
& dont elle île peut long-tems foutenir l’illufion.
En architeélure, on appelle caprice toute invention
, toute forme fans néceflitê que la nature
n’a point fuggérée , que ne fauroit jaiftifier le
le befoin , ou que la convenance défavoue.
En morale , le caprice efl le goût d’une chofe
qui ne convient pas à notre caraélère, à notre manière
d’être, & qui ne peut nous arrêter long-tems.
En architeéture, le caprice eft le goût de toute
produélion étrangère aux principes de l’art, & qui
ne repofant fur aucune bafe folide, ne fauroit
être de longue durée.
En morale, la fource la plus féconde des caprices
c’eft le goût immodéré de* plaifirs, produit par
l ’oifiveté.
En architeélure, le caprice réfulte de l’amour
du changement, du luxe & de la fatiété des meilleures
chofes.
En morale, on remarque que le caprice, fans
être précifément Tinconftance, eft, comme celle-çi,
le propre des efprits foibles, des tempéramens
mal organifés, ou dè ceux qui éprouvent le dé-
fordre paffager d’une fituation laborieufe & maladive.
11 l’eft particuliérement de l’âge & du fexe
dont la foibleffe eft l’apanage.
En architeélure , on obferve que le caprice ne
fe développe nulle part & dans aucun tems avec
plus de force que chez les peuples fournis par la
température du climat au défordre de l’imagination
& à la mobilité des idées, ou dans les ftècles
amollis par le lu xe, & affoiblis par toutes les
caufes qui tendent à énerver les facultés morales
&phyfiques.
L’homme pauvre & laborieux n’a point de caprices.
On auroit de la peine à en découvrir dans
l’auftère fimplicité des premiers âges de l’archi-
teélure.
Si Tarchiteélure, uniquement aftervie aux loix
du befoin , fe fût bornée à ce que la folidité dans
la conftruélion , & la commodité dans la difpofi-
tion des édifices pouvoient exiger d’elle, le caprice
n’auroit fans doute trouvé aucun moyen de s’y
introduire. La mefure de la raifon fût devenue
pour elle celle de la néceflité ; & la main impé-
rieufe de celle-ci, en repouffant tout ce qu’elle
méconnoît, eût préfervé l’art de bâtir de tous les
écarts de la fantaifie. Mais auffi Tarchiteélure,
réduite au feul emploi dé fatisfaire les befoins de
l ’homme, feroit encore au rang des arts purement
mécaniques, réfultats heureux de l’induf-
t r ie , mais que le génie- ne fauroit avouer. On
conçoit aifèment que ni l’harmonie des proportions
, ni le plaifir de l’imitation , ni le charme
de la décoration n’entrent dans les élémens de la
nécefiité ; & Ton fe figure de même, fans qu’il
foit néceffaire de l’établir i c i , l’idée qu’on pour-
roit fe faire de cet art dépouillé de tout ce qui
en a fait un art.
Une des premières imitations de la nature qu’il
faut reconnoître dans Tarchiteélure, eft l’affociation
du plaifir & du befoin. Prefque tpus les peuples
ont plus ou moins effayé de réalifer cette alliance.
Mais les Grecs doués de ce tempérament moyen,
également éloigné de tous les extrêmes, ont mieux
qu’aucun autre imité la nature dans cette union
difficile. Le fyftême de la nature en ce genre
fut celui de leur architeélure. Ils comprirent qu’il
falloit rendre le befoin & le plaifir tellement
dépendans l’un de l’autre, y établir des relations
fi mutuelles, que les formes du befoin emprun-
taffent l’apparence du plaifir, & que celles ,du
plaifir panifient provoquées & comme néceffitéei
par le befoin ; qu'enfin l’agréable parût toujours
néceffaire, & le néceffaire toujours agréable. Ce
double déguifement fait tout le fecret de Tarchiteélure.
Les Grecs femblent l’avoir deviné dès les
premiers pas qu’ils firent dans cet art. Prefque tous
les autres peuples l’ont à peine fou'pçonné.
