
prefque dans leur patrie. Mais Raphaël ne Voyoit que
des marbres j il étoic obligé dé fuppofer , de deviner
la peinture des anciens par leurs ftatues. Les thermes
de Tite fe découvrent, brillans encore des peintures
Arabefques , dont le tems 8c l’humidité ont depuis
terni l’éclat. Q u ’on juge de l impreflîon de cette dé-,
couverte , 8c fur l’efprit de Raphaël, & fur le goût
de fon fiècle ? On ne fauroit dire à quel point ces
décorations , .dans lefquelles ce grand homme apper-
çut une ombre, une efquilTe dé la peinture antique,
purent influer fur un génie aufli fu b t il, aufll pénétrant
que lefien. C e n’étoient que des traits vagues 5
mais ils lui fuffifoient pour voir clairement ce que
déjà fans eux il avoir entrevu. Delà naquit l’eûime
qu’il conçut pour ces ouvrages que depuis on a trop
loués ou trop déprifés , mais, qu’on n’a peut-être pg.s :
envifagés fous leur vrai point de vue d’utilité., On
doit , fans doute/regretter que Raphaël n’ait pas pu
être témoin des découvertes d’Herculanum. Q u i fait
ce qu’un oeil tel que lè fi en eût v u , quels fouvenirs
précieux il eut retrouvés , quelles beautés il eut démêlées
dans ces peintures, où la plupart de nos artiftes
modernes n’ont cru voir que des dejjins Chinois ?
Qu o i qu’il eu fqu du parti que Raphaël fçut tirer
de YArabefqiie pour l’art de la peinture , toujours
eft-il vrai qu’il y vit un moyen de reflu.fçiter ou
d’améliorer le goût de décoration tous les détails
de l'ornement condamnés jufqu’alors à l’aride monotonie
, à la fécherefle du gothique. L e fecret des
ftucs fut retrouvé 5 les procédés des anciens reparurent
j 8c Y Arabefque s’employa de nouveau à la décoration
des plus grands palais. Conduit- & dirige par
le goût exquis , délicat 8c fenfible du plus grand
des peintres , exécuté par ces habiles coopérateurs
qui fe vantoient d’être fes éléves , ce genre ne pou-
voit que reprendre un nouvel éclat chez lés peuples
modernes.
Raphaël conçut dans les compositions de fes Ara-
lefques , un plan , y appliqua un fyftême qu’on ne
fauroit foupçonner avoir exifté dans ceux des anciens
5 telle envie q ù çn ait d y chercher un -fens
& une liaifon d’idée dont ils ne paroiffent point fuf-
ceptibles. C ’eft par l’allégorie qu’il trouva l’art de
rendre intéreffant , 8c de faire parler à l’efprit un
genre qui femble n’ètre fait que pour s’adrefler aux
yeux. Rien de plus ingénieux que la manière avec
laquelle il fçut vivifier Les compofitions, par les attributs
des fçiences 8c des arts , & par toutes ces allumons
poétiques , faire de l’Arabe[que, un nouveau lang
u e figuré, dont les hiéroglyphes , connus de tout
|e m onde, donnent encore'au fpeâ:ateur le plaifir de
les avoir devinés. L ’efpece de bizarrerie apparente
de ce g o û t , 8c ce que fon agencement offre d’extraordinaire
, fe trouve ainfi corrigé par le fens moral
qui en fait le fujet & le m o t if L ’efprit y trouve un
plaifir neuf & inattendu , celui de la raifon & de
Fa fagefle fous les traits 8c le mafque de la folie.
Entre ces mains Y A-abefque rèflemble aces figures
grottefques de Silène que faifoienp les anciens, dont
la vue j félon Platon excitoit le rire , mais q u i , par
un contraire fingulier , renfermoient en elles les fimu-
lacres des dieux. C e font tantôt les vertus, tantôt
les faifons, tantôt les âges d e là vie qui viennent
prêter leurs emblèmes ingénieux & fenfible,s aux doétes
fantaifies de fon pinceau. Ici l’on voit les attributs
des fens , les fymboles des élémens fe mêler à fes
aimables rêveries, animer fes conceptions brillantes ,
& répandre fur fes çharinans caprices, un intérêt qui
force l’auftère raifon à fourire un moment.
