
comme leur mère qui, elle aussi, ne semble tenir aucun compte
des existences, et, ne connaissant que les forces brutales, livre
sans cesse et sans pitié ce qui est faible en proie à ce qui est fort.
Le droit du plus fort, autrement dit, le droit de la guerre, était le
seul droit international de l’Antiquité; comme tel il a été proclamé
d’une part et reconnu de l’autre dans les rapports entre le monde
kelto-germanique et le monde romain. Quand les Cimbres et les
Teutons envoyèrent des ambassadeurs à Papirius, ceux-ci lui
dirent : « que c’était une loi reçue parmi toutes les nations, que tout
«appartînt au vainqueur; que les Romains eux-mêmes navaient
« point d’autres droits sur la plupart des pays qu ils possédaient
« que celui qu’on acquiert l’épée à la main, s> Le droit du plus fort
étant reconnu, non-seulement la guerre ouverte, mais aussi le
pillage, le brigandage et la piraterie, ces guerres au petit pied,
passaient chez les peuples d’origine scythe, comme chez les barbares
de nos jours, pour légitimes, et nullement déshonorants.
Par une conséquence logique, les Pures-Serges (norr. Berserkir,
v. p. 414), partant du principe que la supériorité de la force donne
des droits sur la vie et sur la propriété du faible, provoquaient au
combat les manants propriétaires (bondar) et les tenanciers (hôll-
dar), afin de trouver occasion de les vaincre et de s’emparer de
leurs biens. La valeur passant pour un don céleste, et l’issue
d’un combat pour une décision du destin, la force qui décidait de
la victoire était comme une sanction donnée par la Providence.
Dieu, disait un guerrier germain, se range du côté du plus fort;
et quand le Gaulois Brennus jeta son épée dans la balance, au
Capitole, et s’écria : Malheur aux vaincus! il confirma la maxime
des barbares de son temps, que la victoire donne des droits absolus
, et que le vainqueur ne doit pas avoir pitié de ceux contre
lesquels la Providence elle-même s’est déclarée.
§ KO. lie droit à la protection. — Le droit de la force
avait cependant ses limites naturelles; il était limité par le droit à
la protection ; par conséquent il ne devait s’exercer que surléiran-
ger ou sur l’ennemi; il ne devait pas s’exercer sur ceux qu’on
avait le devoir de protéger, ou qui avaient droit à la protection.
Ce droit à la protection n’était pas une conséquence du principe
général de l’amour du prochain ou de la charité humaine, qu on ne
connaissait pas encore, mais une conséquence de cet autre principe
plus exclusif, qu’on devait défendre les siens, ou protéger ceux de
son sang. Le droit de la force avait donc sa limite dans le droit du
sang. Dans l’origine, l’homme ne considérait comme siens ou
comme son sang que les membres de sa famille. Les membres de
la famille, s’appartenant l’un à l’autre, se devaient aussi réciproquement
aide et protection. Aussi le nom de père (pater) signifiait-il
protecteur (v. p. 101), et celui de frère (frater), souteneur (v. ïbid.).
Lorsque dans.la suite les familles formèrent des tribus, et que les
tribus constituèrent la Nation (v. p. 13), la protection était due non-
seulement aux membres de la même famille, mais aussi à ceux de
la même tribu et de la même nation. Mais toujours cette protection,
dans la tribu et dans la nation, était due en vertu de la communauté
du sang, et comme conséquence de l’extension du droit
de protection qui était né dans la famille. C’est que l’affection ou
l’amour du prochain se manifestant tout d’abord dans la famille,
et y trouvant sa raison d’être et sa sanction, on assimilait tous les
autres rapports d’affection qui existaient entre hommes aux rapports
de famille, de sorte que l’on expliqua et justifia les droits
attachés à ceux-là par les droits attachés à ceux-ci. Ainsi l’amitié
n’était pas considérée comme une affection mutuelle entre deux
hommes, quelle que fût leur famille ou leur race; mais les amis
passaient, au moins conventionnellement, pour des hommes de la
même famille, pour des frères, ayant par conséquent entre eux des
droits et des devoirs de frères, c'est-à-dire de souteneurs (v. p. 401).
Chez les peuples guerriers, les amis étaient surtout considérés comme
des frères d’armes et des alliés. Aussi, pour contracter alliance,
on pratiquait des cérémonies symboliques qui signifiaient que les
alliés devenaient entre eux frères, ou homme du même sang. Pour
indiquer cette communauté de sang en contractant alliance, les
Scythes buvaient ensemble du vin mêlé au sang qu’ils s’étaient tiré
de leur corps en se faisant une légère blessure (Hérod., IV, 70).
L’assistance, ne pouvant, selon les idées de ces peuples, être
exigée que des parents, auxquels seuls incombait le devoir de la
protection, toutes les fois qu’on la demandait à quelqu’un d’autre qui
n’était pas un parent, il fallait d’abord se faire admettre, par une
cérémonie symbolique, parmi les parents de celui-ci. Or, comme
la parenté se manifestait principalement par le droit de prendre part
aux sacrifices faits par le chef de la famille (v. § 478), l’homme qui