
ment* Àinfl Fa-fcbite&e chargé d’élever lin temple I
à une d iv in ité , ne devoit avoir d’autre fo in ,
d’autre penfée , que de fen tir , d’étudier & de con-
aoitre le caraBère propre de cette divinité, c’eft-
à-dire / le s qualités dont l’imagination s’étoit plu
à compofer ces êtres allégoriques, & d’employer
les moyens de fixe r,, par les formes de l’archi-
tei&ure , ces réfultats fugitifs de la penfée.
C ’éfoit par de femblables effets que l’architec-
îure devenoit réellement rivale de la fculpture
& de la peinture. Je ne faurois dire même fi l ’art
du caraBère dont il s’agit n’auroit pas au moins ,
quant à la d fficulté, une forte de fnpériorité fur
celui qu’emploient le’ peintre 8c le fiatuaire dans
l’expreflion du caraBère de leurs figures. Q u o ique
le fecret qui dérobe la v ie à la nature, femble
au-deffus de ce fentiment mu et, fi l’on peut
d i r e , qui donne de l’éloquence aux rapports in-
telle&üels de l’acchiteâure , l’expérience cependant
prouveroit que ce mérite eft plus rare dans
c e dernier art que dans les autres, & la raifon
s ’accorderoit peut-être aufii à prouver qu’il doit
l ’être. Mqitons un moment aux prifes , ou en concours
, le fculpteur chofi pour produire la ftatue de
Jup ite r , & l’ architeéle chargé de conftruire une
demeure digne du fouverain des dieux , 8c voyons
les moyens 8c les difficultés attachés à Fexprefîion
de ce caraBère- dans chacun dé ces deux arts.
Le fiatuaire, formant le projet de rendre vifiblé
îa divinité fous une forme humaine , conçoit
fans doute dans fon génie l’image de la grandeur
8c de la puiflance ; il fe figure le Dieu tel qu’Ho-
mère l’a dé crit, ou tel que la frayeur le fit voir
aux mortels épouvantés, au milieu de la foudre
& des éclairs. Il fait plus: plein du dieu qui
l ’înfpiré , il va raffembler dans un même être
lesdivers attributs de la divin ité, qui femble s’être
révélée à lui ( Voye^ au mot A r t i s t e ) . La
fiatue fe découvre au fond du temple , 8c Jupiter
lui - même l’approuve. V oilà ; fans doute ,
un des plus grands efforts du génie : il concilie
particuliérement dans la réunion des diffé-
rens curaBères d’où pouvoir réfulter ce caraB'trc
imiverfei qu’il falloît repréfenter. Mais que cet
effort furprenant d’invention ne nous fade pas
trop d’iliufion. L’artifte n’a fait autre chofe qu’un
àffémblage nouveau , in o ù i, fi l’on v e u t, jufqu’a-
jlors, , de différentes- parties de la nature , de dif-
fêrens âges , de différentes natures , pour en
Compofer un tout digne de la grandeur du fujet :
s’ il n’a pas trouvé dans la nature le modèle de
c e tou t, il en a cependant conçu 1-idée d’après
elle ; il n’a fait que rapprocher des qualités épar-
fes : le typ e de chacun de ces caraBères lui a é té
fourni par lès modèles qui lui en ont donné l’idée ;
leur étonnante réunion 8c leur imitation ont été
fon unique ouvrage.
Q u ’on ne .s ’attende pas que l’archite&e puiffe
feire produire à .fon monument tant de fenfations diverfes
& de fi compofées. La grandeur, la ma.
jefté , la puiflance, ou tout autre caraBère uniforme
feront à-peu-près les feuls fufeeptibies
d’ être rendus fenflbles parles formes 8c les moyens
architeftoniques. Mais pour avoir moins d’idées
à exprimer, croit-on qu’il lui faille moins de génie
? Croit on qu’il aura moins de - difficultés}
Q u ’on en juge par la nature du langage^dans lequel
il peut s’expliquer. Ce n’eft point la forme
d’aucun être vivant 8c animé qui va lui fournir
les moyens de cette exprefîîon ; ce ne fera par
aucune des reflburces d’une imitation pofitive 8c
naturelle qu’il fera paifer dans l’ame. du fpefta-
teur l’imagé fenfible des qualités qu’ il doit faire
briller. Les tons de la peinture qu’il emploie,
les moyens 8c les agens qu’ il met en oeuvre,
fonLd’un ordre dé choie bien fupérieur, 8c qui ne
fauroient, 'en quelque forte , être tributaires des
fens 8c des facultés ordinaires du jugement. G’eft
par le choix des véritables proportions ; c ’eft par le
jufte difeernement du mode convenable, qu’il
pourra peindre les nuances caraéiérifliques des
qualités , qui font le type idéal de fon imitation.
