
tant à trois et quatre mille ans, quand les troncs verticaux
de certains arbres non moins antiques, quand la
configuration géographique de terrains décrits par
les plus anciens auteurs prouvent que depuis ces temps
reculés la forme et même l’aspect de ces terrains n’ont
presque point varié; en outre, quand les dépôts par sédiments,
dont on suit les progrès, offrent une croissance
tellement lente que les centimètres y représentent des
siècles, qui pourra croire que quelques milliers d’années
auraient suffi pour élever de onze mètres et plus ces
bancs qu’on dit remaniés, et comment accorder ce remaniement
qui, quelle qu’en soit la cause, ne peut rappeler
qu’un désordre ou un mouvement anormal, avec la
régularité des couches?
La formation de la tourbe est encore une preuve du
temps qu’exigent les dépôts par sédiments. Dans les
pays où l’on exploite les tourbières depuis un temps
immémorial, personne n’a vu la tourbe recroître d’une
manière sensible. L’on en a conclu avec raison qu’il
fallait des siècles pour en produire une épaisseur de
quelques centimètres. On peut juger, d’après ceci, combien
longue est la période que représentent les masses
tourbeuses de la vallée de Somme, masses dont l’épaisseur
atteint jusqu’à onze mètres, et qui reposent sur la
craie, à douze et treize mètres de la superficie.
Mais la base de craie de la tourbe n’est que l’exception
et ne se rencontre ici que sous les bancs qui bordent
la vallée. La tourbe y git d’ordinaire sur une mince
couche d’argile, sous laquelle est un lit de sable et de
cailloux. Eh bien! Messieurs, dans ce lit de diluvium,
recouvert de plusieurs mètres d’une tourbe noire et
compacte, j’ai trouvé des traces de l’homme, j’y ai
recueilli plusieurs belles haches légèrement roulées et
qui ne diffèrent de celles de Menchecourt que par leur
patine d’un jaune foncé; différence provenant de ce que
ces haches au lieu de se trouver, comme d’ordinaire,
dans le lit de sable gris dit a ig re , étaient dans celui
de sable jaune ferrugineux dit sable gras, dont elles ont
pris la couleur, ainsi que vous pouvez le voir par celles
qui sont encore entourées de leur gangue, et que j’ai
l’honneur de mettre sous vos yeux.
Devant ces faits et à l’aspect de ces larges coupes de
Menchecourt, où se dessinent, comme autant de rubans
et aussi nettement que les couleurs d’un drapeau, ces
lits superposés vous montrant d’un coup-d’oeil tous les
mouvements du sol de la période diluvienne, comment
admettre une formation récente et un cataclysme d hier?
La présence de la tourbe sur les points où elle remplace
la terre végétale, et le temps qu’exige l’affermissement
d’une assise tourbeuse, quelque peu épaisse
qu’elle soit, suffiraient pour démontrer la vieillesse du
sol; mais s’il est difficile de préciser l’âge des couches
diluviennes sur lesquelles repose* notre vallée à cei-
tains points et qui la dominent sur d’autres et de dire
si elles sont la suite de plusieurs formations séparées
par de longues périodes ou la conséquence d une convulsion
unique et spontanée, cette difficulté est moindre
en ce qui concerne les dépôts tourbeux, et l’on arrivera
peut-être, après des études bien approfondies, à savon
ce qu’il a fallu de temps pour décomposer d’année en
année, concentrer et durcir les masses de végétaux qui
forment un lit de tourbe.
J’ai déjà présenté quelques indications sur ce sujet, en
donnant la mesure des couches qui recouvraient des