
148 A S I
fameux , dont la plupart -paroiffent avoir été l’objet
du culte -religieux 5 qu’ils, aillent rechercher dans ces
antres myftérieux , les principes de la philofophie &
les premiers jdogm-es de la religiori. Nous , c’eft la
trace & l’origine de l’art que nous y découvrons j
& nous n’y recherchons que les caufes phyfiques 8c
morales qui durent influer fur l’architecture. (Voyez*
Souterrains. )
Les plus anciens fouterrains de l’Afie , nous offrent
déjà l’empreinte de ce goût pour le merveilleux 8c
la profuflon d’ornemens qui çaraCtérife les arts de
ce pays. Il n’eft peut-être point de contrée du monde où
tous les arts foient entreux dans un rapport plus
confiant , & où l’analogie de l’un à un autre foit
moins équivoque. Privés que nous fomm.es' en grande
partie , par l’éloignement des tems 8c des lieux , de
la connoiflance exaCte des monumens, les indudions
que nous pouvons tirer des autres arts ne peuvent que
nous être fort utiles pour l’examen du génie Afiatique
dans l’architedure î Chaque peuple, comme ,l’on fait,
imprime à tous les arts Ion efprit, fes moeurs & fon
caradère. Cette théorie , qui fouvent n’eft que fyfre-
macique dans les applications qu’on tâche d’en faire
aux peuples modernes, nefauroit être démentie chez
lés peuples de l’Afie. On y voit, de tems immémorial
fes nations fédentaires , fixées 8c attachées en quelque
forte par leur foleil -, fur le fol heureux qu’elles
habitent. Jamais elles ne connurent cette ambition
inquiète qui dénature les peuples, 8c les confond
les uns dans les autres , multiplie les befoins par le
luxe, tranfporte dans un pays les moeurs & les goûts
d’un autre, 8c finit par ôter à chacun fon caradère
propre, & celui qu’il devoit imprimer à fes ouvrages.
Les peuples de l’A-fie font demeurés conftamment
attachés à leurs ufages , ' toujours invariables dans
leurs gouvernemens , leurs moeurs 8c leurs religions.
Les ouvrages des Indiens modernes , dit M. Paw ,
mis à coté des anciens monumens dont l’authenticité
n eft point ‘fufpede , prouvent que chez eux les
arts font reftés de tems immémorial.au même point.
S’ils n’ont point fait de progrès , il n’ont point non
plus dégénéré : ce que quelques auteurs attribuent à
la divifion de ce peuple en caftes ou tribus, dont
quelques-unes ne font compofées que d’ouvriers qui
né' peuvent paffer dans la- claffe des bramines, ni
entrer dans aucune autre.
Il paroît néanmoins que de toutes les caufes qui
tendent au développement des arts dans ce pays, celle
du climat a eu le plus de force, & a toujours été
la ; dominante fous les différens gouvernemens qui y
ont exifté. Car on remarquoit dans les villes libres
de l’Afiemineure, le même génie qui paroît univerfel
dans cette portion de la terre ; & nous voyons que
Quintilien en recherchoit la caufe dans l ’organifa-
tion des hommes : Dicentium & audientium Natwa.
■ Ce génie Afiatique a toujours été fi diftînCt du
génie des autres peuples , que jamais il, n’a pu Ce
confondre avec aucun autre : il Ce reproduit de la
même façon dans tous les arts. Il y a infiniment plus
d’analogie , dit encore M. Paw, qu’on ne l’a jamais
À S I
cru , entre la manière dont lès Orientaux peignent,
8c la manière dont il parlent.
Dès qu’il y eut des peintres dans les villes Grecques
de l’Europe , 8c dans les villes Grecques de
l’A f ie , on remarqua une fi grande différence entre
leurs ouvrages , que cela fit divifer la peinture eu
deux genres , l’H diadique 8ç l’Afiatique.
L a même chofe arriva , fuivant Quintilien , pour
l’éloquence qu’on diftinguoit en A nique 8c A fiat i-
qUe’L
e tour de génie particulier aux peuples de l’Orient
fe manifefte dans toutes leurs productions : leurs
expreffions font toutes figurées , toutes aufli ardentes
que le climat qu’ils habitent. Leurs penfées s’ élèvent
fouvent au-delà des limites du poffible. T o u t contribue
dans les pays chauds à priver l’homme de cette
tempérance de jugement qui mefure l’imitation au
modèle. L ’impatience de l’imagination qui s*y crée
des modèles fans nombre , ôte à l’efprit la modération
néceffaire pour en copier un feul.
