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rapides ; & tantôt lentes, larges & profondes. Des
rofeaux & d’autres plantes 8c fleurs aquatiques, fe
voient & dans les rivières 8c dans les lacs. Les
Chinois y confirmant fouvent des moulins & d’autres
machines hydrauliques, dont le mouvement
fert à animer la fcène. Ils ont anfîi un grand nombre
de bateaux, de forme & de grandeur différentes.
Leurs lacs font femés d’îles ; les unes fteriles, &
entourées de rochers & d’écueils ; les autres enri ■
chies de tout ce que la nature & l’art peuvent
fournir de plus parfait. Ils y introduifent aufïi des
rocs artificiels, & furpaffent dans ce genre de com-
pofition toutes les autres nations. La pierre dont ils
fe fervent vient des côtes méridionales de l’empire.
Elle eft bleuâtre, & ufée par l’a&ion des ondes en
formes irrégulières. Les morceaux choifis s’emploient
dans les payfages des appartemens, Les plus
grofliers fervent aux jardins, 8c joints par le moyen
d’un ciment bleuâtre, ils forment des rocs d’une
grandeur confidérable. Lorfque ces rocs font grands,
on y creufe des cavernes & des grottes, avec des
ouvertures au travers defquelles on découvre des
lointains. On y voit, en divers endroits, des
arbres, des arbrilfeaux, des ronces & des moufles,
& , fur leurs fommets, on place de petits temples &
d’autres bâtimens, où l’on monte par le moyen de
degrés raboteux & irréguliers taillés dans le roc.
» Lorfqu’il fe trouve afîez d’eau, & que le ter-
rein eft convenable, les Chinois ne manquent point
de former des cafcades dans leurs jardins. Ils y évitent
toute forte de régularité, imitant les opérations
de la nature dans ces pays montagneux. Les eaux
jailHflfent dgs cavernes 8c des fmuoutés des rochers.
Ici paroît une grande & impémeufe catarafte ; là
c ’eft une multitude de petites chûtes. Quelquefois
la vue de la cafçade eft interceptée par des arbres,
dont les feuilles & les branches ne permettent, que
par intervalles , de voir les eaux qui tombent le long
des côtés de la montagne. Quelquefois, au-defliis
de la partie la plus rapide de-la çalcade, font jettes
d’un roc à l’autre , des ponts de bois grofïiérement
faits, & fouvent le courant des-eaux eft interrompu
par des arbres & des monceaux de pierre, que la
violence du courant femble y avoir tranfportés.
« Dans les befquets, les Chinois varient toujours
les formes &les couleurs des arbres, joignant ceux
dont les branches font grandes 8c touffues, avec ceux
qui s’élèvent en pyramide, & les verds foncés avec
les verds gais ; ils y entremêlent des arbres qui por-?
•tent des fleurs, parmi lefquels il y en a plusieurs
qui fleuriflent la plus grande partie de l’année. Les
Chinois introduifent aufîi|des troncs d’arbres , tantôt
en pied & tantôt couchés fur la terre, & ils pouffent
fort loin la délicateffe fur leurs formes, fur la couleur
de leur écorce, & même fur leur moufle.
» Rien de plus varié que les moyens qu’ils
emploient pour exciter la furprife. Ils vous con-
duifent quelquefois au travers, de cavernes & d’allées
fombres, au fortif defquelles vous vous trouvez
iuhitement frappé de la vue d’un payfage délicjeux,
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enrichi de tout Ce que la nature peut fournir de plus
beau. D’autres fois on vous mene par des avenues
& par des allées qui diminuent, & qui deviennent
raboteufes peu-à-peu. Le paflage eft enfin tout-à-
fait interrompu ; des buiflbns, des ronces 8c des
pierres le rendent impraticable, lorfque tout d’tm
coup s’ouvre à vos yeux une perfpe&ive riante 8c
étendue, qui vous plaît d’autant plus, que vous
vous y étiez moins attendu.
» Un autre artifice de ces peuples, c’eft "Jde
cacher une partie de la compofition par le moyen
d’arbres & d’autres objets intermédiaires. Ceci excite
la curiofité du fpeétateur ; il veut voir de près, &
fe trouve, en approchant, agréablement furpris par
quelque fcène inattendue, ou par quelque repré-
fentation totalement oppofée à ce qu’il cherchons
La terminaifon des lacs eft toujours cachée, pour
laiffer à l’imagination de quoi s’exercer ; & la même
règle s’obferve, autant qu’il fe peut, dans toutes les
compofitions-diinoifes.