On a fait fentir ailleurs ( voyeç Varticle A r t )
toùtes les difficultés d’un concert entre la partie
utile & la partie agréable de Tarchiteélure ; &
combien fut ingénieux cet accord des formes convenables
aux befoins du corps avec celles qui ne
font analogues qu’aux affeélions de famé. Cet
équilibre heureux ne pouvoit exifter dans tous les
pays ; il étoit de nature auffi à ne pouvoir fe
perpétuer. Il eft dans l’effence de l’homme d’abufer
fur-tout du plaifir ; & Ton fait que l’abus du plaifir
dégénère en goûts qu’on appelle caprices : on voit
donc comment Tarchiteélure contient en elle le
germe du caprice. Il n’eft autre chofe que l’abus
de la partie agréable de cet art.
Si nous ne nous fommes point trompés, en
appellant le caprice l’abus du plaifir en architecture,
quand nous faurons ce qui conftitue ce plaifir, à
quoi il s’applique , où il s’arrête , nous connoîtrons
auffi la nature du caprice, les marques auxquelles
on le diftingue, & le point auquel il commence.
On peut diftinguer dans l’architeélure trois genres
de plaifir': l’un qui eft intelleéfuel & qui réfulte
de l’harmonie des proportions; l’autre qifi eft de
comparaifon, & qui dérive du fyftême d’imitation
de l’architeélure ; le troifième, qui eft particuliérement
le plaifir des y e u x , & qui a fa fource
dans l’ornement.
Chacun de ces plaifirs fe fonde plus ou moins
fur la nature ; mais par un contrafte peu facile
à concevoir, leur bafe eft d’autant plus folide
qu elle eft moins apparente. Leurs principes ont
une force qui femble être toujours en raifon in-
verfe de leur exiftence vifible ; & la violation
de ces principes eft d’autant plus condamnable,
que l’autorité dont ils s’appuient eft moins matérielle
& moins palpable.
C eft ce dont on conviendra pour peu qu’on
réfléchiffe que Tharmonie des proportions , qui
conftitue. prefque toute l’architeéture, n’eft fondée
que fur les rapports intelleéluels de l’imitation
analogique des oeuvres de la nature, fur la
connoiffance générale de fes deffeins, de fes
moyens, des propriétés relatives des objets enfte
eux, & fur la fcience de l’optique ou de la manière
dont fe fait la vifion en général. Le plaifir
qui provient dans Tarchiteéhire de l’harmonie des
proportions, eft fans contredit le premier de
tous. . . . . , ,
Celui que donne l’imitation des types dont cet
art s’eft fait la loi de garder le fouvenir, paroît avoir
un fondement plus réel & plus apparent, pûif-
qu’enfin le modèle de cette imitation eft encore
en quelque forte fous nos y e u x , & que la charpente
nous eii a confervé la tradition. Cependant
on a vu que cette imitation devoit encore s en-
vifager du côté de Tefprit, plus que du côté de
la matière ( Voyeç A rchitecture ) ; & que dans
cette comparaifon que nous aimons à faire du
modèle à fa copie , il ne faut jamais entendre ces
deux mots dans leur rigueur abfolue.
Le plaifir de l’ornement dans l’architeélure, que
j’ai appellé plus fpécialement le plaifir des y eu x ,
a fa fource en partie dans l’imitation plus ou moins
pofirive des types dont on vient de parier, en
partie dans l’imitation abfolue de différentes productions
de la nature, ou d’objets dont les conventions
peuvent varier, fuivant une foule de cas dont il
feroit difficile de déterminer le nombre & l’étendue.
Il réfulte de ceci que les règles du plaifir ont
& doivent avoir une force proportionnée à 1 importance
des objets auxquels elles s’appliquent,
plutôt qu’à l’évidence des principes fur lefquels
elles repofent. Ainfi, Ton conçoit que le plaifir
des proportions étant le premier de tous dans 1 architeélure
; celui par lequel cet art peut produire
en nous des impreflions voifines de celles que
la nature nous fait éprouver dans fes ouvrages,
les règles qui en déterminent le choix & l’application
feront, après les règles du befoin, les
plus facrées & les plus inviolables de toutes. Ce
lut aux Grecs un art bien ingénieux que d’avoir
fu rendre les proportions du plaifir dépendantes
de celles même du befoin. Sans doute on doit
reconnoître dans leur architeéture Tobfervation
de ce fyftême, & fans doute auffi, plus on pourra
établir de réciprocité entre ces deux principes, plus
on pourra enter le plaifir fur le befoin, plus les réfultats
qu’on en obtiendra feront précieux. Cependant,
on fe flatteroit en vain de pouvoir établir cet accord
rigoureux ; & les Grecs même nous ont laiffé trop
d’exemples de variétés dans leurs proportions,
pour qu’on puiffe foupçonner que jamais ils ne j
confultèrent le plaifir fans le befoin. Quelles J
qu’aient été les règles de proportions établies &
calculées par les Grecs (voyeç Pro po r t io n ) ,
©n peut affirmer qu’ils en avoient d’autres fupé-
rieures à tout calcul. Peut-être ne trouve-t-on pas
deux fabriques antiques où les proportions du
même ordre foient précifément les mêmes.
