
Quoi qu'il en foie, la rareté du bois fe fit fentir j
à plufieurs époques, 8c Ton prix augmenta fans
aucune proportion avec celui des autres objets de
première néceffité.
Tellès d’Acofta , dans fon ouvrage imprimé
en 1782. 3 s’étoit efforcé de diffiper les alarmes
que Réaumur avoit données en 172.1 fur la difette
prochaine du bois. Il avoit calculé que lacon-
fommation n'étoit que de 8,800,000 voies de bois
pour tout le royaume, dont il fuppofoit la population
, à cette époque, de 21,000,000 d’habitans,
& il affuroit que n o s fo rê t s^ 8c les arbres épars pro-
duifoient environ 10,000,000 de voies par an :
d'où il fuivoit qu'il y avoir un excédant de
1.200.000 voies. Mais il changea bien de langage
dans fon fécond ouvrage, publié en 1784, époque
où la difette fe fit fentir. Il dëtruifit lui-même la
confiance qu'il avoit voulu infpirer, 8c il appela
à grands cris l’attention du>Gouvernement fur
la confervation des f o r ê t s . Il attribua l'abondance
dont on avoit joui depuis 1762 jufqu'en 1782,
i p. aux coupes qu'on avoit doublées pendant
quatre ans dans certaines f o r ê t s ; 2-. à la quantité
trop forte d’arbres coupés dans les exploitations
ordinaires; 30. à la coupe des quarts de réferve
des gens de main-morte; 40. aux coupes faites par
l’ordre de Malte de fes futaies; y°. à l ’abattis con-
fidérable qu'on avoit fait des arbres épars ; 6°. aux
aménagemens réduits de 20 à 1 y ans dans plufieurs
f o r ê t s , 8cc., 8fC.
Toutes ces coupes & anticipations , en jetant
trop de bois dans le commerce, en avoient fait
augmenter la confommation. Paris, qui n'avoit con-
fommé que 627,420 voies en 1778, en confomma
710,912 voies en 1782 , 8c 660,281 voies en
1783". Ainfi, il y avoit eu une augmentation de
60.000 voies ou environ par chacune de ces
dernières années.
Enfin, Tellès d’Acofta calculoit que la ville de
Paris 8c fa banlieue avoient confommé, en 1784,
1,000,000 de voies de bois , tandis que les f g r ê t s
qui les approvifionnoient n’ en pouvoient plus
fournir que 800,000 voies. La difette duroit depuis
deux ans, & elle avoit occafionné des dé-
penfes forcées que l’auteur faifoit monter à
300.000 francs.
La même progreflion dans la confommation
du bois & dans la diminution des reffources, fe
faifoit remarquer dans les autres parties de la
France.
M. Rougier de la B ergerie, dans fon intéreffant
ouvrage fur les f o r ê t s de France , nous indique les
caufes 8c les progrès de la deftruétion t e s f o r ê t s .
Il divife l’hiftoire foreftière en trois époques.
Dans la p r e m iè r e , il rappelle les inquiétudes qui
fe manifeftèrent au milieu du feizième fiècle fur
l’approvifionnement en bois de la capitale ; les
efforts de Colbert pour éloigner la difette du
combuftib e ; les mefures fages qu’il fit confacrer
par l'crdonnance de 1669 ; les efforts des gens de
main-morte pour éluder les difpofitions conferva.
trices de ce réglement; ceux des feigneurs du par.
lement pour s'attribuer chacun la juridiction des
eaux & forêts ; les exceptions funeftes qui furent
faites aux principes confacrés par l’ordonnance;
les dons , échanges 8c concertions; les défriche-
mens qui furent autorifés 8c encouragés, même
fur les montagnes, par fuite de la difette de 1709; I
les exploitations outrées que firent les feigneurs j
& le c le rgé, qui, après la mort de Colbert, I
avoient trouvé le moyen de fe mettre en poffeffion
d'une grande quantité de bois & t e f o r ê t s du domaine
; l'arrêt folennel de 1719 , qui révoqua les
engagemens, par le motif qu'il y avoit alors très- I
p e u d e f o r ê t s f u b f if t a n t e s , autres que celles quiap-
partenoient au Roi 8c aux communes ; les délits ;
& abus qui fe commettoient fur les Alpes & les I
Pyrénées en 1722, & q u i, plus tard, fe renouvelèrent
encore ; les nouveaux défrichemens encouragés
en 1762 8c 1766, toujours à caufe de la difette
des grains, mais dont firent exceptées, pour
cette fois , les f o r ê t s des montagnes ; les réfultais
funeftes de ces défrichemens, q u i, en 1770,
avoient enlevé au pâturage &.^u fol foreftier près
de 400,000 àrpens.
