
Le langage parlé est à la fois la manifestation, l’expression et le
moyen de transmission de l’intelligence. .C’est le moyen de tradition
le plus parfait, et même quelquefois Tunique moyen de tradition.
En effet, récriture qui, à la vérité, est un autre moyen de tradition,
dépend cependant de la langue, puisqu elle n est que la
fixation et la conservation durable des sons passagers du langage
parlé; de sorte que, s’il n’y avait pas de langage parlé, 1 écriture
proprement dite n’existerait pas non plus. Le langage étant la manifestation
et l’expression de l’intelligence, et le principal moyen
de tradition, il importe de faire connaître ici les caractères principaux
de la langue des Scythes, des Getes, des Germains et des
Scandinaves, afin de compléter ce que nous savons sur 1 état intellectuel
de ces peuples. Mais il s’agit seulement de faire connaître
l’histoire, la nature et les qualités extérieures de cette langue qui
a servi d’instrument intellectuel à ces peuples, et de faire voir
qu’il y a eu continuité et développement progressif de la langue des
Scythes à celle des Gèles, et de la langue des Gèles à celle des Germains
et des Scandinaves.
A. MOYENS DE TRADITION.
1) Langage parlé.
§ 98. Ii» langue-soHclie «les itliomes iafétiques. —
Comme les Scythes, ces cadets de la race iafétique, (v. p. 19),
sont le plus longtemps restés confondus avec la souche primitive
et, en la continuant, en ont été les derniers représentants directs
(v. p. 20), l’idiome scythe est aussi resté le plus longtemps confondu
avec la langue-mère, et en a été, plus que les autres langues
iafétiques, la continuation directe. Il suit de là que les autres
langues primitives iafétiques, en se détachant de la langue-mère,
s’en sont éloignées sensiblement, et sont devenues des dialectes
par rapport à elle; l’idiome scythe, au contraire, a dû conserver,
le mieux et le plus longtemps, les traits primitifs et caractéristiques
de la langue-souche, de sorte qu’il diffère des autres idiomes primitifs
de la famille iafétique, surtout en ce qu’il a conservé, mieux
et plus longtemps qu’eux, les formes anciennes ou primitives de
la langue-mère. Pour prouver l’ancienneté des formes de l’idiome
scythe, il importe de faire connaître en quoi consiste en général
le caractère distinctif des formes anciennes dans le langage; et, à
cet effet, il faudra préalablement rappeler deux principes que nous
avons établis, il y a vingt ans1, et que nous maintenons encore
aujourd’hui comme des principes ayant présidé à la formation des
mots primitifs. D’après le premier de ces deux principes, la signification
première d’un mot primitif n’est ni conventionnelle ni fortuite,
mais résulte naturellement de la signification de ses éléments
constitutifs, à savoir des consonnes qui entrent dans la composition
du thème. Le thème est une forme idéelle, abstraite, supposée, d’où
sortent, comme d’un germe, logiquement et grammaticalement
encore indéterminé, les mots réels du langage primitif, iesquels,
dès leur origine, ont naturellement une signification logique et
une forme grammaticale plus ou moins nettement déterminées.
Ainsi, par exemple, la notion, ou plutôt le sentiment ou l’aper-
ception de l’action de donner (tendre vers, présenter) s’est exprimée
naturellement et nécessairement, dans le langage primitif,
par un mot, dont on ne peut plus aujourd’hui indiquer exactement
la forme grammaticale réelle ou historique, mais dont la signification
logique de tendre vers, a trouvé son expression naturelle et
nécessaire dans cette forme grammaticale quelle quelle ait été; et
ce mot nous le rattachons, par la pensée, à une forme idéelle ou à
un thème composé d’éléments-consonnes, savoir des consonnes Te
(ici) + Ne (là), qui parleurs significations combinées expriment naturellement
et nécessairement l’idée de tendre versa, et forment par
conséquent le germe d’où sont sortis les autres mots de cette famille,
exprimant tous logiquement la même idée, quelle qu’ait été d’ailleurs
grammaticalement leur forme particulière comme substantif,
comme adjectif, comme verbe, etc.3 Nous admettons donc,
comme premier principe, que ce sont les consonnes, et les consonnes
seules, qui ont constitué originairement la signification des mots.
* Voy. Poèmes islandais, p. 393.
’ Le mouvement d’ici-là est synonyme de tendre (TaNa, gr. TeiNo, héb. Ta-
Nah; de TaNa avec Ne (là, vers là) comme préfixe s’est- formé en hébreu le
fiième NaTaN (lat. iNTeNdere, tendre vers), donner.
5 Le moment est venu d’élever cette théorie au rang d’une vérité scientifiquement
acquise. Nous en donnerons la démonstration dans une publication que
nous ferons sous le titre de : Thèmes des langues primitives et approximation
nés formes grammaticales primitives.