
assaut de science ou de savoir (v. ibid., p. 156). Enfin pour augmenter
l'intérêt de cette lutte par l’idée des chances que courraient les
jouteurs, on présentait sous formed'énigmes (norr. gelur; v. h. ail.
tunchli, obscurité) les questions auxquelles les joûteurs avaient à répondre
pour prouver leur science (v. ibid., p. 157). C’est ainsi que
pour augmenter l’intérêt poétique, la forme obscure, alambiquée,-
énigmatique, qui répugne à l’enseignement, fut néanmoins employée
quelquefois dans la tradition, dans la poésie et dans la science. Aussi
la tradition a-t-elle affectionné l’usage de ces formes mystérieuses
et mystiques, d’autant plus que,,par suite de son esprit jaloux , la
science évitait les formes accessibles et intelligibles à tout le monde,
et préférait s’envelopper de formes énigmatiques (v. Chants de Sol,
p. 459). De là, chez les Scandinaves, le mot même de rûne, qui, dans
l’origine, signifiait simplement tradition (sansc. çravanâ audition,
auscultation; norr. hrûna, runa), mais qui prit de plus en plus la
signification de tradition secrète ou de mystère, au point que ce mot
de rûnar (runes) désigna plus tard toute la Science traditionnelle des
Scandinaves.
C. FOND DE LA TRADITION.
§ §5. lie foml traditionnel de la science, —Bien que les
usages et les moeurs, dont nous avons traité ci-dessus (v. p. 88 à 428),
et la religion que nous avons bientôt à faire connaître, soient aussi
une tradition vivante, nous entendons cependant traiter ici seulement
du fond traditionnel delà doctrine ou de l’enseignement qui
constituait ce qu’on peut appeler le savoir ou la science des peuples
d’origine scythe. La science étant, à vrai dire, essentiellement
conception, par la pensée, de ce qui est ou de la vérité, et portant
par cela même un caractère purement théorique sans but pratique,
il n’y a que les esprits supérieurs qui puissent s’y intéresser à ce
point de vue purement théorique. Aussi de tout temps la majorité
des hommes ne se sont ils intéressés à la science que parce qu’ils y
ont cherché, ou bien un moyen, un guide, pour agir, ou bien des
avantages ou des résultats pratiques. .C’est pourquoi, dans les langues
d’origine scythe, le mot qui signifiait savoir est dérivé originairement
d’un thème qui signifiait pouvoir (ail. konnen, pouvoir, kennen
savoir; cf. sansc. djan, pouvoir, produire, djnâ, savoir; lat. gnatus,
produit, gnotus, connu); et même chez les Grecs la différence entre
la science ou la théorie, et l’art ou la pratique était encore si peu
saisie que le même mot technè (art, pratique) désignait le plus souvent
également la science pure. La science étant un pouvoir, on la
recherchait et on l’estimait pour les mêmes raisons que la force et
la puissance (v. p. 413); et elle donnait les mêmes droits sur
l’ignorant que la force physique donnait sur le faible. De là les
joûtes, les luttes à outrance, les combats scientifiques où celui
qui succombait était mis à mort, comme l’était un ennemi à la
guerre ou un adversaire dans un champ clos: La science, comme
moyen de domination et de puissance, était à la fois objet d’ambition
et de jalousie. Au lieu d’y voir un produit de l’intelligence de
notre espèce, devant profiter généralement à tout individu intelligent,
on la considérait comme une propriété exclusive et individuelle
qu’on ne communiquait qu’à regret, et qu’on transmettait
seulement, ainsi que toute autre propriété, dans le sein de la
famille et à ceux qu’on favorisait particulièrement. Les différentes
branches de la science étaient d’autant plus esiimées que la puissance
qu’elles procuraient était plus grande et plus absolue. Chez
les peuples d’origine scythe, comme en général dans l’Antiquité,
la tradition était de trois espèces; elle comprenait ce que nous
appellerons la science historique, la science eudoemonique, et la
science surnaturelle.
§ 86. lia science liis to riq u e e t la science eudænio-
nique. — La science ou tradition historique (norr. saga; cf. sansc.
Satchî) transmettait de père en fils, les faits jugés remarquables
de la famille., de la tribu ou de-la nation. Or, on ne jugeait dignes
de mémoire que les hauts faits des ancêtres dont la gloire pouvait
jeter un reflet d’illustration sur leurs descendants. Aussi la tradition
historique ne se conservait et ne 'se transmettait-elle que
par les membres de la famille, de la tribu et de la nation, qui
avaient un intérêt direct à conserver et à propager ces souvenirs
(voy. Chants de Sol, p. 44).
La science ou tradition eudoemonique transmettait les préceptes
à suivre pour arriver au bonheur et à la félicité; elle enseignait,
en dehors des usages nationaux et dés moeurs sociales , la science
de la vie, et comprenait par conséquent trois points : d’abord les
règles de la prudence nécessaires à suivre pour éviter les dangers
et pour échapper aux embûches de ses ennemis; ensuite les règles