
points de vue , de fa nature , de (on hiftoire , & de
l’emploi qu’on doit en faire : ils feront la divifîon
de cet article.
A confîdérer l’arabefque dans fa nature, tel que
les Romains nous l’ont tranfmis , tel enfin qu’il eft
en lui-même 5 c’ eft un genre mixte & compofé ; une
réunion de toute efpèce d'omemens & de décorations,
Un affemblage enfin des goûts de différens fiècles &
de différens pays. On ne peut définir Y arabefque qu’en
l ’appellant 1 abus de l’ornement.
Si cette définition eft jufte , on voit combien doit
s’ éloigner aifément des principes du vrai & de la
nature , un goût dont la bafe ne poferoit que fur
les conventions arbitraires de l’ornement , & dont le
modèle ne (èroit lui-même qu’une efpècq de convention.
Mais on entrevoit aufli comment lorfqu’il Ce
rapproche de fon modèle, la nature lui doit la même
indulgence qu’à celui-ci.
Pour bien apprécier l’effence de Y arabefque , il eft
à propos de difcerner celle de l’ornement & de la décoration..
L ’ornement, tel qu’on l’entend par rapport à la
fculpture , tel qu’il s’applique à l’architecture & aux
édifices , dérive de deux caufes principales : la nature
des chofes , & la fantaifie dés nommes. On
doit rapporter à la première caufe toutes les parties
d embelliffement que la charpente communiqua à
l’architeéture, & celles que les hazards heüreux de
plantes ou d’herbages crues fortuitement autour des
bâtimens, ont donné l ’idée de réalifer par l’imitation.
D e ce genre feront aufii les repréfentations plus naturelles
encore des. feftons,' des offrandes de fruits , des
plantes facrées, des têtes de vi&imes, &c. dont la
fculpture perpétua l’ufage & le fouvenir dans les
copies durables qu’elle (ubftitua à la fragilité de fes
modèles.
Mais on doit mettre au rang des objets fantafti-
«jues , tous ceux que l’ornement emprunta des hiéroglyphes
, & des figures fymboliques, dont le befoin
& , depuis, la fuperftition accréditèrent l’emploi. Ces
premiers lignes des fociétés naiffantes, prennent dans
le génie du peuple qui les invente , les formes plus
ou moins bizarres qu’on y remarque. Ils furent, fans
d ou te , d’une utilité réelle pour les nations qui s’en
fervoknt comme d’infcriptions, & chez lefquelles la
figure parloit plus à l’efprit qu’à Poeil. Peu à peu le
fens & la c le f s’en perdirent. Les peuples poftérieurs
en copièrent les formes 5 mais ils ne virent le plus
fouvent dans cette écriture figurée que les contours
des caractères, & ils en adoptèrent la Angularité fans
en comprendre le mot. Une partie fut conlacrée aux
allégories religieufesy le relie, appliqué à l’architecture,
y devint le jouet du caprice & du goût qui préfide
a l’ornement.
Cependant l’ornement , tel que nous venons de
l’envnager , a reçu de l’ufage une telle autorité 3 il
eft tellement lié a l’architeCture 3 il eft devenu tellement
néceffaire au plaifir des y e u x , qu’on ne fàu-
roit y fubftituer nen de nouveau, & que la raifon
qui peut bien le condamner, ne fauroit le rejetter.
( Voye^ Ornement. )
L a décoration dont le mot eft plus particulièrement"
appliquable à la peinture , embrafle une partie
des objets de l’ornement : f architecture feinte , le
payfage , la figure , & l’imitation générale de la
nam-e. (Voye^ D écoration. )
D ’après ces notions abrégées , fi l’on examine attentivement'
le genre arabefque , ou ce qu’on eft convenu
d’appelîer ainfi , on verra qu’il n’e f t , comme
nous l’avons d i t , que le mélange de l’ornement &
de la décoration , dont il cpnfond , & l’efprit &
les moyens. On verra que , réunifiant dans fes com-
pofitions imaginaires dès goûts oppcfés & des ftyles
difparates, il n’eft pas étonnant qu’on en ait porté
des jugemens f i.diflemblables.
