
qu’il existe une série d’oeuvres et de faits qui ont été
sont et seront toujours les mêmes chez tous les peuples,
à quelque degré de civilisation ou de barbarie qu’ils
soient. Sans doute ces faits et ces oeuvres varient dans
leurs formes, mais partout l’intention ou le but reste
identique. — Pourquoi? — C’est que ces faits comme ces
oeuvres sont la conséquence nécessaire de notre position,
de notre constitution physique et aussi de nos besoins
moraux. 11 est donc certains objets qu’un homme, à une
époque quelconque de sa vie, a eu en sa possession ou
tout au moins à sa disposition. Ainsi tous les êtres
humains, même ces sauvages qu’on accuse de vivre dans
une nudité complète, ont un vêtement ou quelque chose
qu’ils considèrent comme tel, dont la destination est
sinon de les couvrir, du moins de les orner ; ils possèdent
une parure, ou si ce ne sont eux, ce sont leurs
filles, leurs femmes: elles auront une coiffure, un collier,
des bracelets, des pendants d’oreilles, etc.
Jamais homme non plus n’a vécu sans être ou avoir
été possesseur d’une arme, ne fût-ce qu’une massue ou
un bâton, car s’armer est la conséquence de la peur
plus encore que de la haine ou de l’envie, et cette peur
quel homme ne l’a jamais éprouvée?
Il a eu aussi plusieurs meubles ou ustensiles : une
coquille, une calebasse ou la coque d’une noix pour
puiser l’eau;
Un couteau à découper la viande ou les végétaux dont
il se nourrit;
Un autre pour raccourcir sa barbe, ses cheveux, ses
ongles, quand, par leur longueur, ils ont gêné ses
mouvements;
Une hache ou un coin pour tailler ou fendre le bois
nécessaire à son foyer, car on n’a pas encore rencontré
d’être humain qui n’ait connu l’usage du feu ;
Un marteau propre à briser les os dont il suçait la
moelle, et le noyau dont il mangeait l’amande.
Si l’on nie ceci, si l’on prétend que je donne bien
gratuitement un ameublement à l’homme à peine sorti
de sa crèche; si l’on veut qu’il n’ait eu, comme les bêtes,
que ses dents pour armes, ses ongles pour outils, sa peau
pour vêtements et la terre pour lit, je demanderai quelle
différence voyez-vous entre lui et cette bête? S’il n’a
pas eu, dès que le besoin et le danger se sont fait sentir,
l’intelligence de comprendre ce qu’il lui fallait pour
satisfaire l’un et se défendre de l’autre, pourquoi l’aurait
il compris plus tard?
Mais il l’a compris dès qu’il a eu la conscience de
sa faiblesse, et le premier emploi qu’il a fait de sa
raison, a été de se créer les moyens d’y suppléer, de se
procurer un asile, de se pourvoir d’armes pour repousser
l’ennemi qui aurait pu le lui disputer, de se munir d’une
pierre pour la lui lancer, d’un bâton pour l’en frapper,
et, s’il n’avait ni l’une ni l’autre, de le chercher, d’arracher
cette pierre au rocher, ce bâton à la terre, et de les
rendre propres à l’usage qu’il en voulait faire.
Quand pressé par la faim, dans la saison où les
arbres sont sans fruits et les bois sans gibier, il a dû
creuser cette terre pour en extraire la racine indispensable
à son repas; quand cette nécessité de manger
s’est renouvelée tous les jours avec les mêmes difficultés
et qu’il a senti l’insuffisance de ses ongles, il n’a pu
manquer de prendre un os, une écaille, un morceau de
bois qu’il a aiguisé pour fouiller ce sol trop dur pour
sa main : ce fut là son premier outil.