
être contefté par quelques fopliiftes, parviendroit-on à
établir que ce n’eft qu’une donnée fictive, un ligne de
convention & de ralliement pour s’entendre, réulfiroit-on
a démontrer que la cabane en queftion n’eft à Yarchi-
ie&ure que ce que font les figures aux mathématiques,
peu nous importe: nous irions jufqu’ à accorder que
ce n’eft qu’une fable, une allégorie inventée pour renfermer
un fens & une doctrine quelconque. Qu ’on
abandonne, fi l’on v e u t , l’écorce : les principes qu’elle
renferme n’en relieront pas moins inattaquables : on
n’aura pourfuivi qu'une ombre, combattu qu’une chimère
, & l ’on aura rien gagné.
O u i, fans dou te, ce font les principes contenus dans
la cabane ruftique q u i, indépendamment de toutes
les preuves de fonexiftence, la rendenrinébranlable,
& la font triompher de toutes les attaques. Ceux
qui en ont voulu profcrire l’imitation, ne fe font pas
apperçus qu’il n’étoitplus polfible d’y renoncer. Tous
ces novateurs n’ont pas vu qu’ ils ne failoient autre chofe
que corrompre cette imitation fans la bannir, & qu’ils
adoptoient malgré eux ce qu’ils croyoient rejetter: rebutés
de la rigueur de ces loix qui, en captivant le génie,
en font cependant la fauve-garde la plus -heureufe ,
ls n’ont voulu les changer que pour s’y fouftraire.
Encore dans leurs vaines innovations n’ont-ils rien
changé, puifqu’ils ont toujours conlervé toutes les
parties conftitutives de l ’enfemble qu’ils réprouvoient.
Q u ’ont-ils imaginé , produit, recréé } Ils n’ont fait
que tranfpofer des parties , ou pour mieux dire le s .
«décompofer 5 ils n’ont fait que changer des combinai-
fons fîmples en combinaifons compliquées , l’ordre
naturel en un défordre bizarre, les formes fymétriques
en formes irrégulières , les rapports faciles à faifir en
rapports compofés : & jamais pourtant ils n’ont pu
iubftituer d’autres membres à ceux de la cabane.
Dans ces aflemblages défordonnés & monftrucux, ils
ont cru que confondre c’ étoit changer, que déplacer
c ’étoit inventer , que dénaturer c’ étoit créer, qu’innover
étoit perfectionner 5 & ils ont prouvé que l’inftinét
groflîer l ’emportoit toujours fur le fentiment ufé.
Ils nous ont fait voir qu’oti ne pouvoit plus abandonner
l’imiration réelle ou fictive de la cabane,
fans abandonner en même tenrs les principes dont elle
eft la démonftration ; & qu’on, ne pouvoit renier ces
principes, fans abjurer eii même tems la Nature qui
les dicta & les y imprima de fa main.
Q u ’on récufe , f î l’ô i ï 'v e u t l a cabane, qu’on en
rejette 1 imitation 5mais qu’on dénie auffi ces maximes :
Que le fort doit porter le foible_
Q u e la folidké doit être réelle & apparente.
Qu e l’emploi de toutes les parties doit être juftîfîé
par le befoin.
Qu e l ’unité & la variété conftituent la beauté.
,Qu e rien n’eft beau que ce qui eft bon & utile.
Que les parties doivent être fubordonnées à l ’en-
Que la fymétrie & la régularité font liées à l’ordri
& à la fohdité.
Que les rapports fimpleS font les plus b e a u x , &c.
E t beaucoup d’autres règles qui ne furent que le
développement des premiers éflais du befoin , & le
réfultat fucceflif des opérations de l’ art. Si ces maximes
font inconteftables , qu’importe l’exiftence réelle ou
imaginaire de la cabane vraie ou faufle ? Elle n’en
eft pas moins l’axiome, le théorème de toutes ces vérités
: & qui oferoit en profcrire l’imitation, fi elle eft
devenue une règle vifible, & un exemple matériel &
fenfible des principes qui conftituent l’archite fiurel
Cette imitation bien prouvée par la réalité du modèle
, par la néceffité de la copie , par l’utilité des
principes, par l’intérêt même du plaifîr que l’homme
y trouve, il en réfulte que l’a r t , à moins qu’il ne
change entièrement de modèle, doit y fuivre rigou-
reufement les règles & les loix que lui. prefcrit celui
qu’il a adopté 5 il en réfulte qu’afiervi, fbit de g ré ,
loit de forc e , fbit par hazard, à un type quelconque,
il ne peut plus le fuivre en certaines parties & l’abandonner
en d’autres ; qu’obligé d’être conféquent dans
fon imitation, il doit fe conformer en tout-à ce qu’elle
exige, ou y renoncer entièrement. C e n’ eft donc qu’en
fè remettant fans ceffe devant fon modèle , qu’en fe
calquant, fi l’on peut d ire , fur l’objet de fon imitation
, qu’il peut efpérer de plaire. S’ il'vient à perdre
de vue cette règle de conduite , s’ il s’écarte un moment
des bornes d’une imitation e x a& e , on le voit
tomber -peu à peu dans un défordre d’idées , dans une
confufîon qui le rendent le jouet fantaftique de toutes
les combinaifons les plus faufles & les plus extravagantes.
