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rogé le grand livre de la n a tu re ; ils au ra ien t fouillé ces
mêmes bancs, nés d ’un cataclysme déjà si loin d ’eux;
ils y a u ra ien t tro u v é ce que nous y trouvons, ces débris
de races é te in te s , ces grands mammifères inconnus,
étran g es pour eux comme ils l’ont été po u r nous. Ces
haches leu r eussent révélé un peuple dont ils n ’avaient
pas même soupçonné l’existence. Enfin, Messieurs, ces
q u aran te siècles qui se sont écoulés depuis l’époque où
vivaient ces antiques h ab itan ts de Ninive et ces quarante
au tre s qui vont s’écouler en tre nous e t un au tre peuple
p o u r qui, à n o tre to u r, nous serons les Ninivites ou l’antiq
u ité la plus reculée, cette période de h u it mille ans ne
sera p o u rta n t qu ’un p oint dans l’h istoire de l’homme.
Étudions-la donc, mais comme elle doit l’être. Sortons
du cercle é tro it tracé p a r la ro u tin e, et ne limitons pas
la puissance de Dieu en la m esu ran t à n o tre faiblesse.
P o u r lui, que sont les siècles? Que sont-ils même pour
nous dès que, croyant à l’âme, nous ne voyons plus la
vie dans ces quelques jo u rs qui nous sont donnés su r la
te r r e ? Rappelons-nous que Dieu créa l’homme à son
image, mais à son image divine, et répétons que Dieu
étern el a fait l’homme é t e r n e l .
Lorsque l’é ternité et l’espace sont là devant nous, ne
craignons plus de re g a rd e r en a rriè re ; remontons dans
le p assé: c’est seulement ainsi que nous pourrons mesu
re r l’avenir. De cette te rre nous connaissons l’enveloppe,
voyons ce qu ’elle nous cache ; ne nous bornons
p a s , comme la poule, à g ra tte r la poussière pour en
e x tra ire un v ermisseau; in terrogeons ses e n tra ille s: le
sondage des mers, le percement des montagnes, le creusement
des is thm e s, enfin ces tra v a u x d ’a rt les plus
g ran d s que l’industrie humaine a it p e u t- ê tr e jamais
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conçus, offrent en ce moment au x an tiq u aires et aux géologues
(1) des moyens d ’études qui ne se rep ré sen te ro n t
de longtemps. C’est au x amis des sciences à en profiter.
Peut-être serait-il utile q u ’une commission fût nommée
pour suivre ces g ran d s remaniements de te rra in s , et
que des instructions fussent données à ceux qui les d irigent
(2), que des p rim e s, que des médailles fussent
accordées au x co n tre-m aîtres et au x ouvriers qui les
mériteraient p a r des découvertes ou le concours q u ’ils
auraient apporté au x recherches. Ce n ’est, Messieurs,
vous le savez, que p a r des soins analogues, dans la
(1) C’est pour exprimer cette double qualité que l’auteur a
imaginé ce mot : a rch éo g éo lo g ie , désignant ainsi cette science nouvelle
ou l’étude de la géologie appliquée à l’histoire de l’enfance
de l’homme et de ses premiers pas dans les arts et l’industrie.
(2) Le percement dé l’isthme de Suez peut, si les terrains superposés
sont soigneusement explorés, conduire à de grandes
découvertes, non-seulement en archéologie, mais en histoire naturelle
, en géologie, en paléontologie, en anthropologie : là
encore on doit trouver l’homme antédiluvien.
On le retrouverait aussi sous l’ancien sol de Ninive, si les antiquaires
qui y font des fouilles, ne se bornant pas aux monuments
de la civilisation, voulaient pousser leurs sondages à quelques
mètres àû-dessous de ce sol qu’ont foulé leè Assyriens. Là ils
rencontreraient les traces du peuple qui les a devancés, car les
chaumières ont partout précédé les palais, comme la hutte ou la
tente a précédé la chaumière. Un mètre plus bas encore, ils arriveraient
au gissement de la faune éteinte, et là aussi, avec les
débris de ces grands mammifères, s’ils ne trouvaient pas ceux de
1 homme, ils y verraient les traces de ses premiers pas sur la
terre. L’étage supérieur leur avait fourni des chefs-d’oeuvre, l’étage
d’en bas leur montrera ce qui y a conduit: les arts de la nécessité
°u l’industrie primitive.