
transmettre les faits, ou ce qui passait pour tels, la tradition historique
se servait du récit (goth. spell; norr. saga). La tradition morale
et juridique qui avait à transmettre des préceptes, des règles
et des maximes, prit naturellement la forme sententieuse et gno-
mique (cf. les Sentences d’Anacharsis)K Ensuite, afin que l’on pût
retenir plus facilement dans la mémoire les sentences, les lois et
les formules juridiques, non-seulement on les récitait, ou déclamait
(goth. singvan, réciter, déclamer, chanter) de temps à autre
en public, comme cela se pratiquait, par exemple, chez les Aga-
thurses pour les lois, mais on employait aussi l’allitération (v.
Poèmes isl., p. 126) afin de relier entre eux les mots sacramentaux
(v. Grimm., Rechlsalterlh., p. 6, suiv.). Enfin pour mieux inculquer
les vérités morales, et afin de frapper fortement l’imagination et
le sentiment, ou pour mieux persuader ou dissuader, on employait
souvent la forme symbolique ou énigmatique (goth. fns-ahls-; cf.
v. ail. freis-acht, épreuve d’attention). Cette forme consistait d’abord
dans une action emblématique dont la signification ressortait d elle-
même d’une manière plus ou moins évidente. Ainsi, par exemple,
pour faire savoir au roi Darius que, s’il ne s’échappe pas aussi
vite qu’un oiseau dans l’air, qu’une grenouille dans leau, et
qu’une souris sous la terre, il périra par les flèches, le roi des
Scythes lui envoya simplement un oiseau, une grenouille, une
souris et cinq flèches (cf. § 184). Le plus souvent cette actionl
emblématique était accompagnée de quelques paroles qui en énonçaient
la signification. C’est ainsi que pour inculquer à ses cinquante
fils que l’union fait la force, le roi scythe Skîlvarus (Garde-
Justice) prit un faisceau de flèches, et leur montra que ces flèches
ainsi réunies en faisceau ne pouvaient être courbées, mais que
chacune d’elles pouvait être brisée séparément fPlutarch.,
Moral.).- i os êrji&iI fepit l ht flORihsT - *
Le roi gète Dromichaïtès (v. p. 39), pour faire sentir au roi de
Macédoine Lusimaclios, devenu son prisonnier, qu’il avait eu
tort d’entreprendre une guerre contre un peuple pauvre, comme
l’étaient les Gèles, invita ce roi à un repas de sacrifice où il y eut
deux espèces de services. Lusimachos et ses compagnons, assis sur
de beaux tapis pris aux Macédoniens vaincus, eurent des mets
Voy. Les Chants de Soi, p. C7.
délicats et d’excellents vins servis dans des plats et dans des coupes
d’or et d’argent. A une autre table, Dromichaïtès et les siens, assis
sur de simples nattes, mangeaient des mets grossiers servis dans
des plats de bois, et buvaient, dans des cornes, un vin ordinaire.
A la fin du repas, le roi gète demanda au chef macédonien, quelle
table était la meilleure, celle servie à la macédonienne, ou celle
servie à la gète. Lorsque Lusimachos eut dit que la table à laquelle
on l’avait servi était plus riche et meilleure, Dromichaïtès lui fit
remarquer qu’il aurait dû s’abstenir de faire la guerre à un peuple
pauvre, et vivant d’une manière bien moins agréable qu’on ne le
faisait en Macédoine.
Chez les Scandinaves nous voyons Randver, le fils du roi lor-
munrek, au moment où, par ordre de son père, il devait être
pendu, arracher à son faucon les plumes et les pennes, et l’envoyer,
dans cet état piteux, à son père pour lui signifier que
désormais, vieux et privé de son fils, ce roi ressemblera à ce
faucon, et sera, comme lui, incapable de prendre dorénavant
son essor (Snorra-Edda, p. 143; Volsunga-saga, chap. 20).
Quelquefois on substituait à l’action emblématique un récit allégorique,
lequel prit, ou bien la forme de la Similitude (goth. gajuko,
conjointe, comparée), quand on en énonçait en même temps la signi-
ficalion, ou bien la forme de la Parabole énigmatique (goth. frisahts),
quand la signification n’était pas énoncée explicitement. L’allitération
et la forme symbolique étant usitées et dans la poésie et dans
la tradition, et celle-là s’emparant peu à peu de presque tous les
sujets de celle-ci, il arriva que, par le fond et par la forme, la
poésie se confondit en grande partie avec la tradition. Dès lors,
malgré l’antithèse qui existe entre la poésie et la science ou l’enseignement,
il se forma une poésie-science ou une poésie didactique
qui traitait les sujets de la tradition; et la tradition à son tour, ne
se renfermant plus dans la forme didactique pure, prit aussi dans
beaucoup de cas, les différentes formes de la poésie. C’est ainsi que
les traditions morales et historiques se transmettaient sous la forme
d un récit en vers (norr. kvida, v. Les Chants de Sol, p. 28). Pour
tendre ce récit poétique plus intéressant, on lui donnait la forme
dialoguée qui le rapprocha des Dits poétiques (norr. mal). Ensuite,
Pour donner à ce récit dialogué tout l’intérêt du drame, on représentait
l’action comme une lutte ou un combat à mort, ou comme un