
lu i. Comme le.deffous de la tribune donne paffsge
à une porte , ces figures ne portent p o in t , comme
celles d’A th èn e s , fur un ftylobare continu , mais
chacune a fon piédeftal de forme circulaire -& richement
orné. La corniche & tout l’entablement le
font au ffi, peut-être a v ec excès. O n peut y trouver
d ’autres défauts, tel que celui delà frife bombée, qui
n ’eft excufable dans aucun cas. D u fefte,cet ouvrage
précieux quant à la fculpture , grand dans la pens
é e , hardi dans fon exécution, eft du plus beau
c a r a â è r e ,& refte malheureulement inconnu a vec
les débris d ’antiques mutilés dont ce tte fuperbe
falle eft devenue l’obfcur & le poudreux magafin.
C y ° y ei la % 69. )
Ce monument caryatide eft comparable aux beaux
ouvrages de l’antiquité , & l’on n’en trouveroit
point parmi les modernes quion pûr mettre en
parallèle. Car les figures caryatides de Sarrazin qui
ornent un des corps avancés ou pavillons de la
cour du Louvre, doivent leur réputation à la place
apparente qu’elles o c cu p en t, plus qu’à leur mérite
ré e l. Sans compter les vices multipliés qui réful-
ten t de leur agroupement pour l’architeélure , il
y a entre elles & les précédentes une diftance infinie
pour le f t y l e , le caractère & l’exécution.
L ’ Italie moderne ne préfente non plus rien en
ce genre de fculpture quipuiffe rivalifer avec l’ou v
rag e de Jean Goujon. Les caryatides d ; la fameufe
Log g ia de L a n z i, par Orcagna , à Florence , &
line infinité d’autres athlanres qu’on voit tant dans
cette v ille qu’ailleurs , plier fous le faix de l’ar-
chiteéhire qui les ècrafe , ne font que des produ
ison s capricieufes où la fculpture a fouvent plus
confulté l’ intérêt de fon a r t , que les rapports de
fon harmonie avec l’a rchiteiu re. C e goût , dont on
fera vo ir le v ic e & le contre-fens', paroît s’être
part culiérement accrédité dans la fculpture , à la
faveur des exemples que la peinture de décoration
en a donné fans mefure.
T o u s les peintres qui ont emp loyé des caryatides
au fupport faéfice de l’arçhite&ure feinté ,
n ’ont pas obfervé la même décence que Raphaël.
O n connoît les belles figures caryatides en grifaille
que ce grand homme a introduites fous l’emblème
des V e r tu s , dans le foubafïément d’ une des falles
du Vatican. Mais bientôt ce genre de flatues
feintes devint général dans toutes les décorations
des plafonds. Les Carrache, les Dominiquain , les
Laufranc l’exercèrent à l ’envi. L ’art de les com-
pofer n’eut plus d’autre règle que le caprice du
peintre , qui les regarda comme des efpèces d’académies
fufcèptibles de ia variété , de toutes les p o r
tion s & de la bizarrerie des attitudes les plus
forcées. D e ce mélange de flatues peintes avec les
figures en fluc qui fe trouvoient fouvent entremêlées
avec auffi peu de choix que de vraifem*
b lan c e , font réfultés & l’oubli des vrais modèles
en ce g en re , & celui des règles que di&e la convenance
: de-là ces comportions extravagantes de
termes ; de gaînes , de figures vraiment mônf-
trueufes qui ont décrié les caryatide? , & qui par.
viendroient à en faire profcrire l’ emploi , fi une
faine 6c véritable théorie ne fe hâtoit de les ramener
à leur jufie deftination.
Notions théoriques fur les Caryatides.
Les notions théoriques relatives aux caryatides,
c’eft-à-dire, les leçons & les principes de goût
que les artiftes font en droit d’e x ig e r , me parodient
renfermés dans les trois queftions fui vantes.'
Doit on admettre les caryatides dans F architecture ?,
Comment doit-on les y admettre ?
Ou doit-on les employer?