Deux caufes -qui paroiffent d’abord en contradiction
, & qui cependant s'unifient très-naturellement ,
favoir l’extrême exaltation des efprits vitaux , & l’amour
du repos, contribuent adonner aux hommes de
ce pays cette tournure de génie dont tous leurs arts
portent l’empreinte.
On a cru que le peu d’ufage du fommeil étoit une
des principales caufes de cette effervefcence d’imagination.
D u moins eft—il certain, que dans les climats
ardents , les hommes dorment moins que dans les
pays tempérés, moins encore que dans les régions
glacées, où le fang concentré vers l’eftomac , procure
un fommeil très-long. Plufieurs philofophes ont cru
appercevoir , dans cette privation.de fommeil chez
les Afîatiques , la râifon de cette èxaltation des
efprits vitaux pouffée au plus haut période. Delà
l’enthoufiafme & les extâfes de leurs poëtes j delà
ce langage hyperbolique, ces expreffions gigantef-
ques , ces comparaifons qui nous paroiffent outrées,
& qui ne font pour eux qu’au niveau de la Nature,
Delà ces images pompeufes , ces affemblages
bizarres- d’idées les plus incohérentes , ces mon-
ftres , ces chimères de toute efpèce qui font devenues
les allégories de leur culte , qui renaifl'ent
toujours fous le cifeau des fculpteuts & fous le pinceau
des peintres , & partent de la même fource que
les métaphores & les figurés exagérées des poëtes.
L a partie imaginative eft chez eux la prédominante,
& prefque la feule des facultés morales qui agiffent
dan? les ouvrages de l’art. On diroit que l’efprit de
ce peuple eft dans un état de rêve perpétuel ; & que
femblable à un malade travaillé par des fonges de
toute efpèce , dans lefquels il Ce complait, il le laine
bercer mollement dans un demi fommeil qui l’empêche
de diftinguer nettement les objets , 8c de s en
rendre un compte exact.
Delà réfulte également cet efprit de parefTe , cet
amour du repos qui fait la jouiifance .des climats
A S I
ardents. Cette heureufe inertie qui eft lin plaifir pour
le corps , y devient un befoin pour l’efprit, lequel ,
lié efîentiellement aux fens , fuit de même toiite
efpèce de fatigue & de contrainte.
L ’homme éprouve dans cette habitude de vivre un
plaifir que la réflexion détruiroit bientôt. Affujetti
dans ces pays à moins de befoins, il n’a point appris
de la Nature ces triftes calculs qui fondent les plai-
firs incertains du lendemain fur les privations du
jour. L’inquiétude de l’avenir, en écartant les idées
flatteufes qui charment fon âme, ne vient pas courber
impérieufement fon corps fous le joug de la prévoyance
; & la dure expérience, dont les leçons font
la loi des autres hommes , n’eflàya jamais de l’in-
ftruire. De cette efpèce d’infouciance , naît en Afie
cet abandon de l’ame à tout ce qui la flatte, &
l’impoffibilité de réprimer les licences 8c les excès de
la penfée. De toutes les fatigues, la plus grande ,
peut-être, eft celle de foumettre à l’examen de la
raifon. les productions de l’imagination. Quel travail
pour l’efprit que de comparer , de choifir , de porter
dans fes ouvrages la règle du jugement & de la
critique ? Ij eft bien plus doux de fuivre la pente de
l’habitude : quand on veut s’écarter de la Nature ,
il ny a qu’a s’abandonner. Mais reporter fans ceffe
l’oeil fur fon modèle , lutter contre le penchant invincible
qui entraîné aux écarts, être en garde contre
la Nature elle-même & fes féducliqns , fe défier
perpétuellement & du modèle & de fon imitation ,
affujettir l’efprit à fe replier ainfi fur lui-même, c’eft
ce qui1 n’a jamais pu être feulement foupçonné des
peuples de T Afie -, qui cefferoi'ent d’avoir des poëtes,
avant d’avoir un poëme régulier.
Quel doit avoir été dans ces pays le fort de l’architecture
, cet art le plus fubordonné de tous à la
vraifemblance , aux calculs du raifonnement , cet
art qui demande plus que tous les autres un jugement
fa-in , une, imagination fobre , & qui exclut
impérieufement tout ce que la raifon & la néceffité
ne fauroient juftifier ? Fruit du hazard & des premières
combinaifons fortuites que le befoin fuggéra,
fournis a la fuperftition dans les édifices façrés, aux
caprices de l’imagination dans les bâtimens civils,
il eft refté le jouet de la fantaiiïe ,- & l’efclave de la
■ routine.
