
Occupé de cet ouvrage , plus d’une fois repris
& abandonné, Michel Ange v it Paul III monter
lur le trône pontifical. C e pape lui marqua le
plus v it empreiTement de l’employer. Notre artifte
se xcu fa fur fes engagemens avec le duc d’Urbin
pour le maulolee de Jules II. Il fut cependant
obligé de céder. L e pape fe rendit un jour chez
lu i , 8c l’affura qu’il feroit confentir le duc d’Urbin
à fe contenter de trois liantes de fa main
& de trois autres faites par d’habiles fculpteurs.
Les agens du duc paflerent en conféquence un
nouveau contrat avec Michel-Ahge. que le duc
confirma , & le maufolèe fut achevé en moins
d un an y tel qu’on le voit à Saint-Pierre-és-üens.
O d y cherche Jules I I , on n’y vo it que Moïfe.
O n compte à Rome les règnes des pontifes,
par les monumens qui les ont illuftrés : celui de
Paul I II lu t fameux par la peinture du Jugement
dernier.
L ’imagination de Michel-Ange enfantoit a la fois
dans les trois arts du defiîn , la flatue de Moïfe ,
le tableau du Jugement dernier, & la bafilique de
Paint Pierre.
Bramante avoit été remplacé, dans la conduite
de ce vafte monument, par San Gallo. Celui-ci
v en o it de mourir. Michel-Ange fut forcé par le
ape d’accepter la place d’architeéle de Saint-
ierre. Il commença par examiner le modèle en
bois qu’avoit laide fon prédécefîeur, le critiqua
a v e c ' beaucoup de ju gement, & démontra qu’il
entraîneroit une dépenfe énorme de temps &
d’argent. En quinze jours il fit un nouveau deffin
qui refferroit les plans déjà donnés, & réduifoit
l’églife à la forme d’une croix grecque. II ajouta j
de la majeftê à 'to u te l ’ordonnance', diminua
le poids -de la coupole , .fans ôter à fon diamètre.
Paul I I I lu i fit expédier en 1546 un
b re f qui l’autorifoit à réformer l’ouvrave de fes
prédéceffeurs , & défendoit, fous des peines très-
g raves , de rien changer-au nouveau plan.. Il lui
affigna en même temps fix cents écus d’appoin-
temens. Michel-Angeles, refit fa , & durant tfix-fept
an s , il travailla fans émolumehs à une.' bafilique
qui a vo it enrichi-les premiers arçhiteâes. Il renforça
, pou r la trojfiëmè fo is , les piliers de la
cou p o le , en couronna les arcs d’un entablement
aufli riche que bien proportionné. Les* branches
méridionales '&,feptentri6nâles de la croifée
furent achevées dans l’èfpace tic trois ans..
L e fén at-lui eonfioit y dans fe même temps, là
conduite du Capitole. O n éle v a fur fes plans iè
grand palais qui feit face- à la montée ; m p is il
n’en acheva qùé lé fôubàffèment & le -grandoéfca-
ffier à deux 'ratiipes-, qui conduit an pjdicf- d’où
l’on entre dans la grande faite. II-y plaça les deux
flatues du N il &- du T yb rë . La ftatue de Jupiter
devoir occuper la niche, du milieu , en place de
Ja petite, figure de Rome en. porphire. qu’on y
vo itau jou fd ’ltut. Michel-Ange n’eut pas d’autre part
à ce palais i ’m a is .ç ç -q u ’o n nomme le palais des
confervateurs, & qui fait une des ailes du capù
t ô le , eft entièrement de fon deiTxn.
Vers le même temps, Jules I I I , fueceffeur
de Paul I I I , lui donna l’entreprife de la ville
ou maifon de campagne. C e pape prenoit plaifir
à s’entretenir avec lui. Un jour qu’il étoit à l'Aequo.
Perg'we, accompagné de douze cardinaux, il lg
fit afleoir à fes côtés.
Michel-A âge a voit commencé la chapelle de
Saint-Laurent à Florence. Le grand duc-, que cet
ouvrageintérefloit v iv em en t , lui envoya Tribolo
pour 1 emmener en cette v ille ; mais il s’excufa
fur fon grand âge. D ’ailleurs Paul I V , qui le preffoit
de finir l’églife de Saint-Pierre, le détermina à
relier à Rome. Buonaroù pouffa fr vivement la
conftru&ion de cette bafilique , afin qu’on ne pût
y rien changer après fa m o r t , qu’en 1557 les
grandes voûtes étoient faites , & le tambour de
la coupole achevé a v ec tous fes ornemens. Ses
amis l’engagèrent même à faire un modèle, qu’il
exécuta en bois, ou"toutes les mefures étoient
marquées dans le plus grand détail. Le modèle
fut applaudi & fuivi exaâement dans tout ce qui
concerne la coupole.
