,
8c une couronne de laurier fur le front ; il en
tenoit une autre pour en ceindre celui de Michel-
A nge , Ôc 041 lifoit à côté ces paroles du Dante :
« Conduce ml, Apollo ;
jj E nove tnufe mi dïmonjlran l’orfe jj.
« Apollon , guide mes pas, Ôc les n eu f mufes
jj me montrent île pôle.«.
Ce tableau étoit d’une riche compofition ; la
manière , les attitudes en étoient frappantes. Jean-
Marie Butteri; en étoit l ’auteur': la ftatue corref-
pondanre étoit de la main de Dominique Pog-
gini. Jufques là le catafalque avoit trois plans qui
alloienten décroiffant : fur le premier étoient couchés
les fleu v es, le fécond étoit celui qui por-
toitles grouppes » ÔC le troifième portoit les figures
des arts. Sur leur embafement on lifoit ces mots
latins :
« Sic ars extottitur arte jj*
« C ’eft ainfi que l’art eft honoré par l’art jt.
Au-deffus de ce dernier plan s’élevoit une p y ramide,
de la hauteur de neuf cou dées, au pied
de laquelle , fur deux de fes faces, c’eft-à-dire,
celles tournées vers la porte Ôc vers l’a u te l, on
- v o y o i t , dans des ovales en bas-reliefs . la tête de
M ich vl-A n g e , moulée d’après nature & exécuté«
avec le plus grand foin par Santi Buglioni. A u
fommer de cette même pyramide étoit une boule
deftmée à renfermer les cendres de MichelrAnge,
Ôc au-deflus de la boule planoit une renommée
plus grande que nature ôc embouchant une trompette
à trois pavillons. Elle étoit de la main é e
Zancbi Laftricati q u i, outre les foins dont il fut
accablé 9 comme fur-infpeéleur de tout l ’ouvrage