Je n’expoferaî point ici les raifons de ces variétés
dans les proportions ; mais il eft facile de
devinçr que le fentiment du plaifir, par lui-même
indépendant des loix du befoin dans Tarchiteélure
a provoqué plus d’une fois le divorce entre eux.
Cependant fi Ton examine combien ces variations
des .anciens, dans le choix de leurs proportions,
j font légères en comparaifon des écarts modernes
en ce genre , on aura lieu de s’affiirer que les
premiers , dans Tétabliffement des proportions ,
en avoient fondé les principes fur le befoin , & que»
leur variation fut encore motivée par un autre
genre de befoin. Ainfi le plaifir des proportions
eroit fondé fur la convenance des édifices, &
leur rapport avec l’oeil du fpeélateur ; tandis que
les modernes fe font biffés emporter par l’abus
de ce fentiment, fondé uniquement fur l’inconG
tance & fur l’amour du changement ; ce que nous
appelions caprice.
Le fyftême imitatif, qui forme, comme on Ta
dit, le fécond genre de plaifir que Tarchiteéhire
nous communique , a des règles plus apparentes.
Cependant c’eft moins à l’évidence de ce modèle
ou à l’obligadon de le copier, qu’au plaifir qui
devoit réfulterde cette imitation, que nous fommes
redevables de cetté' jouiffance. Auffi les Grecs ne
Tenvifagèrent-ils que comme une imitation libre
& toujours fubordonnée à un autre d’un genre plus
relevé , q u ê ta i fait voir être la véritable imitation
de Tarchiteéhire. ( Voyeç A rchitecture ).
Ils ne confidérèrent cette imitation de la charpente
que comme le fquelette de l’art, propre à
être revêtu des formes raifonnées que les proportions
pouvoient lui donner. Le fentiment du plaifir
leur fit comprendre que trop d’afferviffement aux
formes de la charpente dégraderoit Tarchiteéhire ;
que la charpente enfin étoit plutôt l ’ébauche que
le modèle d,e l’art. Cette tranfpofition des formes
de la cabane ne fut qu’une efpèce d’entrave mife
aux innovations que pouvoit fubir Tarchiteélure.
Mais ils comprirent que le plaifir, ennemi de la
fervitude, fecoueroit les chaînes qu’une imitation
trop rigoureufe des formes néceffaires pourroit
lui impofer ; & de-là eft née cette métamorphofe
ingénieufe , qui dans ce fyftême imitatif déguife
l’objet imité fous le voile de l’invention, la vérité
fous l’apparence de la fiélion.
Ainfi le plaifir de cette imitation confifte, comme
on l’a dit plus en détail au mot A rchitecture
(voyeç cet article ) , dans cette heureufe fuper-
cherie qui nous trompe en nous difant vrai ,
dans ce menfonge véridique, dans cette illufion
adroite , qui tient un fi jufte milieu entre la trifte
réalité du befoin', & la captieufe apparence du
déguifement fous lequel il fe cache. Les Grecs ,
inventeurs de cet ingénieux fyftême, furent Té-
tendre & le refferrer plus ou moins .dans les
différens modes de force, d’agrément & de richeffe
qui conftituent les ordres de Tarchiteéhire. Leur
fecret pour y parvenir fut de montrer, ou de
voiler plus ou moins la réalité du befoin , & d’embellir
plus ou moins le voile qui en dérobe l’apparence
; mais à cet égard il faut convenir qu©
r N n n 2