
leur voîx : auffi ne les retrouve-t on point dans
cesfiècles de licence & de déprédation , qui forent
toujours les préludes de la plupart des peuples ;
ou bien , fi l’on confidère leur c ara fiere , on y
découvre le même efprit de défordre & d’indifi
eipline. Tous les principes méconnus ne confer-
vent entre eux ni mefure, ni proportion ; toutes
les qualités fe combattent : de-là ces incohérences
d’idées; de-là ce mélange iuexpliquable de force
& de foibleiTe , de grandeur & de mefquinerie ;
de-là l’exagération, compagne de la timidité. La
ja&ance efi mife à ta place de la hardieiTe , la
frivolité remplace la grâce, le luxe bientôt bannit
îa. richeffe. Gonfidérez les productions des fiècles
& des pays que l’hiffoire nous prêfente fous ces
points de vue politiques , vous appercevrez partou
t, fort dans les ouvrages de l’efprit, foit dans
ceux de la main > l’effet du défordre moral & de la
eonfofion politique > & les principes de diffolution
que renferme leur eonffitution. Seroit-'l nécef-
fàire d*appeller en témoignage & à l’appui de ce
sjn’on avance ici , les ouvrages fi connus de ces
peuples à demi-civilifés, où le droit de la force
s e fonnoit que des conquérans, fans former de
rois , où la loi ne trouvoit , ni perfonne pour
la faire, ni perfonne pour y obéir ? Faudroit-il
interroger les monumens des Arabes, des Maures,
«lesjSarrafins , & ceux de nos barbares ancêtres ?
Qui pourroit fe refufer à voir dans le carafière
de défordre & de confùfîon , adhérent à toutes
leurs productions , l’influence indirefte d’un gouvernement
anarchique , où toutes idées de règle
êc de difcipltne méconnues, le hafard & le caprice
étoient les fouis légiflateurs ?
Se pourroit-il, en effet, qu’on méconnût Pae-
tion puiffante de la force politique fur les goûts
ék les habitudes des hommes ; & s’il n-’eflr perfonne
qui ofe conte fier cette vérité , comment
s’en trouveroiî-tl qui refùfaffent de convenir que
les arts ou les ouvrages des hommes doivent
bous traofinettre l’effet de cette aCtion , & en
quelque forte le contre-coup des fenfat-io-ns qu’éprouve
l’ouvrier l
Si la licence & le défordre de l’anarchie pro-
«luifent, dans le carafière des hommes & des
arts , des effets à - peu-près femblables à ceui qui
réfulteot de l’ exceflïve chaleur du climat, nous
verrons les gouvememens libres où l’homme
jouit de tous fes droits , concourir avec l’aCtion
des climats tempérés au développement le plus
jufte de tomes les qualités qui forment le carafière
d’ordre, de fageffe & d’harmonie, qui efi îa perfection
des arts». La Hberté , qui confffte dans
Fexercice légitime de tous les droits de l’homme , a
un tel pouvoir fur ies peuples où elle règne , qu!on
îa croirait propre encore à-corriger l’influence des
climats».. Que ne- peut-elle , en effet, fur la nature
elle - même l Elle fertilife les rochers lès plus
arides, elle embellit les déforts les plus fauvages,.
tUe fait naître Fiaduffrie chez, les hommes les
plus greffiers ; la liberté efi une fécond® arn«
qui donne aux corps une nouvelle vie. Et ce
principe vivifiant n'auroit pas lur les arts une
influence marquée ! Les montagnes &. les rochers
fe refTentiroknc de fa préfence , & les oeuvres du
génie de l’homme n’èprouveroient pas fa puif-
lance 1 Je n’appellerai point ici l’exemple des
peuples qui ont vu fleurir les arts, pour prouver
ce qui n’a pas befoin de l’être , & ce que la fuite
va démontrer jufqti’a l’évidence*
Comme l’elprit d’un homme habitué à penfe*
s’élève davantage en raie campagne ou fur le
font met d’une montagne que dans une caverne
étroite & obfciKe , de même l’a me des peuples
s’élève & s’agrandit fous Fatmofphère de la
liberté. Dans les gouvememens libres , toutes
les facultés morales prennent leur jufle effor.