Trois chofes, très-indépendantes l’une de l’autre,
compofent le genre arabïfque , & fe préfentent très-
diftin&ement a l’oeil oblervateur qui fait le dé-
compofer.
i° . Les rêpréfentatioris & compofitions d’architecture
dont les formes irrégulières & bizarres ontr
été le plus fouvent empruntées des édifices & des mo-
numens Orientaux , & dont l’imitation flattoit lé
goût des Romains , comme les décorations .Chi-
noifes, nous plaifent aujourd’hui.
x°. Les figures de tout genre , les animaux faii-
taftiques , les aflemblages de différentes efpèces, dont
les traits furent dans les premiers tems les fîgnes du
langage, ou donc les allégories tenoient aux dogmes
de la mythologie Egyptienne & Orientale.
3 °. Lés rinceaux, feftons , enroulemens , feuillages
& autres objets femblables , imaginés par les
Grecs , & employés par .eux dans leurs édifices , foie
en peinture, foit en fculpture.
Les exemples les plus nombreux des décorations
d’architecture fe voyent aux thermes de Titus , &
dans les chambres de la ville de Pompeii. Prefque
tous les intérieurs font décorés de vues & de per-
fpeCtives d’édifices , dont les compofitions & les
formes fingulières , au lieu de porter à en rechercher
les caufes & l’origine , n’ont excité jufqu’à pré-
fent qü’un mépris, & des jugemens aufli bazardés
qu’injuftes. On lit dans plus d’un voyageur que les
Arabefques font aujf ridicules que les dejfi'ns Chinois-
Faute d’avoir apperçules analogies dont on va parler,
on a fauffement imputé au génie des anciens ce qui-
tient à des caufes étrangères à eux. Si l’on eût examiné
ces peintures avec plus de difeernement, on n’eût rien
trouvé d’étonnant dans ces refiemblances , & ces
conformités de goût. Loin d’y voir un rapport fortuit
de ftyle & de maniéré , on n’y auroit vu qu’un choix
vo lon ta ireun e imitation exaCte des formes d’archi-
teCture Orientale , des édifices Perfes, Egyptiens &
antres. Comme Te goût de l’Orient qui n’a jamais
changé , nous eft aujourd’hui, plus connu par les ouvrages
de la Chine , il ne feroit pas furprenant qu’on
trouva dans les compofitions Arabefques des anciens,
des fimilitudes avec celles de ce vafte pays.
Il eft douteux cependant qu’il ait eu jamais avec
l ’empire Romain un commerce affez direéfc pour lui
avoir communiqué la connoifiance réelle de fon goût
& de fon architecture. Quoiqu’on trouve dans les
peintures Arabefques , les colonnes employées fans
bafe & fans chapiteau comme à la Chine , il eft plus
à croire que ces formes & d’autres refiemblances de
g o û t , communes à tout l’Orient , furent empruntées
He la Perfe ou de l’Inde , avec lefquelles les Romains
eurent des relations bien plus étendues.
On diftingue vifiblement cette forte d’imitation
dans les \<4rabefques d’Herculanum. Que l’on confulte,
les troifiéme & quatrième volumes des peintures gravées
de cette ville : on y verra la plus frappante conformité
avec le ftyle Oriental ou Afiatique , fur-tout
avec les colonnes de Perfepolis , telles que les voyageurs
nous les ont décrites. Les formes de toits recourbés
en manière de pavillons 5 des figures ailées à
la place des chapiteaux 3 des colonnes torfes ou évui-
dées 5 la longueur extrême de leurs proportions 5
les jeux puérils de la décoration 3 tout s’y rapporte
avec ce qu’on fait & ce que l’on conje&ure du
goût Afiatique. ( P^oyc^ A s ia t iq u e ) . Mais le rapport
le plus évident, & la preuve la plus incontefta-
ble de ce qu’on avance i c i , fe trouvent aux trois dernières
planches du quatrième volume du Mufæum
d ’Herculanum. On y voit une décoration d’archi-
tefture Egyptienne dont le goût & les formes ont la
plus grande fimilitude avec les deflins que les voyageurs
nous ont donnés des monumens de ce pays.
O n ne fauroit en niéconnoître le ftyle-, aux détails
des profils, aux formes dés chapiteaux, à la décoration
de la frife chargée d’hiéroglyphes, & à une
portion d’obélifque qulon y remarque. D ’après
cela, n’eft-il pas naturel dé préfipner que toutes les
autres repréfentations d’architecture irrégulièrè &
bizarre dont tous ces tableaux Arabefques fontxem-
plis, ne furent également que des imitations de goûts
étrangers dont nous ne connoiflons plus les modèles?