Plus d’idée claire & précifè.: tout fe dénature :
les formes Changent : les figtïes feuls demeurent : & il
nerefteplus perfonnepour les comprendre.Les colonnes
ne font plus des fiipports naturels dont le rapport doit
fe faire fentir entr’feiix & ce qu’ils ont à foutenir :
elles deviennent des objets difpendieux, des accefïoi-
res futiles d’une décoration inutilement faftueufe,
dont la difpofition femble ne plus appartenir à l’ar-
chi te fiure. Les entablemens , n’étant plus là repréfen-
tatibn des parties du comble,. fè brifènt & fe contournent
en mille fa ço n s ; les membres qui le compofent
fe dénaturent au gré de la fantaifie ; les frontons ne
font plus des toits : des enroulemens de tout genre
fuccèdent aux lignes droites ; les plans des édifices fe
pervertiffent ; plus d’unité, de régularité , de proportion.
T o u t ce que le crayon peut, produire de formes
introuvées, fe réalîfe en matières durables qu’on force
de fe prêter aux tours de forcé d’une imagination en
délire. Les ornemens abforbent les membres ; l’accef-
foire dévore le principal : plus de loi entre les parties
: plus de correfpondance d’elles au tout : la con-
ftru&ion elle-même difparoî-e fous cette profufion de
décoration licencieufe. Dans ce renverfement de tous
les principes, dans cette anarchie & cette confufîon
honteufeque devient Xa.rchitefi.ute ? Un jeu puéril pour
les artiftes, & une enigme pour le commua des. hommes.
T e l eft pourtant le tableau de ce que nous avons
vu arriver dans l’architefiltre moderne.
Les édifices au contraire tant anciens que modernes,
quijouiflent de la réputation de beauté la plus générale
& la moins conteftée, font ceux ou cette imitation
fcrupuleufe des types primitifs de la cabane eft le
plus foigneufement obfervée. L ’eftime qu’on en fait
a pour mefure le degré d’application qu’on y trouve
des principes de la charpente, ce II nous refte en France,
•» dit un Ecrivain connu ( Laugier fur l’archite fiure, )
b> un très-beau monument des anciens ; c’eft ce qu’on
s) appelle àNifmes lamaifon quartée. ConnoifTeurs ou
•> connoiffeurs', tout le monde admire la beauté dè
m cet édifice. Pourquoi? parce que tout y eft félon
m les principes de la cabanne ruftique. Un quarré long
»» où trente colonnes fupportent un entablement, &
»» un toît terminé aux deux extrémités par un fronton;
»» voila tout ce dontil s’agit: cet aflemblage a unefim-
» plicité & une nobleffe qui frappent tous les yeux.»