Dans ceux dont on vient de parler , un inflinét
irraifonnè , une aveugle impètuofité portent les
hommes à outrer toutes les qualités ; & dans la
confufion de tous les principes , on croit voir
le vice dans la vertu même , & quelquefois une
forte de vertu dans les excès les plus vicieux :
c’eft que tout manque d’un principe de jufiiee
auquel puiffent fe rallier les actions des hommes
& les jugemens de l’opinion. Mais où règne la
véritable liberté , toutes les facultés des hommes
prennent néeeflaireraent unediredion qui , tendant
au bien général , renforce les qualités individuelles
, & multiplie * fi l’on peut dire ,
l’exiftence de chaque homme* C ’eft-là que toutes
les vertus acquièrent leur plus grand degré d’énergie
; e’eff-là que la jufiiee, la franchife ,> le courage
, le définiéreflement y l’amour de la patrie *
la grandeur d’ame fe montrent dans leur jufle
mefure. C ’eft-là auflî que le befoin de feindre &
de fe contrefaire n’exiftant point , les partions fo
montrent à nud ; que les caraâères des hommes
fe déploient dans leur entier ; que l’art d’emprunter
un vifage ou de colorer le fien , ne cache
point les traits de la nature ; que le vice fo fait
voir à côté de la vertu ; que l’artifice de la
flatterie ne mafque point les affections & les goûts
que les faux dehors d’une trompeufo civilité
n’altèrent ni la franchifo du maintien- r ni la
liberté du. langage, ni l’expreffion desfontimens».
Et ne voyez-vous pas que les arts de l’imitation
trouveront là des modèles en tout genre , & les
fouis qu’ils puiffent copier ? Quel que foit le langage
des dinérens arts , qu’il fo compofe de paroles
ou de fons, de couleurs ou de formes, je vois
fous l’influence de la liberté leur carafière fe développer
en traits grands & hardis , maisfages &
réguliers.
Si nous jettons un coup- d*ceil‘ fûr ces gou-
vernemens mixtes, qui tiennent un milieu équivoque
entre la liberté des loix & le pouvoir
arbitraire d’ un foui ,.nous verrons,auffi que, fem*»
blables à ces climats indécis- auxquels la nature,
feuahle atveàr refofé Mae propriété décidée ou une
•j.trw
vertu déterminée , leur aCtion fur les arts ne produira
que des effets neutres , variables , incertains ;
que Ve carafière de ceux-ci ne nous offrira que
doute & indécifion ;& la raifon , on la découvre
aufli facilement dans la relation intime qui exiffe
entre le carafière des hommes & celui de leurs
arts. -
Deux caufes principales femblent plus que toute
autre chofe encore contribuer à rapetiflèr * neu-
tralifer, dans ces gouvememens mixtes , le carafière
des hommes , la grande élévation ou la
puiffance d’un foui, & la. mobilité des loix qui
émanent de fa volonté arbitraire.
Il n’y a pas de meilleur moyen de rendre petits
tous les hommes d’un état, que d’en faire un qui
foit fans aucune efpèce de comparaifon plus grand
que les autres. De - là deux effets fenfibles ; la
baffeffe ou' le fentiment de la nullité , dans le plus
grand nombre des .hommes qui s’imaginent &
voient en effet qu’il n’y a d’honneur, de mo-
numens d’hommages que pour celui qui a le droit
exclufif d’être grand , qui foui a le droit de s’im-
mortalifer, àl’exclufion & aux dépens des autres ;
& la vanité , plus baffe encore que la baffeffe,
dans le petit nombre de ceux qui Croient s’agrandir
en s’approchant du colofle qui les rape^-
tiffe De-là encore l’empire de l’opinion , de 1 imitation
& de la mode , qui parvient à oter aux
âmes toute empreinte de carafière dijlinfiif ou
d’originalité. Là où règne cette influence fi aCtive
du fouverain fur les hommes, ne cherchez point
d’habitudes particulières à chacun , ne cherchez
point de carafière tranchant, de moeurs faillan tes ,
de volontés décidées , de goûts perfonnels ôt
forts. Tout fe moule fur l’exemple qui , de proche
en proche , defeend du trône , & fe communique
au dernier des fujets.; là , rienn’eft bon , jufte &
louable que ce que le fouverain trouve tel.
, Arbitre de l’opinion , parce qu’il tient a lui foui
les refforts puiffans de i’hoiineur & du blâme , il
dirige toutes les volontés , façonne toutes les
âmes.
