
V. CINQUIÈME PARTIE DE L’OUVRAGE.
LA FILIATION GÉNÉALOGIQUE DES SCYTHES AUX GÈTES , ET DES GETES AUX GERMAINS
ET AUX SCANDINAVES, PROUVÉE PAR LA CONTINUITÉ ORGANIQUE DES
PHÉNOMÈNES DE LEUR ÉTAT RELIGIEUX.
I. DIVINITÉS ADORÉES.
§ 88. Conception et nature «les divinités. — L’homme
est porté à la religion d’abord par le sentiment invincible qu’il a
de son insuffisance physique pour se protéger lui-même contre les
forces ennemies et inexorables de la Nature et contre les hasards
et les accidents de la vie; ensuite par le sentiment de sa faiblesse
inicllecluelle pour comprendre la réalité, la vie et le monde, dans
leur essence et leurs causes ; enfin par le sentiment de son impuissance
morale pour satisfaire à la loi de justice qui s’annonce impérieusement
dans sa conscience. Il éprouve donc le besoin de s’appuyer
sur quelque Être qui soit physiquement plus puissant que
lui-même, qui soit la clef de voûte de son système plus ou moins
scientifique, et qui soit enfin la sanction de sa conscience morale.
Aussi longtemps qu’il y aura des hommes, ils aspireront vers l’absolu;
et dans ce sens la religion est éternelle comme l’Absolu lui-
même. Mais l’homme ne conçoit Dieu que dans la mesure de son
intelligence. A mesure que l’humanité passe, dans son développement
intellectuel, par les différents modes de conception intuitive,
rationnelle et intellectuelle, c’est-à-dire à mesure que chez les
peuples et les individus prédomineront l’imagination, la raison et
l’intelligence, leur dieu ou leurs divinités prendront aussi, dans
leur pensée, des caractères de plus en plus réels, essentiels et
absolus. Pour les peuples primitifs ou anciens, tels que, par
exemple, les Scythes qui ne concevaient encore rien que par l’intuition
des sens ou par l’imagination, et dont la pensée ne s’élevait
guère au-dessus de la vie matérielle, la Divinité ne pouvait être
conçue autrement que comme un Être puissant, visible, physique,
supposé capable de les protéger contre les forces de la Nature, et
de leur procurer le bonheur sur celte terre ou dans la vie à venir.
Aussi les objets de la Nature, tels que le ciel, la terre, le soleil,
la lune, le feu, l’eau et l’océan dont les effets et les phénomènes
merveilleux frappaient particulièrement leur imagination, et leur
inspiraient de la gratitude par leur utilité et de la terreur par leurs
forces nuisibles, passaient-ils pour des puissances surhumaines,
c’est-à-dire pour des Divinités. Ces objets adorés étaient considérés,
dans l’origine, non comme des choses, mais comme des Êtres vivants,
ou comme des animaux d’une puissance surhumaine. Aussi l’imagination
leur donna-t-elle une forme zoomorphe avant de les concevoir
, comme on le fit plus lard, sous la figure humaine. D’abord
adorées chacune séparément dans la famille et dans la tribu , ces
divinités particulières, uniques, et, en ce sens, monothéistes, furent
dans la suite rapprochées les unes des autres, réunies en une famille
divine, anthropomorphisées et adoptées par les différentes
tribus comme des divinités nationales et polythéistes plus ou
moins nombreuses. A mesure que ces dieux devinrent de plus en
plus anthropomorphes, ils prirent aussi de plus en plus des caractères
anthropopathiques ; leurs qualités, d’abord spéciales et particulières
à chacun, devinrent plus tard de plus en plus générales
et communes à tous; leurs attributions augmentèrent avec leurs
qualités, et leurs qualités s’accrurent avec leurs attributions.
D’abord en petit nombre, ils devinrent ensuite plus nombreux en
se dédoublant (v. p. 158), et ils subirent dans le cours des siècles
des métamorphoses d’attributs et de noms tellement nombreuses
et fortes, que loin de reconnaître dans la suite leur identité sous
ces différentes formes, on ne s’est pas même douté, jusqu’ici, qu’il
pût jamais y avoir eu quelque rapport entre ces divinités ayant des
noms et des attributions si différents les uns des autres. En retraçant,
à grands traits généraux, l’histoire de chacune de ces
divinités chez les peuples d’origine scythe, nous allons faire voir
les changements notables qu’elles ont subis successivement. Nous
parlerons du Ciel, de la Terre, du Soleil, de la Lune, du Feu, de
l’Eau et de l’Océan. Car il n’y avait que ces divinités là qui fussent
adorées des Scythes, et qui, en se spécialisant et en se dédoublant,
aient donné naissance, dans la branche sarmate, aux divinités des
Slaves et, dans la branche gèle, aux divinités des Gèles, des Germains
et des Scandinaves.