
le fruit d’un art fixé par des princ ipes, le plus
habile artifte nuiroit en quelque forte aux progrès
des arts qu’il p erfed ion n oit, ou que tenant à lui
feul leur deftinée , il verroit leurs principes naître
& mourir avec lui.
C ’eft ce qui eft arrivé à Michel- Ange pour le
deflin. Dans toute cette foule, d’imitateurs qui le
fu iv en t , on reconnoît bien le deflin du maître,
mais non celui de la nature. C ’eft que Michel-
Ange avoit étudié le deflin dans l’anatomie ,
& que les autres n’étudièrent l’anatomie que dans
, le deflin de Michel-Ange. A u fli cet homme, toujours
aufli imité qu’inimitable , ne fauroit-il être
comptable de l’influence qu’a eu fon goût fur les
arts du deflin. On peut regretter que la naïve fim-
plicité des premiers inventeurs de la peinture n’ait
pas rencontré plus de modeftes imitateurs ; on peut
regretter que ce germe fe foit développé avec une
précocité qui n’a pas lai lié à la fève du temps le
moyen de corroborer fon ouvrage. Mais fi cette
maturité accélérée tenoit à la nature des chofes
& des influences modernes, n’accufons pas Michel-
Ange d’avoir devancé fon fiècle ; admirons-le, &
plaignons ceux qui l’ont f u iv i , ou d’être venus
après un fi grand h om m e, ou de n’avoir pas fu
profiter de fes leçonà.
D u génie de Michel- Ange dans Varchitecture, & de
Vin fluence q u il a eu fur cet art.
O n retrouve chez les Grecs dans leur architecture
, dans leur fculpture , dans leur pein tu re,
dans leur mufique, dans leur éloquence , dans leur
poéfie , & même dans l’habillement & la parure de
leurs femmes , un fyftême de beau idéal réalifé
couftamment. Il n’exifte en effet qu’une efpèce de
beau id é a l, non plus qu’une poétique & une logique
pour le comp ofer. foit a v ec des fons , foit
a v e c des couleurs , foit avec des formes. Les
Grecs furent heureux d’avoir rencontré dès le principe
ce beau id é a l, cette poétique & cette logique
de tous les beaux arts : ils n’ont prefque fait que
des chefs-d’oeuvre.
Les modernes n’ont pas eu cet avantage. Au fli
prefque toutes les fois qu’ils ont quitté dans les
beaux arts les traces des G re c s , n’ont-ils jamais
fait trois pas de fuite fans tomber ou s’égarer.
O n vient de voir ce qu’a été Michel-Ange dans
la peinture & le deflin; comment feul & fans le j
fecours des anciens, il s’eft fra yé en ce genre
une route nouvelle , & qui le met prefque hors de
la portée de toute comparaifon avec eux. Je n’ai
pas intention de faire ce parallèle. A in fi je ne
parlerai pas de fa fcu lpture, quoique cet art où
il a le plus excellé & dans lequel il eft le premier
des modernes, pût m’offrir des points de
comparaifon que . fa peinture ne préfente que plus
imparfaitement. Je me hâte d’arriver à l’architectu
r e , cet art qui occupa prefque fans ceffe les
dernières années de -Michel-Ange.
O n ne s’étonnera pas fans doute que celui dont
le génie a créé l’art du deflin, qui n'avoit pu avoir
de maître dans la peinture, qui femble n’en avoir
voulu aucun dans la fcu lpture, fe. foit élevé encore
tout feul aux grandes conceptions de l’archi-
tedure. O n s’étonnera moins encore de cette réunion
des trois arts du deflin, dans un temps où
ceu x 'ri abandonnés au génie , n’étoient pas encore
parvenus à s’ifoler dans le cercle étroit des routines
qui depuis long temps leur fervent de principes.
Michel-Ange fémble être une efpèce d’abrégé des
fiècles de la G rèce : la nature femble ne l’avoir
formé que pour rendre croyable ce qu’elle avoit
pu faire autrefois chez les peuples de cette contrée.
Che z eux les artiftes étoient plus ou moins initiés
dans la philofophie, la poéfie & l’éloquence:
c ètoit le génie & non pas la néceflité qui leur
mettoit à la main le c ife au , ou le pinceau, ou
la plume. Ils choififfoient parmi ces différens
inflrumens celui qui alloit le mieux à leur génie
oc à leur talent. Souvent ils les employoient tour
a tour. Les beaux arts n’étoient pour eux que
les différentes dialedes d’une même langue, de la
langue facrée du beau.
