
durent être difficiles et qu’il a eu à subir de longues
et de terribles traverses. Ce n’est donc pas d’un seul
cataclysme qu’il a été témoin et victime : cruellement
éprouvée, notre espèce s’est plus d’une fois trouvée réduite
à quelques familles. 11 faut bien qu’il en ait été
ainsi, car si les générations incessamment fécondes n’avaient
pas été retardées dans leur développement, si
tous les peuples avaient continué à s’accroître comme la
tradition nous l’apprend (1) et comme nous le voyons
même aujourd’hui en Chine et dans certaines parties de
l’Europe, depuis longtemps la terre n’y aurait pas suffi.
Rien n’a donc été plus variable que le chiffre de la population
humaine.
On peut dire la même chose de la population animale
qui, à mesure que la nôtre s’accroissait, a dû, au moins localement,
diminuer dans une proportion équivalente (2).
bable qu’il y en arrivait beaucoup plus dans les premiers âges du
g lobe , et qu’à une profondeur quelconque il en existe des couches
épaisses. Peut-être même le centre de la planète n’e st-il qu’une
immense aérolithe, point attractif qui en attira d’autres.
(1) Aujourd’hu i, on se bat pour la gloire. En d’autres temps, on
s’est battu pour la nourriture : l’antropophagie n’est qu’une suite
de ces guerres de famine. Un peuple alfamé se jetait sur un autre
peuple, non pour le soumettre, mais pour le manger. Quelque
différence de taille ou de forme, quelque nuance de couleur mettaient
à l’aise la conscience du vainqueur : il considérait le vaincu
comme gibier. Des races humaines ont ainsi disparu.
(2) Nous sommes dans une période où notre espèce, après avoir
été plus nombreuse qu’elle ne l’est, puis l’avoir été moins, semble
prendre une nouvelle extension ; tandis que c’est le contraire
chez tous les autres mammifères. Nonobstant les efforts que nous
faisons pour multiplier ceux qui servent à nos besoins, il y a certainement
moins de grands quadrupèdes sur la terre qu’il n’y en
L’homme, dès qu’il a été nomade ou seulement dépaysé,
s’est fait chasseur, et de frugivore qu’il était comme tous
les quadrumanes et comme d’ailleurs l’annoncent quelques
parties de sa conformation, il est devenu carnivore.
Est-ce par goût ou par nécessité? — C’est par nécessité.
Né dans les latitudes chaudes où les fruits et les végétaux
propres à sa nourriture se produisaient sans culture et
en toute saison, ce n’est pas volontairement qu’il les a
quittées pour se répandre dans les pays froids où il ne
devait rencontrer que privations, et le départ d’Adam
chassé du paradis terrestre nous rappelle les migrations
forcées de ses descendants. La bonne harmonie ou la
tolérance réciproque entre l’homme et les autres espèces
a cessé en même temps que l’abondance. Ces deux populations
ont plus d’une fois été déplacées l’une par
l’autre : les animaux ont fui devant les hommes devenus
nombreux et forts, et ceux-ci, à leur tour, ont dû s’éloigner
devant la trop grande multiplication des animaux.
Mais antérieurement à ces conflits entre les deux races,
cette Europe, si riche et si peuplée, a été, elle aussi, une
vaste solitude ravagée par les torrents ou soulevée par
des feux intérieurs. Chacune de ses montagnes était un
volcan ou un glacier : inondée ou brûlante, elle ne pouvait
nourrir le plus infime des mammifères. Cela a duré
avait. Ceci dure depuis les temps romains. C’e st notamment sous
les empereurs qu’ont commencé ces grandes tueries de betes: ce
qu’on en détruisait dans les cirques est incroyable. C’est aussi de
ce moment que les dépôts naturels de débris animaux ont cessé
de se former. Quant à ceux d’h om m e s, on n’en a pas encore
découvert, ou du moins l’histoire ne le dit pas. Cependant il en
existe quelque part : victimes des mêmes révolutions, on doit retrouver
leurs ossuaires comme on retrouve ceux des animaux.