Mais, il falloit toute l’habileté de Raphaël, toute
fa fcience du deffin pour réuflîr dans ce genre. De
pareilles Arabefques font, pour ainfi dire, des tableaux
d’hiftoire. Nous n’en citerons d’autre exemple que la
belle allégorie des faifons. Dans le fômmet eft repré-
fehfcé le printëms fous l’emblème de deux amans heureux
qui marchent fur des fleurs , & fe tiennent em-
brafles au milieu des branches de myrthe 8c de laurier
qui les environnent. L ’été vient au-deffous ,
figuré par la déefle de la fécondité 5 elle' eft couronnée
d’épis , entourée de fruits 8c accompagnée
d’enfants. Un cep de vignes fert de fupport à cette-
compofition , & en fait le milieu ; il eft chargé, de
raifins : des enfants grimpent autour 3 les uns font
occupés à détacher les grappes, d’autres à les charger
, d’autres à les preffer fous leurs pieds. L a
liqueur de Bacchus coule de toutes parts, & retombe
d’un vafe dans un autre qui eft fupporté par
la conftellation de l’hiver. C ’eft la froide Pleyade
entourée des frimats , 8c des fougueux enfants d’Eole
déchaînés fur la Nature. On l’y voit armée de flocons
de n eige, que de fes deux bras étendus elle
difperfe fur la terre. Le froid ou l’hiver fe reconnoît
à la figure d’un homme enveloppé de fon manteau,
q u i, afïis entre deux arbres dépouillés de leurs feuilles
, termine la compofition &- l’allégorie.
C ’eft dans ces riches inventions que Raphaël a
donné les modèles du véritable fentiment 8c du caractère
propre à l’allégorie. Avec quelle délicateffe
d’idée , il a fçu dans un autre montant d'Arabefques
, repréfenter lès âges de la vie fous la forme des
Parques 1 Quelles nuances ingénieufes varient leurs
attributs 8e leurs phyfîonomies 1 Sous l’emblème d’une
jeune f ille , Clotho femble travailler avec cette indifférence
qui accompagne le printëms de la vie.
Elle f ile , & fe détourne pour regarder l’amour qui
tient fon fufeau. Laehéfîs, fous des traits plus formés
, a l’air plus attentif à fon ouvrage 5 e’eft l’âge
du travail 8c de la trifte prévoyance -3 elle fuit des
yeüx fon fil , 8c le voit tomber dans les cifeaux de
l’avide 8c cruelle Atropos. Celle-ci eft aflife fur une
efpèce de coenotaphe 5 une tête de mort eft fous fes
pieds ; fes traits font d’une femme vieille , mais forte
8c robufte. Cette figure eft la plus belle allégorie que
l’on connoifle de la mort. On doit la propofer comme
un modèle du genre 8c du goût qui conviennent à
ce fujet , 8c comme la meilleure' critique des hideufes
8c rebutantes repréfentations qu’en ont imaginées nos
artiftes modernes.
-C’eft par de tels moyens que Raphaël parvint à
donner à l’Arabefque une nouvelle vie. C ’eft par cette
heureufe fécondité , 8c l’incroyable variété de fes inventions
que les loges ou galeries du Vatican, font
■ devenues l’écolè moderne de l'Arabefque. L a réunion
des ftucs pris , copiés où imités de l’antique , leur
mélange heureux avec la peinture', lés belles parties
de rinceaux , d’ornemens 8c de fleurs , lès détails les
plus précieux en chaque genre', tout concourt à Faire
de cette galerie l’enfemble le plus riche 8c le plus
diverfifîé que l’oeil püiflTe embraffer. L a multitude des
fcènes toutes différentes qui s’y fuccédent fans s’é-
puifer , fait qu’on y éprouve un plaifir toujours nouveau;
8c qu’âprès l ’avoir vu mille fois , ôn croiroit,
par tout ce qu’on y découvre encore’ , la voir pour
îa première fois. Aüffi cette extrême variété eft-elle
le défaut qu’on lui reproche. Il y règne une profu-
fion d’objets perdus par leur petiteffe, 8c par la placé
où ils fe trouvent. Cette furabondance de belles cho-
fes fatigue le fpeélâteur. L ’oeil fe lafle de regarder
ce qu’il défefpère de pouvoir jamais voir eh entier.
T e l eft l’effet qu’on éprouve à la vue de ce prodigieux
ouvrage q u i, fans doute , à moins de fra is,
eût été plus d’accord avec le plaifir des yeux 8c
les principes du goût. Il paroît que Raphaël, rempli
des richefFes de l’antique , céda à l’amour-propre de
la prodigalité , à l’abondance de fon "génie , 8c à la
facilité de fes éléves. On eft obligé d’avouer que
■ les compofitions antiques de ce genre ont plus de
repos, de fagefle , d’intelligence 8c d’économie.
Cependant Raphaël eut dans cette partie beaucoup
de copiftes, 8c pas un imitateur. Les feuls beaux
Arabefques dé l’Italie font de lui ou de fon école.