L’empire des Voix a peu de force -dans les
gouvememens où il peut exifter un homme plus
fort que les loix ; car cet homme fera nécef-
fairement la loi. La loi ne fera donc que l’expref-
fion de fa volonté, fouvènt de fes caprices ; mais,
à vrai dire, quand il lui plairoit d’en reconnaître,
*1 auroit toujours trop de moyens pour leseluder
fans les détruire. Il fubftituera la règle de l’opinion
à celle de la loi ; & c’eft alors que l’on
verra les plus fingulières contradictions entre les
principes des hommes & leurs aCtions , les combats
les plus extraordinaires entre la raifon &
l’opinion , entre la vertu & l’honneur , qui
n’en efi que l’apparence. De-là l’empire des préjugés.
Sous une telle forme de. Gouvernement , les
hommes ne. font ni bons , ni médians ; les
paflions n’ont rien d’exceflif en bien ni en mal ;
Architecture. Tome 1*
elles ne trouvent aucune direction puiffante q u
les porte loin. Toujours arrêtées dans leur irur“
che , elles s’habituent à fe reployer.Combatt ue*
par de» principes contraires , elles réagiffent fut
ellès-mêmes, & n’ofant fo montrer à décoii-vert ,
elles fe compofent & fe combinent de telle façon
que fans être la difïimulation , elles en ont tou
l’effet. La diffimulation feroit un vice , & l’ont
ne s’étudie qu’à être fans vice comme fans vertus.
La politeffe peut foule donner aux hommes ce
vernis qui les met tous à l’uniflbn , qui enveloppe
de la même apparence Jes bonnes comme les
mauvaifes habitudes , & imprime à toutes les
phyfionomies cette triffe uniformité , fous laquelle
on ne fait plus en diftinguer une feule.
Les arts qui imiteront de tels hommes 8 c
de telles moeurs, auront-ils plus de carafière que
leur modèle, & pourroient-ils lui donner des traits
dont l’énergie rendroit foule leur portrait mècon^
noiffable ? Le langage des paflions ne fera-t-il pas
obligé d’être froid & languiflant , l’expreflton des
moeurs indécife & équivoque , & celle des fen~
timens affeClée -, contrainte & factice. ? Et quel
fera le fort des arts du deflin , qui ne trouveront
ni fontimens vrais , ni moeurs naïves , r/î
paflions entières dans leurs modèles f ne feront- /
ils pas forcés d’être fans ceffe dans l’alternative
d’une vraie petiieffe ou d’une grandeur maniérée,
d’être toûr à tour outrés & pufillanimes , vrais
jufqu’à l’ignoble,& nobles jufqu’ à la flatterie ; froids
dans l’exprefïion, ou exagérés dans leur grimace ?
Eft-ce bien la peine d’aller deviner quel pourroit
être le carafière des arts chez les peuples
qu’opprime le joug du defpotifme ? L’idée feule
de ce gouvernement exclut celle des arts. Comme
nous avons vu les climats glacés repouffer leur
préfence , de même vous les verrez s’enfuir à
l’approche de l’efolavage. Et quel carafière pour-
roient avoir les arts ftipendiés par des defpotes ?
Car , à cqup fûr, l’intérêt foui pourroit les attirer à
leurs cours. Avilis par le mépris du maître même qui
les tient à fes gages , réduits à la vile condition
de flatteurs , pourront - ils concevoir des idées
nobles & hardies \ Devenus objets d’un luxe privilégié
, ne feront - ils pas obligés de fe plier à
tous les caprices de la fantaifie ? Mais, que dis-je i
ils tromperont encore l’avide curiofité de leurs
tyrans. Lorfque ceux-ci fe flattent d’une poffeflion
difpendieufe , déjà les arts ont échappé à leu#
pouvoir, & fo font fouftraits à l’orgueil de leur
domination. Ils ne leur ont laiffé qu’un vain fimu-
lacre qui les abufe. Oui , l’orgueil & l’argent
des defpotes peuvent bien acquérir les procédés
des arts, mais leur génie ne s’achète point: fou-
vent des nations entières s’abufent par l’apparence
du froid méchanifiné dans lequel elles font con-
fifter les arts ; elles ne voient pas qu’elles ne
poffèdent que leur dépouille ; le génie s’eft envolé.
Ne cherchons dans les arts qu’attire à foi
1 Farg«nt defpotes, d’autre carafiere que celui
Q q ?