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h partie boifee, il remarquera d’abord que les
branches & les feuilles des arbres, des arbriffeaux
& arbuftes , préfentent aux eaux pluviales des obf-
ticles très-multipliés; ces eaux ne tomberont fur
îe fol que par gouttes allez rares î H remarquera
encore qu’ il n’eft pas un rameau, pas une feuille ,
pas un brin d’herbe, qui ne conferve une quantité
d'eau proportionnée à fa furface, & qu’en fin les
eaux coulant fur le fol font divifées à l’infini par
la foule des plantes qu’elles rencontrent à leur
pafifage. ^ ..
Lesréfultats de ces premières obfervatlons feront
les fui vans : i° . l’eau ne tombant que par gouttes
fur le fo l, celui-ci, formé des débris annuels des
plantes , & par conféquent léger & facile à pénétrer
, en abforbera une grande quantité, au profit
des rèfervoirs intérieurs de la montagne, qui forment
les fources des rivières & des fontaines >. 2°. les
eaux non abforbées de cette manièi e & coulant fur
le fo l , divifées à l ’infini par les plantes qui s’oppo-
fenr à leur palTage, ne pourront fe former en ruif-
feaux, & fi, favotifées momentanément par quelques
circonftances, elles venoient à fe réunir, elles
éprouveroient encore bientôt une nouvelle divi-
lîoiï par la rencontre de pareils obftacles; ;° . l’évaporation
des eaux pluviales fera auflj proportionnée
à leur grande fubdiviiion fur le fol & fur les rameaux
& les feuilles des plantes; 40. ces dernières
en abfôrberont une partie notable. 1
L’ exiftencé des f o r ê t s fur les montagnes produit
donc une grande diminution dans la quantité des
eaux coulant fur la furface du fol & favorife 1 augmentation
des fources ; elle ralentit confidérabie-
ment le cours des eaux fuperficielles, qui, n’ arrivant
dans leurs canaux qu’une petite quantité a la fois,
ne biffent plus à redouter de leur p u t ces ravages
qui défolent fi fouvërvt les campagnes.
Que l’obfërvateur porte auffi fon attention fur
la partie aride de la pente de la montagne, & il
verra que tout y favorife la prompte reunion des
eaux & la-rapidité de leurs cours, rapidité qui fera en
raifon compofee de l’in-clinaifon du fol, de la vkefle
acquife dans la chute, & de la prompte augmentation
du volume des eaux.
Si des obftacles, "tels que des rochers fai 11 ans ou
de grandes inégalités dans le terrain, viennent a les
divifer , ce ne fera plus pour en ralentir la marche :
refferrées dans leur cours, elles acquerront une
nouvelle vïteffe ; elles fe creuferont de petits canaux
qui, tendant fans ceffe-à fe réunir, formeront
dans la fuite de larges coupures, ou enfin de pro fonds
ravins.
Les avalanches & les ébou^emens font des acci-
dens terribles qui n’appartiennenr guère qu’ aux
montagnes dépouillées de leurs f o r ê t s .
On fait qu’au printemps, les rayons du folëil,
en fondant la partie fuperieure de la couche des
neiges qui couvrent les montagnes, il s établit
entre la furface inférieure de cette couche & le
fol de ces montagnes, un courant d eau produit
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par la fonte de cette même couche : alors la mafle
des neiges, ne tenant plus au fo l, ou n’y tenant
que par un petit nombre de points, s’affaiffe dans
les lieux peu inclinés j mais dans ceux qui le font I
davantage, elle s’ébranle, & , par la force de fon I
impulfion, elle entraîne les amas de neiges infé.
Prieurs, & fe grofliflant encore des mafies énormes
de terre & de pierres, & même de rochers entiers
qu’elle détache de la montagne, elle vient porter
le ravage Si foiïvent la mort dans les vallées &
dans les. plaines.
" Ce font les avalanches qui. forment en très-peu
de temps ces ravins profonds q ui, fans elles, ne
feroienç le plus fouvent que l’ ouvrage lent des
eaux pluviales.