L architecture , dit M. Sonnerat, n’eft afiujettie
chez les Indiens à aucune règle. Dans les grandes
tours placées aii-deflus des portes de leurs temples ,
qui font les feuls monumens capables de donner
une idée de leurs talents en ce genre , on voit ,.esj aSes quelquefois très-bas , quelquefois rrès-
e eves. Les colonnes nombreufes qui décorent l’intérieur
des pagodes , n’ont point de proportions fixes,
•es unes fonCtrès-groffes par le bas , & fe terminent
comme un cqne , en diminuant infenfiblement j d’au-
Ie^haut^ *°rC m*nces Par ^as » & très-greffes par
Nous ne voulons d’autre preuve de la bizarrerie
6 ces Peuples , 8c du génie fantaftique & puéril
À S I 14 9
qui préfide chez eux à ParchiteCture, que les chaînes
mobiles de la pagode, de' Chalembrom , un des
plus anciens monumens de l’Afie. Elles font découpées
dans le même bloc ,que chacun des pilaftres
auxquelles elles tiennent par leur premier chainon j
& elles ont 1 7 pieds de long. ( Voye1 les F ig. 2.4g
& 149.) C e travail, qui fuppofe une patience'extrême»
eft d’autam plus fingulier , qu’il n’a jamais été d’aucune
utilité. Aucune nation , foit antique , foit
moderne , dit le C . de Caylus , ne nous en préfente
l’exemple. ^ Cependant il étoit fi fort du goût de ceux
qui ont bâti Chalembrom , que cet ouvrage, qui
fait préfumer tant d’adreffe, de patience & d’in-
duftrie , eft répété jufqu’à quatre fois.
Jamais 1 ' arçhitefture Afiatique n’a connu l’union &
1 accord de la folidité réelle avec, la folidité apparente,
Tous fes édinces n’offrent que des découpures
de membres & de parties indépendantes du tout ,
des port-a-faux de tout genre , de s. faillies menaçantes,
des corps détachés , q u i , bien que folides
en e f fe t , femblent toujours faire craindre une chûte
prochaine. C e goût futile & vicieux, diftingue Yarchi-
teéïure Afiatique de l’Egyptienne. En E g yp te , l’apparence
de l’indeftruCtibilité femble avoir"été le premier
principe & la bafe de l'architeCture. On voit que
tout y fut facrifié à la folidité ; & que la décoration
même craignit d’en diminuer & d’en altérer
jufqu’à l’effet pour les yeux. En Afie , les détails
dévorent l’enfemble j les ornemens dérruifent les
formes. Il fembie que l’acceffoire y foit devenu le
principal, & que la conftruCtion même ait été fub-
ordonnée au génie de la décoration. En Egypte , la
décoration eft uneefclave foumife &,timide qui n’ofe
rièn par elle-même. En Afie , on diroit que la licence
> l’imagination ait produit dans l'architeCture, ce
que 1 anarchie produit dans les gouvernemens , un
défordre & une confufîon , dont l’effet eft de donner
l’autorité à ceux qui devroient obéir. En Eoypte ,
le defpotifme de la raifon femble avoir trop ^affervi
la décoration, 8c avoir ôté à l'architeCture , par
trop de rigueur, l ’effor d ’une liberté bien entendue.
C eft a la Grèce qu il etoit réfervé d’éviter ces deux
excès , & . d’établir par les loix les plus faoes & les
plus modérées, un heureux équilibre entre la licence
8c la fervitude.
L ’architecture , comme tous les autres arts , ne
connut en Afie d’autres loix que celle de la routine.
Dans les pays ou l’ambition des fouverains protéo-e
le plus les arts , on fait que leur protection ne s’étend
qu’à les alimenter dans de grands atteliers. L à , fôu-
doyés & réduits à la condition des arts méchaniques,
.leurs procédés conftans Ce perpétuent de génération
en génération, fans s’altérer, fans fe perfectionner.
Dès lo r s , l ’architedure liée aux arts d’im itation donc
elle emprunte les principes & les règles de goût
n’a pu qu’y dégénérer en méthode & en pratiqup de
pur métier. D ’ailleurs, quel fruit auroit-elle pu tirer
de ces arts imitatifs qui 11 ont point d’imitation réelle
de la Nature ? L ’ufage d’habiller les divinités , & de