
CHAPITRE XX.
C. L E S S A C R I F I C E S ,
a. Origine des Sacrifices chez les Scythes.
§ 19©. Id é e d u Sacrifice. — Dans l’origine le Sacrifice n’était
autre chose qu’un don fait par l’homme à la divinité pour se la
rendre favorable et pour obtenir d’elle des dons plus agréables en
retour. Le Sacrifice étant un don, l’homme qui faisait un sacrifice
se considérait comme libéral, généreux; et c’est pourquoi sacrifier
était aussi synonyme de être libéral envers la Divinité. La libéralité
étant un témoignage d'amour ou de faveur, être libéral était aussi
synonyme de être bienveillant, favorable, incliné (norr. lutr ; de lyt,
laul). Dans les langues scylhes, libéral, favorable, incliné a donc été
exprimé par p-lautus etp-leilus (golh. bleilhs; norr. blidr et blaudr);
de là Y acte de libéralité ou le sacrifice a dû se nommer plaul ou pleil
(norr. blôt; v.-all. plôz), dont s’est formé ensuite le verbe dérivé
plautan (norr. blôla; v.-all. plôzzan) ou ple'üan (cf. pleistai p. pleil-
tai, consacrés, v. p. 47; gebleistis p. gebleit-tis, consécration, v.
p. 139) qui signifiait sacrifier, consacrer, bénir.
Quelle que soit l’idée que l’homme se fasse de sa divinité, qu’elle
soit pour lui, ou bien un fétiche ou bien l’Essence de l’Être, son
devoir ou sa moralité consiste à tout sacrifier, à tout consacrer, sa
personne y comprise, à ce qu’il croit être Dieu. Au point de vue
moral, la vie de l’homme doit donc être une consécration, un sacrifice
au Divin. Aussi, jusque dans les religions naturelles, le Sacrifice
est-il l’acte religieux par excellence, et la plupart des autres actes
n’en sont, au fond, que les différentes modifications.
Né à l’époque où les hommes vivaient encore à l’état pastoral, et
n’avaient que leurs troupeaux à offrir à leur divinité, le sacrifice
consistait dans Yimmolation des victimes ; aussi l’immolation est-
elle devenue le type du sacrifice, et c’est pourquoi les cérémonies
de celte immolation ont été plus ou moins imitées dans le rit des
autres modes du sacrifice usités dans les religions anciennes.
Dans l’état patriarchal, le chefde famille ou le chef de tribu étaient
en même temps le prêtre de la famille ou le pontife de la tribu.
Aussi, chez les Scythes, le père faisait-il les sacrifices au nom de
h famille, etle roi, dans l’origine, faisait, en personne, les sacrifices
publics au nom de la tribu. Plus tard, lorsque la royauté sortit de
sa simplicité patriarchale primitive et que les sacrifices publics se
furent multipliés, les rois ne firent plus-, eux-mêmes, les opérations
du sacrifice; ils s’en déchargèrent sur les Femmes Viclimaires qui,
à la place et au nom du pontife suprême ou du roi, immolèrent les
victimes. C’est ainsi que les fonctions de pontife et de sacrificateur,
qui originairement étaient cumulées par le chefde tribu, se dédoublèrent
et devinrent deux fonctions spéciales, dont l’une seulement
restait au roi. et dont l’autre fut remplie par les Femmes Viclimaires.
/ § 19 9. t a T u e rie il’hoiumes. — Comme, chez les Scylhes,
les femmes avaient à préparer les repas, c’étaient aussi des femmes
qui, de préférence aux hommes, furent chargées de tuër les victimes
destinées aux sacrifices ou repas sacrés, et, par suite, les victimes
humaines objets des consécrations (v. p. 278). Ces Femmes
Viclimaires portaient le nom de Tueuses d'hommes, parce que les
victimes consacrées dans les grandes fêtes étaient généralement des
hommes faits prisonniers à la guerre. Comme nés Tueuses d’hommes,
ainsi que, plus tard, les Conseillères du sanctuaire (alhi-hrunâs), formaient
une espèce de corps distinct, on les désignait aussi par le
nom abstrait neutre de Viro-pata(Hérod., Oiro-pata; cf. sansc. vira-
badhâs), qui signifiait proprement Tuerie d’hommes ; pareillement,
dans la suite, chez les Scandinaves, les poètes, qui formaient également
un Corps, furent désignés par le nom ^abstrait neutre de
Skatd (Sonnerie, v. p. 128). Lorsque les Scythes se furent établis
dans la Chersonèse taurique, les Grecs, après avoir confondu l’Ar-
temis lauropolos des Kimméries avec la déesse Artin-paza des
Scythes (v. p. 209), confondirent également les prêtresses de l’Artémis
kimmérienne, nommées Mammelues (gr. Amazones), avec
les Femmes Victimaires ou la Tuerie d’hommes des Scythes, et donnèrent
à celles-ci le nom qu’avaient celles-là ; et c’est ainsi que les
traditions, moitié historiques, moitié fabuleuses, sur les Amazones
kimmériennes et grecques, furent rattachées faussement par les
Hellènes à l’histoire et à la religion des Scylhes, aves lesquelles,
cependant, elles n’ont eu originairement aucun rapport (v. Les
Amazones dans l’Histoire et dans la Fable, p. 18).
§198. JLes Sacrifices p riv é s ou p u b lic s .—Les Sacrifices