On fent bien que les accidens de cette nature
ne peuvent avoir lieu fur les montagnes dont les I
flancs font couverts de f o r ê t s :car jes neiges, qui fe i
détacheroient de leurs fommites, n acquerroient jamais,
ni par leur malïe ni par leur vitefle, le degré de
force néceflaire pour furmonter de tels obftacles. i
L’ufage commun, furtout dans une partie de
r it ali e, de transformer les f o r ê t s y les montagnes en •
terres labourables , a donné lieu à ces infiltrations
furabondontes qui produifent les éboülemen*. On I
fe rappelle encore la chute arrivée en 1718 delai
montagne de C onto, l’ une des Alpes Retiennes,
qui enlevelit en un inftant fous fes ruines le bourg
de Pleurres & le village de Chitteau, avec leurs
populations & une grande étendue de territoire.
Les premières années de ce fiècle onc été lignalées
par des événemens de cette nature non moins déplorables.
Les Apennins & leurs dépendances pre-
fentent auflî une fuite nombreufe d’eboulérrier.s.
La diminution dés eaux de fource, l’augmentation.
des eaux fuperficielles, la formation des avalanches
& des torrens, les éboulemens, font donc
les conféqùences immédiates de la deftruétion des
f o r ê t s ‘ l u t les montagnes.
M. de Rumidon porte enfuite fes regards furies
défaftres que la deftruéiion des fo > ê t s fur les m o n ta gnes
a occafionnés dans le ci-devant royaume d Italie.
Nul pays de l’Europe ne demande plus que l’ita-
lie U-s foinseonfians des gouvernemens pourtoutce |
qui regarde la dir* êlion des eaux ; une partie conft-
dérable de cette grande prefqu’îie,eptouréeau nord
& à l'oueft parla chaîne des Alpes,& au fudparles
Apennins , repréfente exa&emenLun golfe dont
l’entrée regarde l’Orient, & qui reçoit les eaux oe
cette double chaîne de montagnes. L'autre partteei
plus ou moins reOerréeentre la Méditerranée,ou
par l’Adriatique & les di verfes chaînes des Apennins.
Il réfulte de cette fituation de l’ Italie , que les
eaux font abondantes, & que leur cours, gèneu
lement parlant, plus rapide, a befoin d’êtremaitrw
pour ne pas devenir funefte à l’agriculture : ce w I
aux foins particuliers que donnoient les ancien
peuples à la direction des eaux , que l’ Italie #
cette abondance de produits* & par fuite cette nom
breufe population qui, pour quelques-uns, eft encore
un fujet d’étonnement.
Ce fut aufïi à lepoque où les Romains, devenus
(Teffeurs d’immenfes territoires dans les provinces
conquifes en Afrique & en Afie, négligèrent
leurs propriétés de l'Italie , que le cours des
aux abandonné à la nature, convertit en marais
ohilieurs parties de cette belle contrée, &c particulièrement
ce pays des Volfques ii renommé pour
fa fertilité, & à la-place duquel on trouve aujourd'hui
les m a r a i s P o n t i n s .
C’eft encore à la même caufe qu’il faut attribuer
l'exiftence de ces marais fi étendus, qui, commençant
à Ravenne, finilîoient à -Aquilee, & dont
Strabon défigne les villes fous le nom de v i l l e s d e s
M a r a is .
Mais alors les montagnes de 1 Italie étoient encore
couvertes de leurs f o r ê t s , & par conféquent
les eaux de fource & les eaux fuperficielles dans
des rapports favorables à l’agriculture 5 le remède
au mal éroit facile.
De nos jours, au contraire, cet heureux équi^
libre eft abfolument rompu par la deftruétion des !
forêts fur les montagnes & les hautes collinésj &
c’eft à cette caufe unique qu’il faut rapporter
les défaftres de route efpèce que la partie de l’ Ita- j
lie dont nous parlons éprouve chaque année.
Ces montagnes , miles à découvert, font depuis
long-temps expofées aux actions lucceffives
de la gelée, de la chaleur & de la pluie ; ces deux
premières caufes , agiflant d’abord fur la terre vé- ;
gétale, qui fut bientôt entraînée, exercèrent en-
fuite leur aétion fur la partie folide des montagnes.
En effet, la gelée & les chaleurs du printemps font
également éclater les pierres , qui, ainfi détachées
de la mafle & pouflees par les eaux , viennent
envahir les terres deftinéés à l’agriculture.