Dans la, f é c o n d é ép o q u e de l'hiftoire de nos forêts,
M. de la Bergerie.nous fait connoître les voeux
de plufieurs provinces, exprimés dans les cahiers
remis aux Etats-Généraux , pour la répreflîon des
abus du défrichement 8c pour l'établi ffement d’un
meilleur ordre de chofes dans le régime foreftier;
les irruptions qui eurent lieu dans les fo rê t s en
1789, Par fuite fau^e interprétation des lois
qui venoient d’abolir la féodalité , 8c les dégâts
effrayans qui furent commis, & que la proclamation
du 3 novembre 1789 eut pour objet d arrêter;
la mife en vente des bois du clergé, d'une etendue
moindre de 100 arpens, ordonnée par décret du
10 mai 1790, 8c qui fut fuiyie de la prompte def-
tru&ion de ces bois ; la faculté donnée enfuite de
comprendre dans les aliénations les bois au-deffous
de 300 arpens ; les funeftes effets de la difpofitton
de la loi du 29 feptembre 17 9 1 , qui accorda aux
particuliers la liberté de difpofer de leurs bois
comme bon leur fembleroit; les coupes intem*
peftives 8c outrées, les défrichemens 8c les dégradations
de tous genres que fe permirent les j
propriétaires 8c les acquéreurs de biens nationaux;
l’efprit de fifcalité qui s'attacha aux/o««
pour les détruire; la fufpenfion de l’organi fanon
foreftière, qui, laiffant les anciens prépofes dans
l’incertitude fur leur éta t, leur ôta le courage de
s'oppofer aux déprédations toujours croyantes
des hommes cupides ou exagérés. Enfin, | p p j |
rappelle les vives réclamations qui furent adreftees
au comité d'agriculture en 1792, contre les de*
frichemens qui mettoient à nu les montagnes de
Hautes & Baffes-Alpes, des Bouches-du-Rhone,
du G ard, de l'Aude , de l’Ardèche, de la Lor*
t e z e , 8c qui expofoiem toute cette partie
France à des avalanches 8c à des inondations,
caufées par l’encombrement du lit des rivières 8r
j es canaux, à de longues féchereffes 8c à l’aridité,
à la difette des fourrages, à celle du bois pour
les verreries, le merrain , 8cc. ,,8rc.
P a r i s l a t r o if ièm e é p o q u e , l’auteur nous préfente
un tableau plus affligeant encore de défendre 8c de
deflruétion. La Conyention donna plus de latitude
aux ventes des bois nationaux, en permettant de
vendre les bois de 150 hettares, à la diftance de
roo toifes d’autres bois, au lieu de 1000 toifes à
laquelle cette diftance avoit d’abord été fixée ; on
tirades f o r e t s les bois propres aux ateliers de fal-
pê;re, & ce fut l'occafion de nouveaux brigandages;
on ordonna des coupes extraordinaires pour
la marine, 8c la manière dont il y fut procédé fit j
difpamître les plus beaux arbres dans les futaies |
de l'Etat 8c dans les bois des particuliers, fans que
prefque rien arrivât aux chantiers de la marine; la
difette du bois de chauffage qu’on, éprouva à Paris
en 1793 > fit faire aufli des coupes extraordinaires
dont le produit fut vendu à vil prix ; les délits
étoient au comble, & d’autant moins réprimés ,
que la mifère caufée par la loi du m a x im u m étoit
plus grande (1).
M. Rougier de la Bergerie met enfuite fous les
yeux de fon leéteur les renfeignemens fournis par
les adminiftrateurs, les fociétés d’agriculture, les
fa va ns & agronomes d’un grand nombre de dépar-
temens, fur l’état affligeant ces- f o r ê t s , 8c les juftes
alarmes que cet état infpïroit pour l’avenir. Ces
renfeignemens nous montrent le génie de la def-
tru&ion parcourant les f o r ê t s de la France, pendant
j2 ans, & le fer 8c le feu fans ceffe occupés
à les anéantir .