Le pape lui demanda trois deffins pour la porte
P ie , 8c ehoifit celui dont la- dépenfe étoit la
moindre.
Lorfqu’il fallut bâtir l’églife de la chartreufe de
Rome au milieu des débris & des ruines même
des thermes de Dioclétien , plufteurs arcîtite&es
préfentèrent des plan s , mais celui de Michel-Ange
fut préféré à tous les autres. Les eliarigem-ens que
cet édifice a fuhi depuis, & lesplaintes d’un amateur
célèbre des arts à ce fujefy nous apprennent
ce que l’on devoir à ce grand homme & ce qu’on
a perdu. Ecoutons Bottari à ce fujet.
« O n a entièrement changé le plan de-B uomroiL
» O n a muré la porte principale, qui étoit magni-
j> fiq u e , par laquelle on entroit de plain-pied dans
» l’é g life , & l’on a conftruit une chapelle,au même
j> endroit. Quatre grands enfoncemens antiques.,
>» - que Michel-Ange avoit laifîes pour faire un pa-
” reil nombre de ch apelles, ont été pareillement
» mures. C e qu’il y a eu de plus mal-adroit, ç’eft
» qu’on a fait la- principale n e f , dë, là croifée de
» l’é g life , que V’aceeffoire eft- devenu l'objet
» principal. E n fin , an lieu d’entrer-par* cette porte
» magnifique, que le s architéftes ne fe.laffoient
» pas d’admire r, on entre aujourd’hui par une
petite porté cle côté-, placée au milieu d’une
tic façade de très-mauvais goût. Il- étoit- réfervé
» à notre- fiècle de' faire une pareille àbfiirdité,
» en réformant le beau projet de Michel-Ange ».
Ce t artifte , déjà très^avancé én ‘â g e , quitta
la' place d architeâe de S a in t -P ie r r e q u ’il occtir
poit depuis di-xrfépt ans. Il auroit defiré la 1 aider
à Daniel de Volrerre. Nanni, qui- lui fut préféré,
ne tarda pas à dévoiler fon incapacité. Pirro Ligorio
& V ign o le furent donc prépofés à l’exécution des
plans, de. M ic h e l -A n g e&: on, leur, enjoignit dè
ü’y rien changer. Pie V employa même fon au-
toriré pour fermer la bouche .aux détracteurs de
ce grand homme, qui mourut en 1 5 6 4 , âgé de
quatre-vingt-dix ans.
Son teftament contenoit ce peu de mots : Je
laiffe mon aine à dieu, mon corps à la terre , mon
bien à mes parens. O n le porta dans l’églife des
faints Apôtres , où le pape avoit déterminé la
place de fon tombeau, en attendant qu’on pût
lui en élever un dans la bafilique de Saint-
Pierre. .
Florence , qui avoit toujours envié à Rome
la poffeffion de fon illufire citoyen pendant fa
v ie , réclama fa dépouille , comme un patrimoine
qu’elle ne pou voit point aliéner. L e grand-diic le
fit déterrer fecrètement & tranfporter à F lo ren c e ,
où fon corps fut reçu & inhumé avec des honneurs,
que la flatterie prodigue ordinairement à
la puiflance, & que pour cette fois la vérité con-
facra ail génie.
Un fuperbe catafalque fut d relié, dans l’églife
de Saint-Laurent, fépulture des grands-ducs. L e
choix du lieu étoit un hommage ,de plus à la
mémoire de Michel-Ange. Mais quel temple auffi.
pou voit mieux convenir à cette pompe & à fon
éloge , que celui q u i , plein des chefs-d’oeuvre de
fon génie , parloit plus éloquemment en fa faveur
que ne put le faire Benoît V a r c h i, poëte fameux
de ce temps , 8c chargé par le g ran d -d u c de
fon oraifon funèbre ? L’académie du deffin avoit
çhoifi quatre députés pour préfider à la décoration
du catafalque , • dans lequel pn convint
de montrer plus de goût que de^ magnificence
( voye^ C a ta fa lq ue ). Le monument quarré 8c
haut de vingt b raffes, dont,les faces préfentoient
plufteurs traits de Ja v ie de Michel-Ange, étoit
décoré de. quatre figures de grandeur naturelle,
l’archite&ure, la peinture, la fculpture 8c la p’oéfie-.
C ’étoient les quatre arts qui s’étoient difputé le
génie de Michel-Ange. Cependant celui-ci fembloit.
parler à la fculpture.