$’ il ne s’agiffoit, pour réfoudre la première de
ces queftions, que de confulter l’exemple & l’autorité
de l’antiquité & de prefque tous les peuples
de la terre , la réponfe fe trouveroit faite d’avance
dans la première partie de cet article. Mais comme
on a vu que cet u fa g e , chez la plupart des peuples
antiques, dut fa naiffance à des opinions re-
ligieu fes, ou à des motifs politiques , la rai fon 8c
le goût pourroient bien ne pas fe trouver d’accord
avec de-femblables inftiîutions , & s’accorder
à bannir de l’ archite&ure'moderne des objets
allégoriques q u i, ne tenant plus à aucune de ces
deux caufes , offenferoient gratuitement les principes
ou l’apparence de la foliditè. Si donc aujourd’hui
de telles rej>réfentations n’ont p lus , dans nos
édifices , d’autre principe & d’autre objet que le
plaifir des y e u x , v o yon s fi la raifon & le goût
peuvent en auiorifer l ’emploi. •
Ceux que choque le plus l’ufagedes caryatidest
font valoir contre elles l’invraifemblance qu’il y a
de faire foutenir à des figures d’hommes & fur-
tout de femmes, l’énorme fardeau des entable-
mens & des combles d’ édifices. Plus d’un critique
a répandu fur cet ufage le fel de la fatyre ; il y
a long-temps que le Dante écrivoit en vers :
C o rn e p e r f o j î e n t a r f o l a j o e t e t t o .
P e r m e n f o la t a l v o l t a u n a f i g u r a ,
S i v e d e giu n g er le g in o c h ia a l p e t to
L a q u a i f a d e l n o n v e r v e r a r a n c e u r à
N a f c e r e a c h i l a v e d e , & c . Purgat. K, v. 130.
La vu e & l’imagination femblent, en effet, bief-
fées au premier a fp e â , par la nécefiité d’admettre
l imitation de chofes dont on ne fauroit fuppofer
même un inftanr la réalité poffibile. Une feule
réflexion cependant peut faire difparoître tout ce
que cet ufage offre d ’improbable & de révoltant;
la voici.
Qu oiqu e la fculpture foit l’imitation ex a â e des
formes de la nature & des co rp s , cependant il
n’y a point d’art dont l’illufibn foit plus bornée,
& cela par la privation de couleurs. A in f iu n e
f ta tu e , quelque parfaite que l’on fuppofe fon imitation
, offre plus .d ’invraifemblance, par la cour
leur de la pierre ou du bronze qui la compose 3
que la vérité de fes formes ne peut produire d’ il-
Uifion. T o u t objet de fculpture peut donc s’en-
vifager, & fous le rapport de l’objet im ité , &
fous celui d e là matière qui lert à cette imitation.
Sous le rapport de l’objet imité, rien, fans dou te,
de plus abfurde que de faire faire à un homme
la fonction impoffible d’une colonne. Sous le rapport
de la matière , rien n’eft moins déraisonnable
& rien n’eft plus poffible que de faire jouer ce
rôle à une ftatue, dont la foliditè eft égale à celle
des colonnes. Lors donc que l’on fait fupporter
par des figures les entablemens & d’autres parties
de l’architeélure, il faut entendre que ces figures
ne font pas là l’expreffion vivante & animée,
mais bien le fimulacre matériel & immobile, de
l’objet repréfenté. Cette diftin&ion d’être , 6c d’ une
double exiftence dans la fculpture , peut paroîrre
fubtile & fophiftique. Cependant ce n’eft pas le
feul cas où l’on puiffe < 6c où l’on doive l’appliquer
à l’architeéhire. Nous avons vu au mot Ba s -
relief , ( voye{ Ba s -relief) dans quel fens les
figures de ces fortes de tableaux doivent fe con-
fidérer comme fufceptibles d’illufion. Il eft une
multitude d’occafions où l’architeéiure rejette entièrement
le genre de preftige que chaque art
peut exercer feul dans fes rapports intellectuels
avec la nature & le fpeftateur.
Rien ne peut empêcher l’architefte de confidé-
rer les ftatues dans les figures caryatides , fous leur
rapport matériel & inanftné, de prendre enfin pour
foutien de chofés pèfantes & folides, comme des
architraves de pie rre, des ftatues également de
pierre. C ’eft alors une efpèce de contre - illu-
fion , fi l ’on peut s’exprimer ain fi, qu’ il faut que
le fpe&ateur fe faffe. I l faut que détruifant, tout
le foin que l’on prend ordinairement de fe cacher
la . matière qui ne trahit que trop le men-
fonge de l’a r t , on s’arrête à i’ impreffion première
des fens.
