
Ne dédaignons donc pas ces premiers essais de nos
pères; ne les repoussons pas du pied; s’ils ne les avaient
pas faits ou s’ils n’avaient pas persévéré dans leurs
efforts, nous n’aurions ni nos villes, ni nos palais, ni ces
chefs-d’oeuvre qu’on y admire. Le premier qui frappa
un caillou contre un autre pour en régulariser la forme,
donnait le premier coup de ciseau qui a fait la Minerve
et tous les marbres du Parthénon.
Ainsi l’homme primitif a eu ses images, ses symboles
et ses signes. Était-ce des traces qu’il dessinait sur le
sable, ou des fragments de bois, de roche, d’os, auxquels
il donnait une forme déterminée, ou qu’il choisissait
parmi les pierres brutes et leurs brisures quand elles
avaient naturellement cette forme? (1 ). L’un et l’autre
sont probables, et en ceci il n’aurait rien fait que ne fasse
encore aujourd’hui le sauvage, et même nos enfants
dans leurs jeux, sans qne personne le leur enseigne.
Tous les hommes naissent sculpteurs, dessinateurs et
peintres; tous aiment à représenter ce qu’ils voient.
Le goût des arts, issu du penchant à l’imitation, est
commun à tous; partout où on l’encourage, il prend un
développement rapide, et les oeuvres de certains barbares
prouvent qu’un peuple peut être artiste et poète avant
d’être civilisé.
L’homme n’est donc pas né stupide, et le jour qu’il
sortit des mains du Créateur il n’était pas, plus qu’au-
(1 ) Il e s t à c ro ire q u e c e r ta in e p é tr ifica tio n , n o tam m en t les
o u r s in s q u ’on r en co n tr e d an s to u s le s pa y s o ù il y a d e s b a n c s de
cra ie o u d e s d é p ô ts de d ilu v ium , o n t s erv i de s ig n e s d e reconn
a is s a n c e , d ’é ch a n g e , de m on n a ie p e u t -ê tr e , d è s l e - p r in c ip e du
m o n d e . Chez le s R om a in s, ils é ta ie n t l’o b je t d ’une a tten tio n su p
e r s t itie u s e : ils le s o n t en c o re a u jo u rd ’h u i ch e z n o s p a y sa n s .
jourd’hui, en dehors de la raison, ni plus enfant que nos
enfants. Dès qu’il eût ouvert les yeux et qu’il put remuer
la main, il a fait ce que nous faisons. Il l’a fait moins
bien, sans doute, il n’avait ni bons outils, ni bons
modèles, mais il l’a fait comme il l’a pu, et peut-être pas
si mal qu’on pourrait le croire, puisque ce qu’il en reste,
n’en est certainement que la moindre partie, et qu’en
raison de la dureté de la matière, elle se prêtait le moins
à l’exécution et à l’achèvement de l’oeuvre.
Pardonnez-moi, Messieurs, cette longue argumentation
: voici bien des phrases pour démontrer des choses
toutes simples et qui n’auraient, selon moi, jamais dû
être mises en question, car en définitive de quoi s’agit-il?
De savoir: — 4° Si les premiers hommes pensaient;
2 ° S’ils parlaient ;
3° S’ils travaillaient.
Or si l’on nous répond affirmativement, il faudra bien
en venir à ces conclusions :
Puisqu’ils parlaient, ils avaient des mots, et des signes
pour se les transmettre quand leur voix était insuffisante
;
Puisqu’ils travaillaient, ils avaient des outils.
Tout outil annonce une oeuvre.
Eh bien! ce sont ces mots ou les signes qui les représentent,
ce sont ces outils et les oeuvres qu’ils servaient
à faire que nous avons cherchés et que nous avons
trouvés
Cette trouvaille, si l’on a pesé ce qui précède, était
facile à prévoir; elle n’a donc rien de surprenant. Ce
qui, à plus juste titre, pourrait surprendre ici, c’est
qu’on ne l’ait pas faite plus tôt, ou si on l’a faite, qu’on
n’en ait tiré aucune conséquence.