Où donc, Farchite$e trouvera; t i l cette me fur e ?
D e quel ordre de chofes empruntera-t-il ; dans
quel modèle puifera-t-il les élémens de cés com-
binaifons , de-ces rapports intelleéiuds qui vont
frapper l’ame du fp e â a teu r , qui parleront à fon ef-
prit 8c lui apprendont à qui ce temple eft particuliérement
confàcré ? C ’eft uniquement à fon génie
qu’il devra ces fubiimes infpirations. Mais les proportions,
dit-on, le conduiront à Fexprefîion de
fon caraBère. J’en conviens : cependant, comme
c’efi au caraBère lui-mêmé à déterminer les proportions
, aucune autre règle que fon génie ne
(aura lui en .donner le terme fixe. -Mais les
modes déjà trouvés de l’architeélure, ne font-ils
pas la bafe certaine des caraBères que Farch'itefture
peut peindre aux y eu x ? O n en convient : mais
ces modes élémentaires, ou ce qu’on appelle les
ordres , font en petit nombre ; 8c s’ils étoient
aufli bornés qu’ils le paroiflent, l’architeéture fe
trouveroit réduite à la plus grande pauvreté dans
fon expreflion. C ’efi parce q.ue les modes peuvent
fe modifier d’une manière indéfinie ; c’efi parce
que les proportions fon variables dans leur applica
tion , que l’artifte, habile à s’emparer de ces
refîburces , va , dans l’ordonnance générale de fou
édifice , vous donner l’idée de l’immenfité du
dieu qui l’habite. Par la grandeur, la force &
l ’élévation des proportions, il fera paffet dans
votre ameJe fentiment de tomes les qualités, qui
font les premiers attributs du fouverain de l’univers
; par, l’énergie du mode le plus v i r i l , il vous
fera lire,-jufques dans les moindres détails, les lignes
diftin&ifs de la toute-puifîarree que doit refpircr
fon ouvrage. O r , f i le fenrjment profond de cette
fublime convenance n’exifte gas dans Famé de
l’architeéle, la nature n’offrant au langage de l’art
dont il emploie les reflbrts, que des analogies &
fies mdyens d’une imitatioii métaphyfique & în-
direàe , nul modèle, nulle règle ne fauroit le porter
à ces hautes conceptions. Il faudra que fon
imagination crée tout à la fois 8c le modèle 8c
fon imitation.
Une autre efpèce de difficultés attachées à l ’ex-
preflion de ce caraBère idéal, eft celle qui doit réfulter
du petit nombre de ceux qui font capables
d’entendre c e langage. En vain l’artifte s’efforce-
roitd’en prononcer les ac cen s, s’il n’exifte aucune
corrélation d’intelligence entre lui & le peuple
auquel il parle ; ce langage mourra bientôt par
le défaut d’être entendu. Le peuple G r e c , dont
les fenfations furent fi dé liées, dut la perfection
de tous les arts à la fineffe des ju g e s , autant qu’à
celle des artiftes. Ce tte correfpondance de fenti-
mens entre le peuple 8c les artiftes , eft fans doute
indifpenfable dans tous les genres ; mais l’archi-
teélure, qui manque d’un modèle pofitif autour
duquel puiflent fe rallier & les principes de l’imitation
, & les jugemens du fpeâateur , en a be-
foin plus qu’aucun autre art.