Les a r ts , je l’ai fait voir au mot A rchitecte
(voye^ ce mot ) ', ne furent aufli dans les premiers
fiècles de l ’Ita lie , que le langage du génie. Dès-
lors celui qui parloit un a r t , les pariok prefque
tous. L e deflin ou la connoiffance des beautés
& des proportions de la nature , étoit leur
bafe commune. Le deflin fera toujours celle
de Farchitedure. A in fi le plus grand de tous les
déflinateurs ne dut pas avoir befoin de maître en
cet art. Michel-Ange, architede , n’eft qu’une.con*
féquence de Michel-Ange, deflinateur.
J’ai dit que je ferois voir quel rapport il y â
eu entre fon architedure & fon deflin dans les
autres arts. O n s’imagine ordinairement que
l’homme qui porta, fi l’on peut dire , la force &
l’énergie du deflin aux bornes de Fimpofiîble ; qui
exagéra en quelque forte la nature humaine dans
fes'repréfen tarions gigantefques , doit avoir aufli
exagéré toutes les formes de Farchitedure, enflé
fes m o y en s , & produit des effets extraordinaires
dans ce t art. Il n’en eft rien du tout.
Si l’on excepte la coupole de Saint-Pierre, il
y a très-peu de relation apparente entre les formes
au deflin de Michel-Ange & les formes de fon
architecture. Mais il y en a une bien réelle entre
leurs principes , & c ’eft ce qu’il faut expliquer. On -
a v u que l’anatomie a vo it été. le principe unique
du deflin de Michel-Ange. O n a Vu comment cette
étude l’avoit éloigné de la recherche du beau idéal»
de celle de Fexpreflion & de la grâce. Mais que
devient le génie le plus impétueux , fi la beauté,
Fexpreflion & la grâce ne tempèrent fon emportement
? il tombe dans le bifarre : c ’eft l’excès
dont Michel-Ange eft toujours voifin & dont il
n’a pu fe préferver dans le plus grand nombre
de fes ouvrages. Nous verrons qu’il en a porté les
abus dans l’archkedure.
On a vu q ue , fort de fon g én ie , Michel-Ange
avoit négligé les leçons de l’antique ; que toute
fon ambition fut de fe créer une manière originale.
On a vu aufli comment la route nouvelle ,
que la nature lui avoit découverte dans les fecrets
de l’anatomie , avoit pu le difpenfer de copier les
modèles de Fart : mais on prévoit déjà ce que
l’opinion qu’il avoit de fon génie & l’ambition de
l ’originalité lui feront produire dans Farchitedure.
Ne voudra-t-il pas n’être redevable qu’à lui feul de
toutes fes conceptions ? Ne croira-t-il pas que celui
qui a trouvé une manière nouvelle de de flin ,
peut aufli créer un genre nouveau d’architedure ?
Ne fe perfuadera - 1 - il pas qu’ il doit ajouter aux
inventions des anciens, & qu’ il eft indigne de
lui de fuivre les routes battues ; qu’en fin , félon
fa maxime, celui qui s ’efl habitué à fuivre , ne faura
jamais aller devant ?
Voilà fans doute les deux raifons qui ont influé
fur Farchitedure de Michel-Ange. C e fut par
nature autant que par fy ftêm e , qu’il introduifit
dans cet art des caprices quelquefois très-voifins
de la bifarrerie. Cependant il -faut diftinguer en
lu i , deux fortes de g én ie , celui de l ’enfemble
& celui des détails.
Michel-Ange porta dans Fart du deflin les défauts
& les qualités qu’on Remarque ordinairement
dans tous ceux qui en ont ouvert les premiers
laroute.Sil’on v eu t prendre la peine decomparer la
marche des arts à celle des moeurs, dans chaque
pa ys , on là trouvera tout-à-fait femblable. Les
arts o n t , comme-les moeurs, leur fiècle d’hé-
roïfme. A cette époque des moeurs, le caradère
des hommes, fe compofe d’un petit nombre de
traits, mais fiers & remplis d’énergie. La première
des qualités eft la fo r c e , la première des
vertus eft le courage , la première fies paflions
eft l’orgueil. La force , le courage & l’orgueil
ne femblent être même que les élémens de
l’amour. On ne connoît encore ni les nuances des •
paflions que la foc iété n’a pas affez tra vaillé es,
ni ces idées comp ofées, n i les fentimens recherchés
qui en modifient dans la fuite le langage. Il en
eft de même pour les arts. N e cherchez pas dans
leur premier f ty le ces nuances de ca rad ère, ces
variétés d’expreflion , ces délicateffes de fentiment
& de vérité , fruit de l ’art modifié par les moeurs,
la fociété' & l’expérience. Vous n’y trouverez
d’autre caradère que celui de la force , d’autre
expreflion que 'celle de la hardieffe , d’autre fentiment
que celui de la grandeur , d’autre vérité
que celle qui embraffe les grands rapports & néglige
les détails. V ou s reconnoiffez - là dans la
poéfie, E f c h y le , lé Dante & Corneille ; vous re-
connoiffez-là dans le deflin & la peinture, Michel-
Ange ; vous allez le reconnoître aufli dans l’archi-
tedure.
