
quelque é g o û t; ou lo rsq u ’elles ne ren co n tren t qu ’un
te rra in p la t, les y étalent en couches plus ou moins
épaisses. Alors si vous examinez ces co u c h e s, leur
analyse vous in d iqu era avec certitu d e les lieux que
l’averse a p arco u ru s : vous saurez si elle a trav e rsé un
pays peuplé ou désert, une ville ou une campagne, une
p ra irie ou une forêt, un champ cultivé ou un sol aride
et p ie r re u x ; vous v errez aussi si le lieu habité l’a été
p a r les hommes ou p a r les animaux. Bref, dans ces
résidus d’un orage, vous pourrez non seulement suivre
sa marche, mais en décrire les incidents.
Sans doute, à mesure que les jo u rs s’écouleront, cette
analyse deviendra moins facile; tous les corps dissolubles
a u ro n t changé de figure ou se sero n t fondus dans la
masse te rreu se , mais les corps d u rs sero n t encore là.
Ainsi lit le to rre n t, bouleversant, emportant, entassant
to u t ce qu ’il saisissait et en fo rman t d’énormes amas
composés de corps a p p a rten an t à tous les règnes et
d’oeuvres produits de toutes- les intelligences. Là aussi
les p arties molles ou corruptibles ont disparu : il ne resta
que ce qui était à l’épreuve du temps.
C’éta it donc bien dans ces ruines du vieux monde,
dans ces dépôts devenus ses arch iv e s, qu ’il en fallait
cherch er les tra d itio n s; et, faute de médailles et d ’inscriptions,
s'en te n ir à ces p ierres grossières, qui, dans
leu r imperfection, n’en p rouvent pas moins l’existence
de l ’homme aussi sûrement que l’eût fait to u t un Louvre.
Ainsi convaincu et fort de votre approbation, je p o u rsuivis
mon oeuvre Les circonstances me fav o risaien t:
d ’immenses trav au x en trep ris pour les fortifications
d ’Abbeville, le creusement d ’un canal, les voies ferrées
qu’on p rép a ra it, m iren t successivement à découvert, de
1830 à 1840, ces nombreuses assises de diluvium sur
lesquelles repose une partie de notre vallée, et qui, de
la craie qui en forme la base, s’élèvent jusqu’à trente-
trois mètres au-dessus du niveau de l’eau; banc immense
qui, du bassin de la Somme, va rejoindre celui de Paris
et qui s’avance ainsi vers le centre de la France.
Un vaste champ était donc ouvert à mes études.
Aussi combien de journées ai-je passé courbé sur ces
bancs devenus pour moi l’arcane de la science et ma
terre de promission ! Que de milliers de silex, disons
même de millions, n’ont pas été remués sous mes
yeux. Je faisais ma besogne en conscience: tous ceux
qui par une couleur ou une coupe spéciale se distinguaient
des autres, je les ramassais, je les examinais sur
toutes les faces; pas la moindre cassure ne m’échappait:
quelquefois je croyais voir cette trace si péniblement
cherchée : c’en était une sans doute, mais si faible ! j’y
trouvais une indication, ce n’était pas une preuve.
Enfin cette preuve vint: ce fut à la fin de 1838 que je
vous soumis mes premières haches diluviennes. Ce fut
aussi vers cette époque, ou dans le cours de l’année
1839, que j’en portai à Paris et que je les communiquai
à quelques membres de l’Institut, notamment à mon
respectable ami, M. A. Brongniart, qui était peut-être
plus intéressé que tout autre à ce que ma découverte ne
fut qu’illusoire, puisque, avec Cuvier, il avait établi
comme principe que l’homme, nouveau sur la terre,
n’était pas contemporain des grands pachydermes antédiluviens.
Néanmoins, Al. Brongniart, bien loin de me
décourager, m’engagea fort à continuer (1).
(1) C’e s t é g a lem en t ce que firent MM. F lo u r en s, Elie de Beau