On ne faurôit d ire , en e ffe t, fi c’eft à l ’artifte
à infpirer au peuple ces fenfations délicates , &
par les reflbrts de d’art à élever fon efprit juf-
qu’aux conceptions idéales, ou fi c’eft au peuple
qu’il appartient d’infpirer l ’artifte, & par la difficulté
de fon goût, de rendre aufllceluide Faurre plus
févère. C e qu’il y a de bien fu r , c’eft qu’on
éprouve dans le commerce de la v ie que la fo-
ciété des gens fpirituels produit fur ceux qui les
fréquentent un double effet. L ’un eft d’évertuer
Fefprit par le fentiment même de l ’amour - propre
, qui s’efforce de s’élever au niveau de ce
qui l’entoure ; l’autre, plus fu b t ii, mais plus général
encore, confifte dans une forte d’infpiration
fecrète, qui femble faire germer & épanouir en
nous des idées que Fifolement de Feiprit y au-
roit tenues enveloppées & cachées. Q u i n’a pas
éprouvé cette force de fympathie fur quelque matière
que ce foit ? P a r le z -vou s d’un a r t , d’ une
fcience , d’un objet favori avec des hommes etrangers
au fentiment qui vous domine, il femble
qu’une force invifible en repouffe en vous le développement
; vos expreffions fe glacent, vo s
idées fe décolorent, ce défaut de correfpondance
tue votre penfée. Qu elle différence de peindre fon
amour à l’objet qui nous aime,ou au froiddépofitaire
de nos confidences 1 II règne , entre des hommes
unis par la même fenfibilité, une vertu fympa-
thique, dont les effets peuvent fe fentir, mais font
au-deffus de toute définition. C ’eft cette influence
fecrète qui donne de la vie à tous les arts chez
les peuples doués de cette fineffe d’organifation ,
qui faifit rapidement, qui apprécie avec juftpffe
les nuances délicatesque laplume ne fauroit décrire.
Je crois donc que dans cette aélion toujours
réciproque entre le peuple 8c les artiftes, dans ce
commerce 8c ce rapport d’intimité vfi néceffaire
entre leurs penfèes, le peuple a plus de pouvoir
Architecture. Tome î.
fur les artiftes que ceux-ci n’en exercent .far lui ;
& cela s’eft prouvé plus d’une fois par l'exemple
d’ardftes célèbres, qui ont eu l’occafion de tranf-
porter leurs talens chez des peuples étrangers aux
plaifirs & aux fentimens v ifs des arts. Sans doute
ils it’avoient rien perdu de leur génie ; ( l’âge on
d’autres caufes n’avoient point émoufle cri eux
l ’organe de la fenfibilité, n’avoient rien ôté à leur
fa v o i r , & cependant on reconnoit à une efpèce
de froideur ces productions dêpayfées. C ’efî que
l’artifte n’étoit plus échauffé par ce concours de
fentimens m utuels, n’étoit plus foutenu par cette
co-intelligence entre le peuple & lu i, qui feule
peut enhardir fon expreflion & renforcer fes accens.
Affurément i l eft difficile d ’efpérer qu’un peuple,
que le climat, les moeurs, les occupations détournent
des plaifirs de l’imagination , puiffe 8t doive
attendre de fes artiftes feu ls, d aufli grands effort*
dans l’architeflure que ceux qui réfultent de l ’ex-
preflion du caraBère idéal. Sans cependant donner,
dans c e genre , d’exdufion à perfonne, & fans
vouloir interdire à quelques hommes privilégiés le
droit de prétendre à ces hautes in v en tion s, je
crois devoir -m’interdire, fur un tel o b je t , des
préceptes trop au-deffus de la théorie ordinaire.
S ’il y avoit fur le caraBcre idéal de l’architeéture
des préceptes à recueillir, ce feroit par des exemples
qu’il faudrait les donner, ce feroit peut-être
fur les monumens eux-mêmes, en leur préfence.
Eux feuls pourra ient, par leur puiffante infpira-
t io n , faire paffer dans l’ame de l’artifte ces traits
rapides qui la pén èttent, & qu’un froid papier n»
fauroit communiquer,
Caraiïirc relatif du genre imitatif.
■ Si la première efpèce de caraSire relatif dans l’ara
chiteàure , & qu’on a diftingué par l’acception de
caraBère idéal, dépendant plus particuliérement delà
grande influence des caufes naturelles fur le génie
des peuples, des moeurs propices à fon développement
, & de l’accord réciproque des idées du peuple
a vec celles des artiftes , ne nous a pas paru
fufceptible de préceptes formels J fi le fentiment
de cette fublime coavenance nous a paru au-deffus
de toutes les règ le s , il n’en ferapoint de même du
fécond genre de caraBère relatif qu’on a appelle
caraBère imitatif. , r ■
C e caraBère imitatif a pour objet de faire con-
noîrre, par’ Faccord 8c la convenance de toutes les
parties conftitutives d’un édifice , fa nature , fa
propriété, fes ufages & fa deftination. C e genre
de caraBère , qui fans dou te, quoique inferieur au
premier par la mefure des conceptions q^/i exige ,
ne doit faire qu’un avec lui , a cependant cette
différence, qu’il eft appliquable à tous les édifices
poffibles , qu’il peut plus ou mbins fe rencontrer
dans tous les pays , & qu’ il peut être fournis *
des obfervations uniformes 8c à des réglés cou!-.
tantes, 1
S s s