
CINQUIÈME PARTIE,
tiquité, les praliques religieuses reposent rarement sur des idées
claires et précises. Les idées religieuses, n’étant pas nettement déterminées,
les pratiques religieuses qui en sont les expressions,
se confondent souvent entre elles d’une manière singulière. C’est
ce qui se voit, par exemple, dans les consécrations telles qu’elles
se pratiquaient, dans cette période, chez les peuples germaniques
et Scandinaves. Bien que les sacrifices et les consécrations se soient
confondus ensemble (v. p. 274), on peut cependant encore facilement
reconnaître que tous les sacrifices de victimes humaines
étaient imités des consécrations antérieurement usitées. Mais ces
consécrations ont pris entièrement le caractère d’un sacrifice. C’est
ainsi, par exemple, que, pour obtenir la victoire sur les lomsvikings,
Hakon, le comte (Iarl), sacrifia à Thôrgerdur et à Irpa son propre fils
Erling, âgé de sept ans. Évidemment ce don ou sacrifice devait, dans
la pensée de Hakon, avoir pour effet de déterminer le Destin ou ses
divinités protectrices en faveur de ce qu’il leur demandait. L’enfant
Erling était donc sacrifié comme une victime, il n’était pas
simplement consacré au service de quelque divinité ; et cependant
ce sacrifice n’a pas été autre chose qu’une imitation des consécrations
usitées chez les Gèles et chez les Scythes. Dans l’origine la consécration
étant un don fait à la Divinité d’un être humain destiné à la
servir dans l’autre monde, on ne consacrait aux dieux que des
personnes qui pouvaient leur être agréables ou utiles. C’est ainsi,
par exemple, que les esclaves qui avaient accompagné le convoi
de la déesse Nerthus étaient précipités dans le lac qu’habitait cette
déesse (v. p. 246) , afin de continuer à la servir, dans sa demeure
au fond du lac, comme ils l’avaient fait sur terre (Germ., XL). Mais
plus tard on consacrait aux Divinités aussi des individus qui leur
étaient odieux; on sacrifia, en quelque sorte, à leur haine ceux
qu’on soupçonnait de se l’être attirée. Déjà chez les Scythes, les
Vênvares (Hérod., Enares), bien qu’ils fussent odieux à Artin-paza,
étaient cependant consacrés à cette déesse (v. p. 208), de sorte que
cette consécration n’avait pas le caractère d’une bénédiction, mais
plutôt d’une malédiction. Voilà pourquoi, chez les peuples de la
branche gèle, et surtout chez les peuples germaniques et Scandinaves,
l'expression de béni prit aussi le sens de maudit (cf. gavaih-
taï, p. 47). On sacrifiait aux divinités même les criminels qu’on devait
regarder comme leur étant odieux; et ces sacrifices, qui, au point de
L E S CONSÉCRATIONS ET LE S SACRIFICES,
vue de la justice, auraient dû être des exécutions, étaient à la fois
des sacrifices, des consécrations et des expiations (cf. Wachter, Hal-
lische Encyclop., art. Opfer, p. 94). Cependant la mise à mort des
criminels n’avait pas pour but la satisfaction morale à donner aux
dieux par cette mort expiatoire; elle n’était que le moyen d’envoyer
aux dieux, ou de consacrer à leur service, ces coupables, qui ne différaient
des autres Consacrés qu’en ce qu’ils n’étaient pas appelés ,
comme ceux-ci, à devenir, dans l’autre monde, des serviteurs libres,
mais qu’ils étaient coudamnés à faire, dans le ciel, comme de vils esclaves,
les travaux pénibles des serfs. Voilà pourquoi ces criminels
qu’on sacrifiait aux dieux, avant d’être mis à mort, furent d’abord
mutilés dans quelque partie de leur corps , afin qu’ils fussent
de cette manière assimilés aux serfs, qui, chez les Scythes (v.
p. 103), chez les Gèles e.t chez les Scandinaves (v. p. 104), étaient généralement
forcés de subir ces mutilations corporelles (cf. stufa,
nufa), indices de leur qualité d’esclavesl. Dans certains cas, les rois
mêmes furent condamnés à servir comme esclaves dans l’autre vie.
En effet, comme les chefs de tribus et les rois se faisaient passer
pour des fils ou des amis des dieux (v. p. 272), on attribuait la fertilité
de la terre et le bonheur du peuple, à la faveur dont ces chefs
jouissaient auprès de ces divinités; et par conséquent, lorsque le
peuple était affligé de disette ou de quelque malheur public, on s’en
prenait, également, au roi et on l’en rendait responsable, parce qu on
supposait qu’il avait mérité la haine de la Divinité et attiré par là le
malheur sur son peuple. Dans ces circonstances, les Burgondes,
entre autres, se bornaient à destituer leur roi, qu’ils nommaient l’ü-
nique (Hendinus; cf. russe êdiny; polon. iedyny), sans toucher à l’ar-
chiprêtre, appelé Sinistus (v. p. 273), qui était inviolable; mais les
Scandinaves allaient, dans ces cas, j usqu’à sacrifier les rois aux dieux
courroucés. C’est ainsi, par exemple, que, lors d’une disette qui
1 Les sacrifices ou les consécrations de criminels étaient nommées , che2 les
Germains, Nemidas, sans doute parce qu’elles avaient lieu aux fêtes qui étaient
appelées Nemidas, d’après les députations (norr. nemndir) des tribus du même
sang, qui se réunissaient, à certaines époques, dans un but religieux et judiciaire.
«Les Semnones ont une forêt, consacrée dès longtemps par les augures
«de leurs pères et par une pieuse terreur ; c’est la , qu à des époques marquées,
« tous les peuples du même sang se reunissent par députations, et ouvrent, en
«immolant un homme, les horribles cérémonies d’un culte barbare.» (Taché,
Germ., 39.)