
tent & le dégradent; il tombe en ruine, & fes
débris s’accumulent à la bafe des montagnes. Le mal
■ eft irréparable les forêts bannies des hautes cimes
n’y remontent jamais ; les lavanges & les éboule-
mens qui Ce renouvellent chaque année, changent
bientôt en des défeits fauvages des vallées popu-
ieufes & floriffantes.
Lorfqu’ un pays eft déboifé, les privations arrivent
en foule : les arts s'éteignent faute de matières
premières ; les forges deviennent inadtives
& biffent fans emploi les minéraux renfermes dans
le fein de la terre ; l’agriculture eft tarie dans fa
fource > la vigne n’a plus d’abris, pius de tuteurs,
& le peu de vin qu'elle produir, manque de vaif-
feaux pour le contenir ; les animaux, privés de pâturage
fur une terre aride, ceffentd offrirai homme
leur coopération à les travaux ou leurs dépouilles
à fes befoins ; le chauffage & la cuiffon des a iinens
deviennent l’objet d’exceflîves dépènfes, & ne
trouvent fouvent de rellources que dans le s com-,
buiiibiês minéraux , rellources qui n ont pas,
comme les bois, la faculté de fe reproduire; enfin,
tous les genres d’induftrie & tous les bwfoins de la
fociéte fcmblent menacés quand l’imprudence & la
cupidité portent leurs excès" fur le fol foreftier.
Ces tableaux , dont l'effrayante vérité eft attef-
tée par des monumens hiftoriques , ne font point
inconnus dans plufieurs parties de la France,
où d'imménfes plaines de bruyères & de fables
offrent encore quelques traces des bois qui les re-
couvroient dans des temps reculés. Les ci-devant
provinces de la Gafcogne, du Languedoc , de la
Bretagne, de l’Orléanois, de la Champagne, & c .,
en fourniffent le témoignage irrécufable.
Les confédérations que nous venons de présenter
fur l'utilité des forê ts & des arbres en général,
nous conduifent à parler des hommages dont ils
furent l’objet en ditftrens temps & en differens
lieux. -
Tout entier aux befoins phyfiques , 1 homme
primitif ne dut s’occuper d’abord que de ce qui
pouvoit fatisfaire fes befoins, & furtout la faim ,
le premier, le plus impérieux de tous. L’ arbre qui
donne le fruit a pu avoir été adoré, même avant
le foleil , dont l ’influence vivifiante le mûrit,
mais dont le bienfait eft moins immédiat & moin>
fenfible. Les hommages rendus aux arbres furent
donc l'effet de la reconnoiffance des premiers
hommes, qui curent à ces végétaux leurs ali me ns,
leurs lits & leurs vêtemens.
La majefté filencieufe des forêts les avoit fait
cho fir comme les lieux les plus convenables pour
honorer la Divinité. Elles furent les premiers temples
où les peuples lui adreffèrent leurs voeux & implorèrent
la prote&ion (1 ). P re fq u e toutes les nations
anciennes eurent leurs bois facrés, & il n y
avoit guère de temple qui ne fut accompagne d un
bois dédié an dieu qu*on y adoroit; telle fut la cé-
lèbre fo rê t de Dodone,confacrée à Jupiter, & dont
les chênes rendoient des oracles. Du temps de
Pline, cette ancienne coutume pieufe étoit encore
imitée par les habitans des campagnes , qui coula,
croient à la Divinité le plus bel arbre de chaque canton.
«Nous-mêmes, dit cet auteur, nous nerefpec-
» tons pas moins lès bois facrés & le religieux lî-
» lence qui y règne , que les riches fl a tues d'or & j
»» d’ivoire qui nous repréfentent les dieux. » Ce '
refpeéi, cette crainte rcligieufe qu’infpirent les forêts,
comme étant le léjour de la Divinité, font dé- !
peints par Lucain, lorfqu’il repréfente les loldatsde j
Céfar n’ofant , par fcrupule, abattre la forêt de
Marfeille , ou lorfqu’ il reprefente le druide lui-
même craignant d’ y rencontrer fes dieux.
