
A ces considérations, j’en ajouterai une qui depuis
longtemps m’a frappé. L’espèce humaine, comme les
espèces animales, avons-nous dit, a pu être renouvelée
plus d’une fois, non en totalité, mais en grande majorité,
Alors les hommes se sont trouvés, quant au nombre, la
portion très - secondaire de la population terrestre.
C’est ainsi que nous avons vu le règne des sauriens,
celui des pachydermes, celui des grands carnassiers, etc.
Il est facile de comprendre que, lorsque l’homme n’avait
pour défense que ces haches de pierre, la trop grande
multiplication des carnivores ou de toute autre créature
pouvant lui disputer sa nourriture, a dû rendre son
existence fort difficile et parfois impossible.
Dans cette position, la famille humaine n’a pu que
décroître de plus en plus, et ce qu’il en restait, fuyant
devant le danger, dut abandonner le pays à l’espèce la
plus forte ou la plus nombreuse qui a continué de s’accroître
aux dépens de toutes les autres (1).
(1) C’est ainsi que certaine race animale a pu finir par occuper
seule une contrée et, par cette solitude même, si elle était carnivore,
en être réduite à s’entredévorer, ou si elle était herbivore,
à anéantir, par une consommation plus rapide que la reproduction,
tous les végétaux qui pouvaient la nourrir. — Cette hausse
ou cette baisse dans le nombre des individus d’une famille est
commune aux petites comme aux grandes espèces, et nous en
avons journellement des exemples. On voit tout d’un coup apparaître
des nuées d’une mouche, d’un coléoptère, d’une mite,
réputés rares jusqu’alors. Si la multiplication de ces insectes continuait
dans cette proportion, ils envahiraient la terre, l’eau, l’air:
rien ne leur résisterait, toutes les autres créatures devraient périr
étouffées, affamées ou dévorées par ces myriades d’atomes si débiles
en apparence. Puis, à une heure dite, le fléau disparaît,
l’insecte devient aussi rare qu’il l’était avant l’invasion, et des
L’extinction d’une classe d’animaux et même d’une
race d’hommes et la dépopulation d’un monde n’ont
donc pas toujours été la conséquence d’une révolution
atmosphérique, d’un cataclysme igné ou aqueux, d’une
influence délétère, d’une contagion, d’une peste; elles
ont pu être celle de la multiplication prodigieuse d’un
parasite, d’un rongeur, d’une chenille, d’une fourmi, dévorant
jusqu’au tronc des arbres, jusqu’aux os des morts;
ou bien encore de la*rareté ou seulement d elà modification
de la nourriture devenue impropre aux hommes et
aux animaux.
Ceci, Messieurs, expliquerait comment des contrées
ont pu être alternativement populeuses ou désertes sans
que rien eut changé dans la nature du climat ni du sol,
sans même que l’aspect de ce sol eût varié d’une manière
sensible. 11 nous montre également que durant de longues
périodes la race humaine, réduite à quelques tribus errant
sur d’immenses surfaces naguère couvertes de nations,
est devenue une espèce rare et, quant au nombre,
comptant à peine sur la terre.
11 en était probablement ainsi lorsque vivaient ces
éléphants dont le diluvium a conservé les os. Se trouvant,
quant à la force et même à l’intelligence, les premiers
d’un pays où les hommes n’étaient plus, ces
animaux avaient pu s’y multiplier sans obstacle.
Combien cet état de choses dura-t-il de siècles ou de
centaines de siècles? Nul ne pourrait le dire; mais il
années, des siècles s’écoulent sans qu’on le voie renaître : peut-
être même a-t-il disparu pour toujours. C’est ainsi que la population
terrestre a pu varier indéfiniment. Chaque espèce, même la
plus faible, devenue souveraine, a, régnant à son tour, été le
tyran, puis le bourreau de tout ce qui vivait.