Ici, on fe plaint que la deftru&ion des f o r ê t s
a changé la température, augmenté la féchereffe
& fait manquer les récoltes ; là , les oliviers, privés
de leurs abris naturels, dépériffent par le
froid ; ailleurs , les revers des montagnes font
fillonnés par des ravins 8c des torrens dévaf-
tateurs; les f o r ê t s , dans un autre endroit, ne
(1) M. de Perthuis, dans fon Traité de U Aménagement
des bois, évalue ainfi les pertes faites par le tréfor public,
depuis.le commencement de la révolution jufqu'au çonfuiac :
i°. Cinq cent mille arpens de bois aliénés
, à 400 fran.es l’un , prix moyen,
fonds & fu perfiçie. •............... ... 200,000,000 fr.
2°. Diminution fur le revenu des bois
deTEcac, par les doubles & triples coupes
qui en ont faic bai fier le prix...................... 10,000,000
3°. 6 millions d’arbres épars fur les
routes, &c...................V .................................iao,qoo,ooo
T ota l............... ... . 33o,ooo.ooo
Sur quoi le tréfor n’a touché que. . . . 66,000,000
Perte. . . •. . .
D i c ï , d e s A r b r e s & A r b u f e s »
font plus que des bruyères 8c des garrigues; les
châtaigniers dépériffent à mefure qu'on s'approche
des montagnes; les rivières s’encombrent par
les terres 8c les pierres qu’entraînent les eaux des
collines; dans les pays vignobles, le merrain eft
rare & à un prix excefflf ; partout les habitans 8c
les acquéreurs continuent les défrichemens, 8c
l’autorité fait d'inutiles efforts pour les arrêter ;
les réquifitions pour les armées ajoutent aux efforts
des particuliers pour faire difparoître juf-
qu'au dernier arbre ; enfin, des incendies font autorifés
dans la Vendée & dans le midi de la
France pour détruire les bois qui pouvoient fervir
de retraite aux hommes que l'on pourfuivoit.
Néanmoins, dans cette même période, il fut
fait des tentatives pour arracher le domaine foreftier
à la dévaflacion. On trouve dans l’ouvrage de
M. de la Bergerie des rapports faits à la Convention
en l’an 4 8c en l’an y , où brillent, dans toute
leur pureté, les principes de la confervation des f o r
ê t s . L'auteur du fécond rapport, l ’un des collaborateurs
de Buffon, plaçoit l e s f o r ê t s au premier
rang des objets qui dévoient fixer l'attention de
l'Affemblée. et Elles font, difoit-il, dans la main
du Gouvernement un p u i jf a n t m o y e n d e c r é d it .
» De leur confervation dépendent les fuccès de
l’agriculture, du commerce, des manufactures 8c
des arts, la marine, la navigation intérieure, les
mines, toutes les commodités de la vie 8c notre
e x if ie n c e m êm e .
H Le domaine a perdu par des échanges onéreux
8c abufifs les plus belles f o r ê t s , que les ufur-
pateurs fe font empreffés de détruire, pour rendre
impoffible la réparation.
« Dans la révolution, des communes entières,
p a r a t t r o u p em e n s ........ . 8c les gardes mêmes font
devenus les premiers divaftateurs t e s f o r ê t s , »a
Il évalue les befoins de la confommation des
foyers 8c des ufines à ................ 8,33 3,320 cordes
8c le déficit à ............................. 2,016,680
8c il ne trouve plus de moyen de Gompenfation
que dans les mines 8c les tourbières. Les befoins
de la marine font évalués à fept millions de pieds
cubes, 8c il fait obferver qu’ il n’exifte plus de
futaies que dans les bois du Gouvernement. Il termine
par des réflexions fortes contre le fyftème
des aliénations 8c contre le mode d’adminiftration
fuivi à cette époque. .
Mais la Convention, plus occupée de détruire
que de conferver, ne pouvoit apprécier la lageffe
des obfervations qui lui étoient adreffées.
JL a q u a t r ièm e é p o q u e , affignèe par M. de la Bergerie
à l’hiftoire des f o r ê t s y nous préfente encore
des défordres, mais plus rares, moins défaftreux.
Le gouvernement confulaire adopte des mefures
réparatrices; une adminiftration fpéciale eft orga-
nifée ; le dtfir de rétablir fuccède a la fureur de
détruire ; une meilleure furveillance réprime les
délits; plufieurs lois remettent en vigueur les
principes fi long-temps oubliés de la confervation
. R r r
240,000,000 fr.