Les arbres étoient confacrés à des divinités particulières,
comme le chêne à Jupiter, qui hit adoré
lous le nom d e J u p i t e r Arb el ( arbre ) , Ju p it e r fo -
r e p e r ; le laurier à Apollon ; l’olivier à Minerve;
le myrte à Vénus; le peuplier à Hercule. C ’étoit
d’ai leurs une croyance accréditée, que comme le
Ciel avoit fes divinités propres & Ipéciales, les
bois avoient pareillement les leurs, qui étoient
les Faunes , les Sylvains, les Dryades & les Hama-
dryades (1). La chaffe avoit pour déeffe l’auflète
Diane, qui, fuivie d'une meute de chiens, ne for-
toit point de l’enceinte des f o r ê t s .
Ces fictions religieufes , en atteftant la vénération
réelle des Anciens pour les plus belles & les
plus majeftueufes productions de la nature, prouvent
suffi l'importance qu’ ils attachoient à leur
confervation dans l’intérêt de la fociété. Nous
avons vu les funeftesréfultats qui, dans la Grèce,
ont fuivi l'oubli de ces idées confervatrices auxquelles
la religion prêtoit fon appui.
Nos ancêtres avoient aufli établi burs temples
dans l'enceinte dès fo r ê t s } c’eft au milieu de celles
de la Germanie &! des Gaules, au pied des chênes
antiques, que les prêtres célébroient leur culte
& préfentoient leurs offrandes aux dieux qu ils
adoroient. Quoi de plus propre, en effet, à pénétrer
l'ame d’ idées religieufes, quel’ombrage d une
vieilleforêtJ C ’eft là, quému malgré lui-même,
& fai fi d’une terreur fubite, l’homme croit entendre
la voix du Créateur dans le filence myftérieux
de la nature.
Les Celtes, fuivant Maxime de T y r , choiM-
foi^nt un chêne très-haut qui devenoit pour eux
i’image de la Divinité fuprême (2). Nous avons vu
que Pline parle auffi du même ufage, commun de
fon temps dans les campagnes.
Suivant un traité D é î d o l a t r i â , compofé en 1 5*7>
par Léonard Rubenus, moine allemand, les Efto-
niens, qui habitent vers les confins de la Livonie,
avoient encore, à cette époque , l’ ufage de conu-
( 1) H xc fiicre nwninum templa. Plin. Uv. XXI.
( i l Plin, )iv. X I I .
(2) Pier. Yaler. Hieroglyph.
e- à la Divinité des arbres élevés, qu’ils deco- roient de pièces d'étoffes fu (pendue s à leurs branches.
Pallas a retrouvé' le. même ufage chez les
^IvL Marquis, dans fes R e c h e r c h e s h if t o r iq u e s
fur le . c h ê n e , en rapportant ces faits, obferve qu’il
eft impoffible de ne pas reconnoître.un refte de la
vénération des anciens Celtes pour les arbres ;
mais, ajoute-t-il, le chêne parole avoir eu le plus
départ au refped religieux de ces peuples. Ils
avoient furtout une vénération-particulière pour
les chênes fur lefquels ils trouvoient du gui.
V Pline décrit, avec l’élégance de ftyle qui caracte-
rife fes ouvrages, la cérémonie qui avoir lieu chez
L$ Gaulois, au commencement de leur a,nnée_, qui
arrivoit au folftice d’hiver, lorfque L s druides,
en même temps philofophes, prêtres & migiftrats,:
accompagnés de tout le peuple, fe rendoient fo-
lennellement dans une forêt, pour cueillir le 'gui
du chêne, infiniment plus rare que celui des autres
oéle&ioq (2).. , . .
Lorfque les chofes néceffaires pour le lacrmce
& le feffin étoient préparées fous le chêne, on y
amenoit deux taureaux b l a n c s , qui n’avoient jamais
été fous le joug. Le prêtre , vêtu d’une robe
blanche & armé d’ une ferpe d’or, montoit fur
l'arbre & coupoit le gui, que l ’on recevoir dans
une cafaque blanche. Enfuite les druides immo-
loient les vidimés & prioient Dieu de leur rendre ;
urile ,& profitable le préfent qu’ il leur avoir fait.
Ils croyoient que ce gui donnoit la fécondité à
tous les animaux ftériles, & que c ’étoit un antidote
contre toute forte de poifon ( o r n n i a f a n a n -
te rni : tant eft grande, s’écrie le naturalise romain,
la fuperltition des peuples , qui leur fait refpeéter
les chofes les plus frivoles (3) ! .