On le tromperoit étrangement, fi de ces perlpeéti-
ves fantaftiques , & de ces compofitions empruntées,
on ypuloit en inférer que tel étoit le goût dominant
de l’architecture à Rome.
C e qui prouveroit encore que cette architecture
Arabefque ne fut pas le fruit du caprice des décorateurs
^rnais qu’un efprit d’imitation dirigeoit le goût
de ces peintures1, ce font les payfages dont elles
font remplies. Il en eft peu qui n’offrent des vues de
pays éloignés , de fabriques étrangères ; ainfi , dans '
plufîeurs, on reconnoît l’Egypte à des emblèmes in-
contéftables à des pratiques , à des allu fions , &
a des ufages connus de tout le monde. Nul doute
que les Romains, comme tous les peuples ufés par
e luxe , n ayent trouvé du plaifir dans la nouveauté
& dans la variété des goûts divers , dont les arts
cherchèrent à égayer leurs yeux ennuyés. Mais ce
quin eft point v raifemblable, c’eft qu’il ayent jamais
pouffé le caprice, comme l’ont fait quelques peuples
modernes, jufqu’à réalifer d’une manière durable ces
monumens d’architeChire étrangère, dont le coutrafte
eut été trop rebutant dans leur ville. Du moins aucuns
reftes parvenus jufqu’à nous n’autorifenn à le foup-
çonner.
L a fécondé forte d’objets qui entre dans la com-
pofition de Y Arabefque , paroit également empruntée
, - comme on l’a dit [ des allégories Orientales.
C ’eft à cette partie de rornemeht que la raifon
pardonne le moins 5 car de telle manière qu’on
envifage toutes ces formes d’animaux tronqués ,
d’efpèces mélangées, &c. l’oeil ne fauroit y voir que
des monftres. De bon fen«S répugne à ces aggréga-
rions imaginaires d’objets fantaftiques, qui paroifient
être le fruit d’un efprit. en délire , ou des fono-es
d’un malade. C ’eft pour ce genre qu’Horace femblc
avoir fait ces vers ;
Ilutnano capiti ccrvicefn pifior equinam
Jungere f i v elit, & varias inducere plumas \
Undiquè collatis membris, ut turpuer atrum
Definat in pificem mulier formofa fiupernèi '
SpeElatum admiffi rifum teneatis amici.
C e goût pour les êtres chimériques paroît avoir été
de tout tems celui des Orientaux. L a fantaifie rapide,
les fenfations incohérentes de ces peuples, dont i
foleil exalte l’imagination, & qui paroifient fonger
plus qu’ils ne raifonnent ( V o y e z Afiatique ) , les ont
dans tous les tems portés à ces extravagantes eom-
pofîtions. C ’eft d’eux que vinrent les divinités allées
les métamorphofes , les affociations d’animaux. Tou s
ces êtres imaginaires qu’on retrouve encore aujourd’hui
dans l ’A f ie , fe rencontrent aufli chez les Egyptiens
, dont la religion eut avec celle de l’Afie laolus
grande affinité.
Plufîeurs de ces figures auxquelles -notre oeil s’eft
familiarifé , femblent cependant être devenues propres
a Y ornement. Telles font les Sphinx, les Lions
ailées,, les Syrennes , les Griffons, les Hyppoo-riffes
les T r ito n s , les Satyres, les Centaures, &c. On
a cherché vainement dans toutes ces formes capri-
cieufes d’animaux un fens fymbolique qui n’y exiftoit
plus lorfque les Romains les employèrent aux décorations
Arabefques. On ne fauroit même fuppofer
que les Grecs qui les appliquèrent à Y ornement, ayent
eu connoiffance de leur fens myftérieux dans l ’oriaiae.
Malgré l’envie qu’on auroit de retrouver aujourd’hui
dans l’emploi qu’ils en firent, un fens déterminé , &
un rapport d’analogie avec les édifices , on eft forcé
d’avouer que tous ces ornemens n’y figuroient que
pour le plaifir des yeux. A plus forte raifon , doit-
on le croire de ceux que les Romains prodiguoient
aux maifons j & dés décorations Araberques , où
le g o û t , l’art & le caprice faifoient feuls la ’ loi.
Sans doute , fi Y Arabefque n’eut point exagéré
confondu & rendu plus incroyables encore ce ? d u res
de l’imagination, ôn auroit de la peine à coüdam-
K i j