C e t effort ne fera pas difficile , fi le ftatuaire,
d’accord a vec l’architeéle, ne veut pas donner à
fes figures trop de mouvement, d’a&ion & de
vie. Certes perfonne , en v o y an t des caryatides
égyptiennes , n’ imagineroit que la nature & là
vraifemblance puiffent fe trouver offenfées dans
ces fupports allégoriques. C ’eft que la privation
prèfque entière d’a&ion & de v i e , qui eft le caractère
particulier des ftatues de l’Egypte ^ ^e
produit prefque point de contradiction entre l’idée
de fupport 6c celle de figure ; c’eft que , dans
ces fimulacres humains , la matière femble prédominer
fur l’art , & envelopper de toute l’apparence
de la force & de la foliditè le mouvement
, l’illufion & l’imitation de la nature ; c eft
que les ftatues de l’E g yp te ne font réellement que
des ftatues, & bien mieux encore ce que les
Romains exprimoient par le mot Jïgnum, dont
nous n’avons pas l ’équivalent dans notre langue.
Les Grecs rendoient par un feul mot ( m m ) t
l’idée de colonne & celie de ftatnc. Ces deux idées »
comme l’on fa it , fu r en t , dans les premiers fiè-
clés , encore plus fynonymes que cette expreffion
commune ne peut Je donner à entendre. Des
colonnes furent long-temps & en beaucoup d’endroits
, le figue repréfentatif de la divinité : ces
colonnes devinrent les premières ébauches de la
fculpture. D o it - on à une autre efpèce d’échange
l’ idée des ftamesrcolonnes ? C ’eft ce qu’cn n’o fe -
roit avancer. Mais qu’indépendamment de ces
çonfidérations problématiques, l’art & le goût
aient cherché à donner aux ftatues fupportantes
un apparence de folid itè, de roideur 6c d’ inaction
compatible avec .leur em p lo i, c’eft ce dont
il n’eft pas poffible de douter.
N e doutons donc pas maintenant que l’emploi
des caryatides ne puiffe être admiffible dans l’ar-
chiteCture la plus régulière & la mieux raifonnée.
C e que. la raifon y exige le p lus, c’eft la foli-
dité ; or , elle le rencontre bien réellement
dans la matière que l’art emploie à ces repréfen-
tations. Quant à l’apparence de la foliditè , fans
laquelle cette qualité n’en feroit pas une, 'elle s’y
rencontrera, fi l’on y obferve les règles de goût
6c de convenance qu’on a vu f o lio t é e s p a rla
nature même de ce genre, &. d ’autres que l’on
détaillera plus bas.
En admettant, dans l’architeCture , les caryatides
comme remplacement de colonnes , on nç prétend
pa s, au re f te , leur donner une fanCtion telle
que cette invention puiffe acquérir le crédit qu’e lle
ne mérite pas. T o u t en juftifiant leur em p lo i, je
n’ ai prétendu que détruire des objections hàfar-
d é e s , & q u i, attaquant indiftinCtement les bons
comme les mauvais ouvrages de ce g en re , pour-
rôient priver l’architeCture d’uné richeffe 6c d’une
reffource qu’on regretteroit quelquefois de n e
plus y trouver.
A u refte, l’objeCtion qu’ une délicateffe mal entendue
, ou une févéritè trop conféquente, pour-;
roit encore répéter contre ce genre en général ;
aura bien toute fa force contre les productions modernes
qui fans doute ont provoqué cette cenfurew;
Toutes ces figures accablées & courbées fous le s
maffes qui les écrafent ; tous ces porte-faix, dont
les attitudes laborieufes font paffer dans l ’ame du
fpe&ateür l ’idée douloureufe. d’une oppreffion barbare
; tous ces força ts, fymboles d e fc lav ag e , fon t
bien faits pour révolter le goût comme ils bleffent
la raifon. Plus le ftatuaire y développera le favoie
de l’anatomie, plus il y exprimera avec force la:
contra&ion des mufcles ; plus enfin il mettra de
v é r ité dans l’a&ion & le mouvement , plus il en-
' courra le blâme en queftion. Inutilement in v o -
queroit-il à fon fecours l’argument dont je viens
de faire ufage. L ’ illufion dont il a cherché à embellir
fon o u v rag e> exclut toute efpèce de diftinc-
tion. Il y a trop de v ie dans fes figures, pour
que le fpeftateur puiffe confentir à ne voir que