« Quoique les Chinois ne foient pas fort habiles
en optique, l’expérience leur a cependant appris que
la grandeur apparente des objets diminue, & que
leurs couleurs s’affoibliflent à mefure qu’ils s’éloignent
de l’oeil du fpe&ateur. Ces obfervatiôns ont
donné lieu à un artifice qu’ils mettent quelquefois
en oeuvre. Ils forment des vues én perfpeâive, en
introduifant des bâtimens, des vaiifeaux, 8c d’autres
objets diminués, à proportion de leur diftance, du
point de vue ; & pour rendre l illufion plus frappante
, ils donnent des teintes grisâtres aux parties
éloignées de la compofition, ils plantent, dans les
lointains, des arbres d*une couleur moins vive &
d’une hauteur plus petite que ceux' qui paroiflent
fur le devant. De cette manière, ce qui en foi-
même eft borné & peu confidérable, devient en
apparence grand & étendu.
« D’ordinaire, les Chinois évitent les lignes
droites , mais ne les rejettent pas toujours.-Ils font
quelquefois des avenues, lorfqu’ils ont quelque
objet intéreflant à mettre en vue. Les chemins font
conftamment taillés en ligne droite, à moins que
l’inégalité du terrein| ou quelque autre obftacle, ne
fournifle au moins un prétexte pour agir autrement.
Lorfque le terrein eft entièrement uni, il
leur paroît abfurde de faire une route qui fer-
pente ; car, difent-ils, c’eft ou l’art ou le paflàge
confiant des voyageurs qui l’a faite; & , dans l’un
& l’autre cas, il n’eft pas naturel de fuppofer que
les hommes vouluflentchoifir la ligne courbe, quand
ils'peuvent aller par la droite.
« Ce qu’on nomme en anglois clumps, c’eft-à-
dire, pelotons d’arbres, n’eft point inconnu aux
Chinois ; mais ils ne les mettent pas en oeuvre aufli
fouvent que nous. Jamais ils n’en occupent tout le
terrein ; leurs jardiniers çonfidèrent un jardin comme
nos pejntres çonfidèrent un tableau ; oc les premiers
groiippent leurs arbres de la même manière que les
derniers grouppent leurs figures, les un$ les autres
ayant leurs mafles principales 8c fecondaires.
» Les
m Les Chinois entourent communément leurs
bâtimens réguliers de terrafles artificielles , de
pentes & de beaucoup d’efcaliers, dont les coins
font ornés de grouppes en fculpture 8c de vafes
entremêlés de toutes fortes de machines hydrauliques,
qui, jointes â l’archite&ure, leur donnent
un air de'conféquence, & fervent à ajouter l’éclat
& le bruit au plaifir du fpe&acle. ^
» Autour de la demeure principale , le terrein eft
très-régulier & ouvert, & on l’entretient foigneu-
fement. On n’y fouffre aucune plante qui puifie em- \
pêcher la vue au point de l’édifice. Le batiment eft—il
champêtre, la décoration qui l’environne eft fau-
vage i le bâtiment eft-il noble , la. décoration eft
mélancolique ; le bâtiment enfin eft-il d’un afpeél
gai 8c riant, la décoration eft voluptueufe ; en un
mot, les Chinois font exa&s à faire régner un feul
8c même caractère dans les différentes parties de la
compofition.
« Us tirent tout l’avantage poflible des objets qui
font hors de leur diftriél. Ils tâchent de mettre une
îiaifon apparente entre leur jardin & les forêts , les
champs 8c les rivières éloignées ; & lorfqu’ils ont
des villes, des châteaux,, des tours & d’autres objets
confidérables à leur portée, ils favent s’en fervir fi
artiftement, qu’on les apperçoit fous tous les points
de vue 8c dans toutes les directions imaginables.^
« Us ont des décorations pour toutes les faifons
de l’année. Les décorations du primeras font les
arbres toujours verds, & ceux qui portent les fleurs
les plus odorantes ; le fo l, 8c les bords des bofqiiets
& des bocages, font ornés de toutes le$ fleurs de la
faifon. On entremêle les places cultivées de parcs
pour toutes fortes de bêtes privées & fauvages &
d’oifeaux de proie ; ailleurs, font des nichees d oi-
feaux & des endroits accommodés pour y faire
couver la volaille j enfin, de belles laiteries, 8c des
bâtimens deftinés à s’exercer à la lutte , au pugilat,
à. tirer-des armes, & à d’autres exercices connus^ a la
Chine. Dans les bois, ori ménage encore a l’écart
des grandes places découvertes, propres à des jeux
militaires, comme monter à cheval, voltiger, tirer
«les armes & de l’arc, 8c faire des courfes;
« Pour l’é té, les Chinois choififfent les parties les
plus riches & les plus foignées de leurs jardins. Ces
parties font remplies de toutes fortes,d’eaux, étangs, ’
rivières & machines hydrauliques ; de barques de
différentes conftruétions, propres à aller à la voile
& à la rame, à s’amufer à la pêche & à la ehaffe aux
oifeaux, ou à un combat naval. Les bois font formés
des-arbres qui fourniflent le plus d’o.mbrage, & les
bofquets des plus jolis arbuftes, des fleurs & des
plantes qui fleuriflent en été. Les édifices font
vaftes, brillans & nombreux. Chaque décoration en
offre un ou phifieurs, dont une partie fert aux
feftins, aux bals, aux concerts, aux entretiens phi-
lpfophiques, aux jeux, & à tous les exercices du
corps ; & les autres à fe baigner, à nager, à monter
à cheval , & à dormir ou méditer.