Un monument plus, durable de vo it remplacer
cette fragile repréfentarion. Une place diftin-
guée fut choifie dans l’églife de Sainte-Croix. Le
grand-duc donna à Léonard Buonaroù, fon neveu ,
tous les marbres néceffaires. Vafari * chargé de
"execution du maufolèe, y plaça le bufte de fon
maître; & les figures des. trois arts du deffin fu-
^ ^ ^ ^ t ih u é s à trois fculpteurs Florentins: l ’ar-
cmteétureà Jean de l ’O p é ra , la peinture à Baptifte
Lorenzi, & la fculpture à V alé r ie Cioli. /
La maiforl*de Michel-Ange, ou le palais Buonaroù. ,
abue encore aujourd’hui par les defeendans de
cette, il! 11 flre famille, offre un monument fans doute
P u* glorieux 4 |a mémoire. C ’eff une grande &
p p 1 er*e ornée de tableaux des meilleurs maîtres
e Horence, qui. r-epréfentent chacun, un trait
P mculier de la v ie de ce grand homme..
< w D aime à conn©kre les traits, la figure 8c la
ntprmatiQn des grands hommes. La ph.Uofophk
a tort cfè ne pas defeendre plus fouvent 8c plus
avant dans l’homme phy fique : c’eff-là que l’homme
moral eft caché ; l’homme extérieur n’eft fouvent
que la faillie de l’homme intérieur. V o ic i le portrait
de Michel-Ange.
Une tête ronde , le front quarré & fpacieu x,
les tempes faillantes, le nez écrafé par l’accident
rapporté plus haut, les y e u x plus petits que grands,
d’un brun allez foncé & tachetés de points jaunes
8c b leu s , les. fourcils peu épais, les lèvres minces,
le menton bien proportionné , les cheveux noirs,
la barbe de même , peu épaiffe , & fe partageant
en deux maffes v e r s lem ilie n du menton. Il étoit
d’une taille moyenne , avoit les épaules larges &
le corps bien proportionné , une complexion faine
8c v ïgouren ie, un tempérament fec 8c nerveux.
Il n’eut que deux maladies dans le cours d’une fi
longue v ie ; la gravelle rendit fes derniers jours
; douloureux. Jeune , il n’avoit connu d ’autre befoia
que d’exercer fon e fp r it , d’autres plaifirs que de
cultiver les arts.. Q u oiqu e riche & dans un âge
a v an c é , il méconnut toujours & le luxe & les
commodités même d e là vie. Dormir tout habillé.,
ne v iv re fouvent que de pain & d’eau,, paffer
les nuits au travail ou en promenades folitaires-,
font les moindres traits qui peuvent caraâérifer
fa manière de viv re . Si Michel-Ange eût vécu chez
les Grecs , on l’ eût admiré comme philofophe,
avant de le louer comme artifte ; mais à coup
sûr Michel-Ange auroit embrafle la feffe de Zénon..
E co n om ie , frugalité, défintéreffement,. auftériré*
de moeurs, inflexibilité de cara&ère, mépris même
de la réputation , telles furent les vertus ftoïques.
qu’il ne démentit jamais.
O n ne lui v it jamais donner de feftins dans fa
maifon ; jamais il n’invita perfonne à partager le
plus fimple de le s repas. Sa frugalité eût accru
fa, fo r tu n e , fi fa prodigalité envers les p a u v re s ,
fes amis & fes parens, ne l’eût réduite à la fomme
de vingt mille écus ( iQ a o o o liv. ) qu’il laiffa après,
lui.
' Michel- Ange étoitaimé & recherché des grands
mais il les fuyoit. Il ne vouloit d’autre compar
gnie que celle de fes ouvrages. A peine ch e-t-ou
quelques artiftes dont il ait aimé la fociété-, encore
étoient-ils médiocres. Q u e .d is - je , médiocres L
Par un contrafte fingulier 8c. que je rapporte à
deffein, il avoir pour amis Menighella & Topolino ,
faifeurs & vendeurs de faints pour les villages ;
& le même homme qui refiifoir de travailler p our
des fouverains,. donnoit fon t e m p s f e s deffins à-:
des faifeurs de bamboches. Il chérit par-dêffus-
tout fon- ferviteur Urbin. Quand je ferai mort 9,
lui dit un jour M ic h e l-A n g e , que. feras-tu 3 mon,
cher Urbin ? I l faudra bien , dit-il, que je fe/ve un
autremaître. — Non-, je ne le fouffrirai pas ; prends:
ces■ deux mille èms ( dix mille livres de France
Michel-Ange eut la douleur de lui. fuWivre ; il lei
ibigna. nuit. 8c jour dans fa maladie. & pleura fa*
m oru
M i