Ces cérémonies ont été décritesaufli par Jacob
Vanicr, auteur du P r & d iu m r u f l i c u m , dans un paf-
fige.où le poète diflerte d’ ailleurs û’ une manière
inftrudive fur l’origine du gu i, & où il rapporte
que les druides mêloîent le fang humain à leurs
facr-ifices (4). . - ;
t Les druidts , dont l’hiftoire fe rattache fi particulièrement
à celle de nos plus anciennes fo rêts,
dévoient fans doute la grande autorité qu ils
avoient acquife i à leur éloignement de la vie fo-
ciale. Ils faif.oienr leur demeure habituelle dans la
profondeur des forêts, où ils méditoient fur les
dédiions qu’ils avoient à rendre dans tour ce qui
intérdîoit.la religion , les études & la juftice. La
psine de ceux qui.ne leur.obéiifoient pas-étoit une
(i) Paillas , com.. V , pag. i 5,2.
\'i) Signum zletLt ab ipfo Deo arboris. Plin. lib. X V I ,
caP- j 4- ' . . . , r
(3) Tanta gentium in rebus frivolis plerumquè religio eje.
ri>n lib. X V I , cap. 44 .
(4) ■ . . . . & humaço euftros fcçdare cruore,.
efpèce d’excommunication, qui les excluoit des
facrifices & les faifoit - pa-lïer pour des impies
que tout le monde fuyoit.
« Le mot a ig u illa n , dit M. Marquis, que 1 on
emploie encore pour celui d‘ étre;mes dans certaines
provinces, rappeilele cri au gui ta n n eu f, dont 1 air
retentiffoit pendant la cérémonie gauloife, & qui
eft cité & traduit par Ovide, dans là vers fuivanc
de fon poème des Faftes :
Ad vifeum druidte , druidx clamare folebant.
» Sébaftien Rouillatd, dans fa Parthénie ou
Hî/ioire de Chartres, prétend très-férieufetmentque
les druides celtiques ne révéroient le chêne, que
comme emblème de la croix qui dévoie un jour en
être' faite, & le gui, que comme l’image du
Chrift qui devoit y être attaché par la fuite. Sébaftien
Rouillard prodigue toute l’ érudition de fon
temps, pour appuyer ces étranges rêveries, dont
la piété, louable d’ailleurs, qui les infpire, ne
peutf certainement exeufer la bizarrerie.
sj Les chênes dont le feuillage épais formoit la
voûte des temples celtique*:, avoient donné leur
nom aux prêtres de cette nation. Pline (1) n a pu
s’empêcher de reconnoître dans le non des drui-
des le mot grec Apo?, chêne, qui eft vifiblement
le même que Deru, nom de cet arbre dans la
langue des Celtes, & qui lignifie encore aujourd’hui
la même chofe dans le langage breton, refte
de l’ancien celtique (a). Telle eft l'origine commune
des noms de Dryades & d’Hamadryades,
que les Grecs donnaient aux nymphes .dont leur
brillante imagination peup’oit les f o r ê t s , &
qu’elle faifoitvivre fous l’écorce des arboes, & de
celui de Gruyer ou Druyer qu’on donnoit encore
en France, il y a peu d’années, à certains prépo-
fés a la confervation des bois.
« Une ville de Thrace , une autre de l’CEap-
thrie, un bourg de L y cie, portoient anciennement
le nom de Apu?, fans doute à caufe d e s f o rêts
de chênes qui les environnoiept ($).
w Ces mots, Apv? & Deru , font encore faciles a
reconnoître dans.le nom d’une des plus anciennes
villes de France, Dreux (4), qui le doit fans doute aux mêmes çirconftances locales, & dont la pofi-
tion s’accorde parfaitement avec Fexpreffion in
finibus Carmetum qu’emploie Cefar (O i pour défi-
gner le lieu où les druides s affembloient annuel-
(1) Plin. , ubi fuprà.
(2) Saint- Poix.
(3 ) Calep. Üi£t. ‘
(4) Cetce ville-eut long-temps: pour armes, ou plutôt pour
devife, car ceci remonte à.des temps plus reculés que lesxcoi-
fades, époque de l’ invention des armoiries proprement dites,
un chêne chargé de gui avec ces mots : Au gui l'an neuf. E n
adoptant depuis les armes xV Agnès ffe Brayie , fet^nae de
Robert I er.., comte de Dreux, fils du. roi LouisfferCrros, ,on
les entoura de branches de chêne pour confcrver Je fouyenir
de ce premier iymbole. Un village voifin porie, encore le
nom de Rouvres , à Roberibus.
{51 De B e ll.. G ail. , liv. V I , çliap. i 3..
P p p 2
j