T e ls font ceux qu’on voit au palais Doria à Gênes,
à la chancellerie de Rome, à la Villa Lanti, à la Villa
Olgiati, 8c dans plufieiirs autres palais décorés de fon
tems, 8c par fes éléves. Jean de Udines fut un de fesplus
célébrés coopéfareurs : il peignent les animaux , les
fruits , les fleurs: C ’ëft lui qui retrouva l’ancienne
manière dé faire les ftucs. Ôn cite encore un certain
Morto , pèihtre dé ce geiiré , né à Feltro , 8c
mort en Efclavonie, éléve du Pinturichio, 8c contemporain
de Raphaël.
Aptes la mort de ce dernier , l’ Arabefque dégénéra
en Italie pour le goût 8c l’exécution : il fe perdit
enfin, o u , pour mieux dire , il changea de formes
8c de proportions. U n nouveau ftyle s’introduifit dans
1 intérieur dés édifices.. On abandonna la minutie des
petits détails 5 aux légèretés, aux badinages grottef-
ques , fuccéda le goût gigantefque de décoration,
dont Michel Ange avoit donné dans fa chapelle Sixtine
les modèles impofans. On ne tarda pas d’en abufer ,
faute de Comprendre que le genre de la décoration
doit dépendre , 8c du caractère du lôcal , 8c de fa
grandeur. On vie alors- lès plafonds fe charger de
figures en relie f, de-ftucs Sc de ftatuès coloflales.
Les vaftes 8c trop réelles perfpeétives d’architecture
temte , vinrent à détruire celle qu’elles dévoient fim-
plèment orner. D icbR A x iO N .) Telle e f f, en
e f fe t , la marche de l’efprit humain, qu’un excès ne
fc corrige que par un autre. •
Enfin, depuis quelque tems, les nouvelles découvertes
d’Herculanum , celles de la Villa Negroni
limitation renaiflante de l’antique , ont ramené de
houveau à Rome 8c dans le refte de l’Ita lie , le
goût de l’Arabefque. Il doit s’y perpétuer, 8c s’y maintenir
par toutes les autorités relpeélées dont fes par-
tifans peuvent l’accréditer. L a facilité des imitations,
la vue des modèles nombreux, la bonne qualité
des enduits 8c des ftucs , la pratique habituelle delà
frefque , le peu de dépenfe qu’entraîne Ce genre
de décoration, tout doit contribuer à l’y rendre
permanent 8c durable.
En France*, les Frimatice , les Roffo 8c autre»
Italiens .appelles par François I , introduifirent, moins
Y Arabefque en lui-même, que la décoration proprement
dite , 8c fur-tout celle dont nous venons de
parler. C e goût d’omemens coloffales régnoit encore
en Italie du tems de Louis X IV 5 il étoit celui des
Carrache, des Cortone, 8cc. Les artiftes François que-
ce monarque envoya s’y former l’en rapportèrent.
C ’eft celui q u ô n voit à' V er failles ^ il fût cominurr
aux le Brun, aux Mignard. Il domine dans tous
les ouvrages du dernier fîècle ."On voit cependant de
véritables Aràbefques peints avec beaucoup de feu
par Audran aux châteaux dè Sceaux , de Mèudôn
de Chantilli 5 mais le goût n’en devint pas généràL
, Faut-il donner ce nom à cette efpèce bâtarde
d’ornèmens que no.tre> fiècîe a vu naître 8c mourir?
Doit-il trouver place parmi les inventions du génie,
ce genre dont tous nos édifiées font irifeétés , auquel
le nom de grottefques feroit trop d’honneur, ce genre
qui de Y Arabefque n’a retenu que les écarts? C o -
pifte burlefque 8c maladroit de fes' 'caprices 8c de
fes jeux , il reffemble à ce lourd . animal ftupide-
ment plaifant, q u i, dans fa ridicule imitation des
gentilleffes d’un, au tre , n’excite que les huées, 8c
rebute par fes groffières lingeries.
On ne fauroit parler avec plus d’éloges des A ra befques
de Berin , de Gillot 8c de Vateau , dont
on s’eft fervi -pour fabriquer aux Gobelins 8c à la
Savonnerie quelques tapifleries des appartemens du
roi , des:portières , des paravents, 8c autres meubles
de cette efpèce auxquels on appliqua ces fortes d’ or-
nemens.
Mais , depuis quelques années , le renouvellement
de Y.Arabefque en Italie en a fait adopter à Paris la
mode plus que le goût. Bien des raifons s’oppofoient
à fon introduélion dans ce pays : 1 a maùvaife nature
des enduits., l’ignorance de la fre fqu e, le prix de
la main-d’oeuvre pou r tous les détails qu’il exige 3
cependant il y. paroifïoit. amené , foit par le goût
de l’imitation, foit par les befoins toujours renaif-
fans, 8c toujours impérieux du luxe 8c de l’incoiiftance
qüien eft la fuite. L ’ufage des.papiers qui s’en font p refque
entièrement approprié l’emp loi, par la facilité
de multiplier ces décorations, yient de réduire m