
Ce sont ces hommes, dont les anciennes tourbières,
par ces vases d’une pâte grossière, ces haches, ces couteaux
de silex, ces os et bois de cerfs taillés en gaines,
en outils, nous indiquent les arts, les moeurs et l’état
social ; ce sont ces hommes enfin qui, de siècle en siècle,
de génération en génération, sous le nom de Celtes,
seraient arrivés jusqu’aux Gaulois dont ils auraient été
sinon les pères, du moins les prédécesseurs (1) et le lien
rattachant les temps historiques aux temps diluviens.
En suivant cette longue succession de peuples divers
séparés par des âges de solitude, en examinant surtout
cette surface bouleversée et rendue stérile, puis restaurée
et redevenant fertile sous des alluvions cent fois centenaires,
qui voudra croire encore à la nouveauté de
l’homme et du sol qu’a foulé son pied?
Si j’ai tant insisté sur cette question d’ancienneté à
laquelle aurait répondu sans moi et mieux que moi ce sol
si on l’avait interrogé, c’est que là était la solution du
problème: on hésitait à croire à l’homme antédiluvien,
(1) Lorsque dans le diluvium on rencontre tant de débris animaux,
quand dans la tourbe on en trouve plus encore, on se
demande toujours ce que sont devenus ceux des hommes ; car,
remarquez-le bien, dans les tourbières, malgré cette puissance
conservatrice que n’a pas toujours le diluvium, les os humains
sont presqu’aussi rares, et en vingt ans, après avoir visité bien
des tourbières et examiné des milliers d’os, il ne m’est arrivé que
trois à quatre fois d’en trouver qu’on pouvait reconnaître pour
des restes humains. Il faut en conclure que ces tribus celtiques
ne faisaient que traverser le pays, et que si elles y brûlaient leurs
morts et y déposaient leurs cendres, c’est qu’il y avait là des lieux
consacrés aux dieux et aux mânes et qui leur servaient de point
d’arrêt ou de r endez-vous de guerre ou de chasse.
ou si l’on y croyait, on ne voulait pas qu’il eût eu ses arts
et son industrie. Quand on admettait qu’il avait vécu et
dès-lors que sa vie devait avoir laissé des traces, on
niait que ces traces ou ces oeuvres eussent pu parvenir
jusqu’à nous : entre elles et nous on jetait le néant des
siècles : on oubliait que les siècles n’anéantissent rien,
que la matière est aussi immortelle que l’esprit, que dans
des milliers de siècles il n’y en aura pas un atome de
moins. Sans doute les oeuvres qui en sont faites s’altèrent,
se décomposent, se modifient ou se déplacent, mais qui
peut limiter la durée de certains corps inertes? 11 en est
sur notre globe qui, émanés d’ailleurs, sont peut-être
plus anciens que lui, plus anciens que le soleil, et qui,
aînés du monde, seront encore quand ce soleil ne sera
plus.
Mais ne nous arrêtant qu’à ce qui est là sous nos yeux,
lorsque dans d’autres bancs bien plus vieux encore que
notre diluvium, cette fragile coquille de l’époque secondaire
a conservé sa couleur ; quand un peu plus loin
nous rencontrons l’empreinte de cette mousse si tenue,
si délicate, et jusqu’à celle de l’insecte microscopique
qui s’y reposa, nous regardons ceci comme tout simple.
Et puis nous allons nous étonner devant l’oeuvre dont
quelques centaines de siècles nous séparent, quand cette
oeuvre est faite d’une des substances les plus dures que
la nature nous offre, et lorsqu’immobilisée depuis ces
centaines de siècles, cette oeuvre s’est trouvée, par sa
position, à l’abri des effets de l’atmosphère et du mouvement
des eaux. Dans cette situation, elle pourrait
durer mille siècles encore. 11 n’y avait donc rien d’impossible
ni même d’imprévu dans sa découverte, et nous
n’avons rien trouvé de plus que ce qu’aurait trouvé,