M. de Rumidon confidère la direction générale
des montagnes de l ’Italie ( la plupart expofées au
midi), la nature des couches qui les conftituenc
& les dégradations qu’elles ont éprouvées, comme
autant de caufes de défaftres arrivés dans cette
contrée. . -
11 décrit les ravages occafionnés par les débor-
demens & atterriflemens des principales nyî^tes
du Piémont, de la Ligurie & des autres parties de
l’Italie. Les meilleures vallées des Apennins y
ont été envahies ou font menacées de l’être par
les torrens. On y voit des populations fe réduire
d’une manière fenfible , à mefure que les eaux
diminuent l’étendue des terres labourables.
Les habitans de la Tofcane, malgré les foins
qu’ils donnent à l’agriculture & la connoiflance
qu’ils ont de cet art, n’ont pas été moins impré-
voyans que la majeure partie des autres peuples de
l’Italie ; comme eux, ils ont détruit la plupart des
forêts de leurs montagnes: aufïi ont-ils à luppor-
ter les maux qu’emra:îne le bouleverfement de l’ordre
établi par la nature.
Lerefte des forêts de l’Italie , livré au caprice des
proprietaires 8c à l’avidité des fpéculateurs , a été
exploité fans règle; on n’a nullement fongé à remplir'les
vides qui s’y faifoient chaque année; on a
même ôté à la nature tout moyen de réparer les
torts des hommes, en arrachant lesfouches des arbres,
qui fe reproduifent par cette voie.
il exifle néanmoins deux lois qui prouvent que
fi l’on n’a pas prévenu ou^arrêté les progrès du
mal, on en a fenti parfois lés conféqùences. La
première de ces lois, rendue dans le dix-feptieme
| fiècie par la république de Gênes , p.r e fer i voit aux
propriétaires des montagnes d’y planter des bois;
elle eft reftée fans effet. La fécondé eft des fouve-
rains du Milanais ; elle condamnoit à la peine de
mort ceux qui détruiroient les bois fur les montagnes
> l’exceflive févérité de cette loi n’aura pas
fans, doute peu contribué à la rendre aufïi inutile
que'la première. ,
Les guerres fréquentes dont l ’Italie a été le
théâtre, peuvent aufïi être comptées dans les caufes
de la deftruétion de fes f o r ê t s , & même dans
celles qui fe font oppofées à leur rétabliflemenr.
L’auteur du Mémoire fait remarquer que les
eaux des Alpes ne font pas moins funeftes à l’Italie
que celles des Apennins, & il énumère les quantités
de terrains enlevés à l’agriculture par l ’Adige,
la Brenta, la Piave -, le Silo & le Tagiiamento. Les
bois touffus 8z élevés qui couvroient autrefois les
flancs des montagnes de cette partie de l’Italie, la
garantifloient des vents qui, paffant aujourd’ hui
fur les neiges qui les couvrent, rendent les hivers
longs & rigoureux. On aperçoit depuis près de
deux fiècles que le changement opéré dans la température
menace plufieurs cultures avantageufes,
notamment celle de l’olivier.
L’extrême dérangement dans le cours des eaux,
qui a été la fuite de la deftruttion des f o r ê t s , a
porté aufiï une grande atteinte à la falubrité de
l’air dans les pays fitués au-delà des Alpes & en
Italie. Les parties de ces pays où les vents ont
l’ accès le plus facile, font bordées de marais dont
les miafmes fonepouflesau milieu des terres fîtuees
près de la Medftérranéè par tous les vents, celui
i du nord excepté , & dans l’ efpace compris entre
l’Adriatique & les Alpes occidentales, par tous
ceux qui viennent de l’eft. En effet, les terres
baffes du Littoral, depuis la partie occidentale de
la Ligurie jufqu’aux frontières du royaume de
Naples, font très-humides ou marécageufes.
Il s’ en faut bien que les royaumes de Naples &
des Deux-Siciles éprouvent les mêmes déiaflres
que ceux qui ont affeété le refte de l’ Italie. Ils
doivent cet avantage à la confervation de la plupart
de leurs f o r ê t s fur les montagnes.
De tout ce qui précède, il réfulte que la def-
truéfcion des f o r ê t s fur les montagnes, renverfant
abfolument l’ordre établi par la nature pour le
cours des eaux, enrraîne la ruine de l’agriculture,
détruit les communications fi néceflaires au commerce,
& fait perdre à l’air fa falubrité.