
nations germaines ont été continuellement en mouvement, se sont
déplacées sans cesse, et se sont portées du Nord au Sud et de
l’Est à l’Ouest; au point que la division primitive rapportée par la
tradition, pour être conforme à la réalité, aurait dû souvent s’effacer,
ou du moins se serait fréquemment modifiée. Et effectivement
elle s’est modifiée avec le temps; Car cette tradition
généalogique, rapportée par Tacite, subsiste bien encore au septième
siècle (voy. Cod. Saint-Gall, 782); mais les tribus et les
nations germaines comptées parmi les lrminônes, les Ingviones et
les lskviones, y diffèrent complètement de Celles qui, dans l’origine,
étaient comprises sous ces noms. Cette tradition- généalogique du
septième siècle pourrait bien s’être formée chez les Goths de la
Gaule. Car il y est dit que Mannus avait trois fils : 1° L’aîné, Hir-
min, père des Goths, des Gêpides et des Saxons, qui sont les
peuples germaniques par excellence; 2° le puiné lngo ou Angul,
le père des Burgondes, des Thuringcs, des Langobardes et des
Baiovares, race germaine plus jeune et moins pure quant au sang;
3° le cadet Iskaivus, père des Romanes, des Britones, des Frankes
et des Alemanes, que la tradition considère évidemment comme
une race germaine abâtardie, sans doute parce qu elle s est mêlée,
soit avec le sang romain (comme, par exemple, les Germains,
dans quelques cantons du Rhin, elles Goths, dans 1 ouest [de la
Gaule ou de l’ancienne Bretagne, qui se sont romanisés), soit avec le
sang keltique, comme les Franks et les Alemansi.
i Le sang mélangé ou b â ta r d , qui est une tache au jugement de la tradition,
semble.être dans les voeux à la fois de la nature et de l’histoire. En Europe, les
races qui ont conservé le mieux leur purete originelle, dépérissent intellectuellement
et moralement parlant. Les races dominatrices dans l’histoire moderne, ce
sont les races mélangées. De même que celui qui sait deux langues vaut, intellectuellement
parlant, d e u x hommes, de même aussi celui qui porte dans ses
veines le sang de deux ra c e s ,'a double chance de réunir en lui le génie de ces
d e u x races. Ainsi D a n t e , le plus grand pocte du Moyen âge, est issu, du côte
de son père, du sang la t in , et du côté de sa mère, de la famille lombarde ou
g e rm a n iq u e des A d a lg e r s (Aldighieri, Alighieri). Je dois ajouter que les résultats
de mes études me portent à croire que les F r a n lis et les A l em a n s sont effectivement,
comme l’indique le C o d e x de Saint-Gall, des Germains b â ta r d s , c’est-A- |
dire des Germains dont le sang n’est pas resté aussi pur de mélange que celui,
par exemple, des S a x e s , des V e s lfâ le s , des lie s s e s , des F r is e s , e tc ., mais s’est
abâtardi par le mélange avec le sang k e ltiq u e . Le mélange des F r a n lts avec des
K e lte s et même avec des S la v e s ou des S v é v e s , s’est opéré dans la Germanie (Keltique)
orientale, longtemps avant leur établissement sur les bords du Rhin. J ’aurai
occasion de prouver cette thèse dans un travail que je prépare sur les Glosses
§ 5fl* Souvenirs «le la mère-patrie chez les Germains*
— Plus un peuple s’est éloigné de sa mère-patrie par des
migrations longues, c’est-à-dire étendues dans l’espace, plus la
différence entre la nouvelle et l’ancienne patrie doit être sensible
aux émigrés, et par conséquent le souvenir du passage de l’une
dans l’autre se gravera d’autant plus fortement dans leur mémoire,
et se conservera dans leurs traditions. On comprend, d’après cela,
pourquoi les souvenirs des petites migrations, faites d’un pays dans
un autre tout voisin, ou d’une partie du territoire dans une autre
toute proche, se sont presque tous effacés de la mémoire des
tribus scythes et gèles, tandis que les grandes et longues migrations
ont laissé longtemps des souvenirs dans les traditions de
leurs descendants. En effet, les tribus de la branche gèle qui ont
quitté les bords de la mer Noire et des cantons de la Thrace, pour
aller successivement s’établir dans la Presqu’île Scandinave, ont
conservé, jusqu’au douzième siècle, le souvenir du pays de leurs
ancêtres (v. p. 68), tandis que les tribus de la branche gèle qui,
après avoir quitté leur patrie respective, n’ont fait que se porter
successivement un peu plus au nord et à l’ouest, n’ont gardé aucun
souvenir de leur séjour antérieur au pied de l’Hémus et sur
les bords du Danube inférieur. C’est aussi la raison pourquoi les
Germains se croyaient autochthones, c’est-à-dire nés primitivement
sur le sol de la Germanie. Tacite, en rapportant cette opinion,
l’appuie encore sur des raisons qui lui sont particulières
(Germ., c. 2), mais qui sont sans valeur pour la critique moderne.
Cette croyance à leur autochthonie se forma et se maintint chez les
Germains d’au tan! plus facilement, que les migrations, par lesquelles
ils passèrent du pays de leurs pères, situé au pied de l’Hémus,
dans leur nouvelle patrie, la Germanie, n’étaient réellement pas
plus longues, et n’avaient rien de plus extraordinaire que les
nombreuses migrations qui, pendant plus de sept siècles, ne cessèrent
de s’opérer dans les limites de la Germanie même, où nous
m albergiennes. Je crois même que l'auteur de la tradition précitée a pris le nom
oc Iskaivus comme ayant la signification de B â ta r d (lat. sca n n is; gr. s k a 'io s ; isl.
s k e i fr ; ail, s e h ie f, gauche) et qiùil l’a mis en rapport avec la tradition kelto-
gonuainc sur le héros S k é a f.(Beowulf 92), ce bâtard qui, étant enfant, a été exposé
dans une nacelle sur les flots de la mer, et qui, jeune homme, arrive à la royauté,
mais dont la puissance s’évanouit au moment où l’on s’enquiert de son o r ig in e .
Lf- Conrad, S c h w a n r it tc r et L e C h e v a lie r a u C y g n e .