C ’eft fur-tout pour fe préferver des écarts dont
nous avons parlé, que Y archite fiure antique doit être
étudiée. Plus près de fa fource, elle n’avoit pas encore
eu le tems de fe corrompre. C ’eft là qu’on lira ces
développemens fi fages & -fi vrais d’une imitation
bien entendue. C ’eft par cette traduftion fidelle qu’on
arrivera à l ’intelligence de l’original qu’on fe propofe
de copier. Mais c’eft toujours' fur ce dernier qü’on
doit reporter les y e u x , pour apprendre à rendre raifon
de tout ce qu’on f a i t , à connoître l’emploi, la defti-
nation, la vraifemblance, ' la convenance , l’utilité de
chaque chofe. C e type qu’on ne doit jamais perdre de
vu e , fera la règle inflexible qui redreflèra tous les
ufages tous les écarts vicieux , qu’une imitation
fucceflîve des ouvrages de l’art ne manque jamais
d ’introduire. Entre les mains de l ’artifte il aurà la
vertu toujours puiflante de régénérer l’architeâure ,
& d’y opérer ces changemens fu b its , ces révolutions
de goût dont cet art eft toujours fufceptible :
ee type précieux eft en quelque forte un miroir
enchanté dont l’art perverti & corrompu ne fauroit
foutenir l’afpeét, & qui en lui rappellant fon origine,
le ramène à fa première vertu,
L ’architeéïe qui en fera la règle de fes études Ny
Verra donc que, dans V archite fiure, la beauté ne fauroit
exifter fans l’utilité 5 qu’on doit retrancher comme
fuperflu, tout ce qu’on ne peut pas juftifier au tribunal
de la néçeflité 5 que l’es colonnes ne doivent jamais
etre employées en repréfèntation ; que toute décoration
inutile eft vicieufe ; que l’accouplement des
colonnes eft mal exeufë par le befoin de procurer de
grandes^ouvertures , ou, de ménager des contreforts à
un periftyle j que par-tout od la colonne ne peut pas
remplir la fon dion qu’elle remplifloit dans la cabane
, k ° is > on doit la- profcrire. Ces. autres maximes
3 y trouveront gravées r
. . . 1 * colonne doit être exactement perpendiculaire,,
parce, qu’étant deftinée à fupporter tout le fardeau,
c’eft fon parfait à plomb qui fart fa plus grande
force.
z ° . La colonne doit être ifolée , pour exprimer
plus naturellement fon origine & fa deftination.
3 °. L a colonne doit être ronde , parce que la Nature
ne fait rien de quarré.
4 0. L a colonne doit avoir fa diminution de haut
en b a s , pour imiter la Nature qui donne cette diminution
à toutes les tiges des plantes.
$ °. L a colonne doit porter immédiatement fur le
pavé , comme les piliers de la cabane ruftique portent
immédiatement fur le terrain.
Bien convaincu de l’origine, de l’emploi , -de la
deftination d’un fronton , l’architecte ^faura, que
repréfentant le pignon du to ît, il «ne peut jamais être
que fur la largeur d’un bâtiment ; que la forme en eft
efTentiellement triangulaire ; qu’il doit toujours être
placé au-deflus de l’entablement. Il rejettera à jamais
l’autorité fameufe de ceux qui ont inferit deux frontons
l ’un dans l’autre, ou de ceux q u i, confervanr lès
parties 'rampantes du triangle, en fuppriment l’entablement
horizontal qui en fait la bafe. Il évitera, ainfi
que le défend Serlio , de mettre dans un même entablement
des denticules & des m odillons, comme étant
un pléonafme ridicule.
Il eft évident que Y archite fiure ramenée toujours à
fon origine , contrafteroit plus de fimplicité , & par-
viendroit à cette grandiofité qui fe trouve chez les anciens
od l’art n’avoit pu perdre encore la tradition de
fes vrais principes. Alors on fentiroit qu’il eft a b fur de
de faire plier aux caprices d ’un plan irrégulier les
formes inflexibles d’un architrave ; qu’un palais à plu-
fieurs étages , ne doit avoir qu’un entablement; &
que , lorfqu’on y fait des divifions, la feule chofe
qu’on puifle fe permettre, eft d’y introduire des architraves
qui indiquent un plancher , & non des corniches
qui repréfenitent les parties du comble. On apper-
cevroit qu’il eft ridicule d’annoncer par trois ordres de
colonnes un bâtiment, dont Telîénce eft de' ne point
comporter d’étages > qu’un temple ne doit avoir qu’uo
feul & même ordre , intérieur & extérieur ; qu’il faut
que les entre-colonnemens foient toujours égaux 5:
que plus ils font ferrés , plus ils produifènt d ’e ffe r ;
que les colonnes engagées _& les pilaftres font une
tolérance de Y archite fiure dont on ne doit point ab-
u fer, comme ne tenant point au fyftême primitif de
la cabane. C ’eft enfuite au goût éclairé , & a u r
exemples des anciens qu’il faut s’en rapporter pour
introduire, fîiivant certains c a s , des rempéramens à la:
févérité de ces loix : ainfi l’ufage a autorifé quelques
exceptions qu'il feroit trop dur de- condamner : telles
font les. frontons, ou les entablemens placés dans des;
intérieurs, &c. Mais on fe gardera de faire dégénérer
en règles ces exceptions , & de les ériger en principes
: elles ne fauroient avoir force de loi : ce font
des condefcendances de goût dont on ne doit rieoe
conclure, & dont on ne doit point inférer d’analogies»
pour d’autres objets. C e n’eft pas d’une exception; ^
peut tirer une conféquence,.