
ne pouvaient guère s’arrondir, surtout à cause des matières dures,
telles que la pierre, le bois (cf. gr. sanides') et le plomb, sur lesquelles
on les gravait (gr. grafô, graver, écrire) avec un poinçon.
Les Scytho-Gèles adoptèrent ces caractères phénico-grecs, non
pour s’eu servir comme d’une écriture cursive, mais pour les employer
comme des signes stéganographiques dans la divination, la
rhabdomancie et la magie (v. Chants de Sol, p. 187). Les Gèles
ayant l’habitude de graver (goth. vritan, graver, écrire) ou de
peindre (goth. mêlian, peindre, écrire) les caractères sur l’écorce
blanche du bouleau (cf. Venant. Fortunat., VII, 18; Ibn Ali lakoub
el Nedim, sur l’écriture russe au dixième siècle), les écrits ou livres,
et par suite l’écriture elle-même, eurent le même nom que le bouleau
(goth. boka; v. ail. bôh; lat. fagus; sansc. bûrdjas), de même que,
chez les Latins, liber (le livre) signifiait proprement le liber, et que,
chez les Grecs, biblos (livre) a désigné originairement le liber du
papyrus. Dans la suite, chez les Germains et chez lès Scandinaves,
les caractères furent appelés étais ou éléments d’écriture (v. ail.
bôh-slab; norr. bôk-stafr); et comme on en faisait principalement
un usage sléganographique et divinatoire (v. § 491% on les a aussi
nommés caractères mystérieux (v. ail. rûn-stab; norr. rîma-stafr).
L’écriture des Gèles se répandit chez les Scandinaves, les Germains
et les Slaves, el produisit, chez ces peuples, un grand
nombre d’alphabets runiques, dont l’usage, comme écriture, était
cependant excessivement rare et borné. JHes peuples n’avaient pas
même des inscriptions avapt le huitième siècle de notre ère; car
les inscriptions qui, du temps de Tacite, ont pu se trouver dans
les pays limitrophes des Germains et des Keltes (v. Tacit., Germa-
nia, 3), provenaient probablement de ces derniers, auxquels leurs
ancêtres, les Kimméries de la mer Noire, avaient transmis l’ancienne
écriture grecque (cf. César, de bello Gall., 1, 29; IV, 44),
et qui, par suite de leur état social plus avancé que ne l’était celui
des Germains, faisaient aussi de cette écriture un usage plus fréquent.
Bien que les Moeso-Goths eussent conservé l’ancienne écriture
runique des Gèles, leur évêque Ulphilas employa cependant,
pour sa traduction de la Bible, l’écriture gréco-latine usitée de son
temps; il se garda d’employer aucun ancien caractère runique, pas
même pour exprimer les sons particuliers à la langue gote. Il en
agit ainsi d’abord parce que les caractères runiques, par leur forme
angulaire et heurtée, ne se prêtaient guère à une écriture cursive,
telle qu’elle était en usage de son temps, et ensuite parce que
l’ancien alphabet runique était trop intimement lié aux sortilèges,
à la divination et à la magie du paganisme de sa nation,
pour pouvoir être employé par cet évêque chrétien pour la transcription
du texte sacré. Ce fut aussi l’écriture latine qui servit aux
Visigoths, devenus chrétiens, lors de la rédaction de leurs lois. Il est
vrai que, dès le huitième siècle, les Scandinaves employèrent
l’écriture runique pour des inscriptions lumulaires ou des épitaphes,
mais ils ne s’en servaient pas pour écrire les oeuvres littéraires,
les lois ou les statuts (goth. bilageineis; Jorn. bellagines). Ces lois
ne furent rédigées par écrit que vers le onzième siècle; le plus
ancien code danois le Vilhar-lags-ret (Droit du compromis, ou
Droit des fédérés) date du règne de Knut-le-Grand, 4025. En
Islande, le Code nommé l’Oie grise (Grâ-gâs) fut rédigé en 4423
par Gudmund, fils de Thôrgeir, après quelques statuts écrits en
4118 par l’homme de loi (lag-madr), Bergthôr, fils de Hrafn. C’està
la même époque que Sæmund commença à recueillir par écrit
quelques poésies mythologiques (v. Chants de Sol, p. 20).
En résumé, il faut dire que les Scythes, les Gèles, les Germains
et les Scandinaves avaient bien une écriture, mais que cette écriture
runique était très-peu répandue, et très-rarement employée.
Le besoin d’écrire se fit sentir seulement après l’introduction du
christianisme, et la nouvelle foi fournit aussi le moyen de satisfaire
ce besoin, en répandant l’usage de l’écriture latine cursive.
Comme antérieurement peu de personnes savaient écrire, le seul
moyen de conserver le fond de la tradition, et de le transmettre,
était la tradition orale, dont nous avons d’abord à faire connaître
les formes.
B. FORME DE LA TRADITION.
§ 84. F o rm e s «le la tra d itio n o ra le . — La tradition orale
Msanse. çravanâ; gète hrûna) avait, chez les Scythes et leurs descendants,
trois formes principales, la forme didactique, la forme
symbolique et la forme poétique. Comme le but de la tradition est
avant tout d’enseigner, la forme didactique et prosaïque, qui s’adresse
directement à la raison el au sentiment , était la forme la plus convenable;
aussi était-elle employée le plus fréquemment. Pour