Ce n’eft pas qu’au premier afp ed le goût de
fon architedure fe reffente de cette fierté qui
G^ïadèrife fon deflin : je Fai déjà dit ; & fans doute
Ces réflexions paroîtroieçt plus appliquables à Farchitedure
de Brunelefchi qu’à la fienne. O n va
vo ir pourtant comment fon f ty le d’architedure
dépendit du ftyle de fon deflin. Habitué à con-
fidérer la nature fous un petit nombre de rapports »
fi Fon peut dire, dans une feule & même
formule , Michel-Ange, qui ne v o y o it dans l’imitation
de la nature que 'Fexpreflion du deflin le
plus .énergique, ne connut pas non plus dans Farchitedure
ce langage varié , q u i, par la coifibi-
naifon des différens mode s, parvient à exprimer
de rapports différens, & à produire des fen-
fations de plus d’un genre. Son ame n’étoit aceef-
fible qu’à un, feul genre d’imprefliôm II ne chercha
que la force dans le deflin ; il ne chercha que
la grandeur dans l’arehftedure.
C e qui prouve combien Michel-Ange étoit capable
de lentir les très-grands rapports de Farchitedure
, c’eft fa coupole de Saint-Pierre. Pour
en comprendre tout le m ér ite, il fuffit de penfer
à fon immenfité. Michel-Ange étoit né pour cette
entréprife : fon génie s’y trouva à l’aife. J’ofe dire
que Farchitedure a produit des hommes dont
les ouvrages doivent fervir de modèle plus que
ceux de Michel-Ange ; ,j ’ofe dire en un mot qu’il
y a eu d e ’ meilleurs architedes que lu i ; mais
j’ofe dire aufli qu’aucun n’eût été. capable de l’é galer
dans cette entreprife, qu’aucun n’a v o it , je ne
dirai pas la mefure, mais,s’il m’étoit permis de parler
ain fi, le moule de génie conforme à cet ouvrage.
En voulez-vous la preuve ? J e né vous citerai
pas tous les ouvrages poftérieurs du même g en re ,
& qui n’en font que de foibles .copies. Je vous
citerai les modèles de Bramante & de Sangallo ,
qui avoient précédé Michel-Ange dans la conception
de la coupole de Saint-Pierre. L e g o û t , ou
ce qu’on appelle lé f t y l e , de Sangallo & de Bramante
dans F architedure, eft fans doute préférable
à celui de Michel-Ange : j’en demeure d’a o
cord. Cependant l’un & l’autre n’avoient fait de
I cette immenfe coupole qu’un petit monument,
j dont les détails ablorboient, divfloient & atté-
nuoient l’enfemble ; ils en avoient fait un monument
d’art & de fa v o i r , de richeffes & de
combinaifons: Michel-Ange a r r iv e , il n’en fait
qu’une grande penfée.
C ’eft à Saint-Pierre qu’ il faut prendre l’ idée du
génie de Michel-Ange dans Farchitedure ; mais
avant t o u t ,. il faut favoir & ce qu’il y a fa it ,
& ce qu’il y vouloit faire.
Les hommes aiment en général le merveilleux*
L’idée du Panthéon porté & fufpendu en l’air
eft prefque toujours ce qui étonne le plus dans
la coupole de Saint - Pierre. Je pourrois dire ici
que le Panthéon à terre eft plus étonnant par
cela même qu’il étonne moins ; je pourrois dire
ce qu'on doit penfer de cette idée. Je renvoie ces
détails à l’article COUPOLE ( voye^ ce mot ) ; mais
ce que je dois dire , c’eft que cette id é e , quelle
qu’elle f o i t , n’eft pas de Michel-Ange. O n la doit