« Au milieu de ces plantations d’é té, fe trouve
Mrçhmttun. Tome I.
ordinairement une grande place, féparce du refte
pour fervir à la jouiflance des plaifirs fecrets. Cette
place çft coupée par une infinité d’allées, de colonnades
& de pacages cachés , & faifant mille finuo-
fités entortillées, où les promeneurs s’égarent aifé-
ment, & qui font diftingués entre eux par des bocages,'
par un amas de rofiers, par d’autres arbuftes, ou
quelqu’autre plantation. Les oifeaux de toute efpèce .
fourmillent dans les bois, toutes fortes d’animaux
bondiffent dans la plaine. Chaque promenade conduit
à un objet flatteur ; à des bocages d’orangers &
de myrthes ; à des ruifleaux bordés de rofiers 8c de
jafmins ; à des fources ornées de ftatues ; à des cabi- ■
nets de verdure ; à des grottes ménagées dans des •
rocs & incruftés de coraux, de métaux, de pierres
précieufes & de criftaux, 8c rafraîchies par de petites
fources d’une eau parfumée, & par de doux zéphyrs'
artificiels qui répandent de^fuaves odeurs.
» Parmi les pavillons & les autres bâtimens que
renferment les jardins, fe diftinguent fur-tout des
failes yoûtées en hémifphère. L’intérieur en eft
peint avec beaucoup d’ar t, & repréfente le ciel
pendant la nuit ; la voûte eft percée d’une multi- ■
tude de petites fenêtres -de verre coloré, figurées
comme la lune & les étoiles, & qui nelaiflent pafler
que la lumière néeeflaire pour répandre, dans l’intérieur
de l’édifice, la douce lueur d’une belle nuit
d’été. Quelquefois le plancher de ces failes eft
incrufté de fleurs comme un parterre ; par-ci, par-
là font maftiqués des fièges champêtres. Le plus
fouvent une fource d’eau claire jaillit du pavé, 8c
coule des flancs d’un rocher vers le centre de l’ap-
partemenl^ De petites îles flottent fiir l’eau, & fe
tournent 8c fe retournent à fon gré. Quelques-unes
font munies de, tables pour les feftins ; d’autres de
fièges pour les muficiens ; & d’autres encore d’arbres
, fous lefquelles fe trouvent des lits de repos i
des fophas, des bancs de gazon, & mille autres
commodités.
« Les plantations d’automne font compofées de
différentes fortes de chênes, de hêtres, & d’autres
arbres, dont les feuilles fe confervent long-tems
avant de tomber, & produifent un coloris très-
varié , en fécliant infenfiblement. Ils y entremêlent
quelques arbres toujours verds, ou quelques arbres
fruitiers, & le peu de buiflbns & de fleurs qui fleuriflent
tard ; enfin, des arbres morts 8c endommagés
, 8c des troncs d’une forme, pittdrefque, 8c couverts
de moufle 8c de lierre.
■ - cc Les bâtimens qui décorent' ces fcènes d’automne
, infpirent ordinairement l’idée de décadence
& rappellent aux paffans leur mortalité. Quelques-
uns font des hermitages & des hôpitaux, où les
vieux & fidèles ferviteurs de la maifon paflent en
paix le refte de leur vie , au milieu des tombeaux de
leurs pères enterrés dans les environs. D ’autres
font des ruines de châteaux, de palais , de temples
8c de chapelles défertes ; ou bien ce font des arcs
de triomphe à moitié démolis, & de fuperbes mo-
numens confacrés jadis à la^fnémoire d’anciens héros,
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