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qu’un oeil. Or, il en est de même des règnes, des classes,
des genres, des espèces : là aussi tout s’harmonie, tout
se lie et se pondère-, une race unique n’a jamais peuplé
aucune terre; partout ces races se groupent, et, assorties
dans leurs inégalités mêmes, elles s’équilibrent par le
contraste. Si l’homme manquait à la terre, qui sait ce
qu’il adviendrait des autres espèces, et réciproquement.
Depuis que l’histoire nous parle de découvertes de
continents nouveaux, en cite-t-elle un seul où l’on n’ait
pas trouvé quelques grands quadrupèdes indigènes? En
est-il un aussi où la présence de ces espèces n’ait annoncé
celle de l’homme? Oui ! partout où vivent certains mammifères,
les hommes sont, ou ont été. Quand il n’en est
pas ainsi, c’est un cas anormal, momentané ou purement
local.
Cette double présence de l’homme et des grands herbivores
vous sera révélé avant même que vous ayiez
aperçu la moindre trace des uns ou des autres; et,
débarqué sur une plage inconnue, en voyant les végétaux
qu’elle produit, vous pourrez dire quels sont les
êtres qu’elle nourrit.
Remarquez bien que je parle ici d’une terre vierge et
étrangère à la civilisation; mais cette terre est vaste,
elle est féconde, elle a ses fruits, ses racines, son gibier,
elle a de l’eau potable et un climat salubre, enfin elle
offre tout ce qui est nécessaire à l’homme et aux animaux
qui vivent dans les mêmes conditions que lui:
dès-lors elle est habitée par ces races, ou elle l’a été, ou
elle le sera (1).
( t ) Dans l ’é ta t de n a tu r e , l ’h om m e , v iv a n t de c h a s se , fa it aux
an im au x u n e g u e r r e d ’e x te rm in a tio n . Cela d u re ju sq u ’au m om en t
Certaines espèces, par leur taille, deviendront elles-
mêmes une indication de l’étendue du pays. Vous ne
trouverez jamais des débris d’éléphants dans les couches
inférieures d’une île de moyenne dimension. Si vous les
y rencontrez et qu’ils n’y aient pas été apportés par la
mer, vous êtes assuré que cette île a fait partie de quelque
continent. Les dents de mastodontes et d’éléphants, si
abondantes sur quelques points de l’Angleterre, prouvent
qu’elle n’a pas toujours été une île. Cette masse de débris
de grands sauriens ou crocodiles qu’on voit en Normandie
sur des points où ils ne peuvent avoir été jetés par les
torrents, indique de grands fleuves, de grands lacs, de
vastes marais qui ont disparu. Ces squelettes énormes
d’hippopotames qu’on trouve encore dans l’Arno, démontrent
qu’il fut un temps où cette rivière était, quant
qu’il d e v ien t p a s teu r . A rriv é là , il a c om p r is q u e l ’a n im a l p o u v a it
être autre c h o s e q u e s o n e n n em i o u sa v ic tim e : a u s s i, lo r sq u e
nous r em o n to n s d a n s l ’a n t iq u it é , n o u s v o y o n s q u e l’h om m e
partout où il s ’e s t o r g a n is é en s o c ié t é , s ’y e s t g r o u p é a v e c c e r taines
e sp è c e s q u i, b ie n tô t, s o n t d e v en u e s s in o n m em b re s d e la
commu nauté, d u m o in s u n e d e s e s n é c e s s ite s . La d om e s tic ité d e s
animaux ou leu r a s so c ia tio n a u x tr a v a u x d e l ’h om m e a d o n c to u jours
su iv i la c iv ilis a tio n , s i e lle ne l’a c om m en c é e . T an t q u ’u n
peuple n’e ssa ie p o in t d e se le s a tta ch e r , ta n t q u ’il le s tu e e t le s
dévore san s s o n g e r à le s u t ilis e r a u tr em en t, il restera d an s l ’en fa n c e
et de bien peu su p é r ieu r à c e s b ê te s d o n t il se n o u r r it. Il n e fa u t
pas d’a illeu r s un tem p s bien lo n g pour faire d ’u n e fam ille c iv ilis é e
une horde s a u v a g e : q u ’e lle c e s s e d e s e liv r e r à un tr a v a il r é g u lie r ,
qu’elle ab a n d o n n e la ch a r ru e , q u ’e lle r en o n c e a u x tr o u p e a u x e t
ne v iv e q u e d e c h a s s e , à la tr o is ièm e g én é ra tio n e lle différera p eu ,
quant aux m oe u r s, d e s P e a u x -R o u g e s e t d e s N o u v ea u x -Z é la n d a is.
Si la marche de h c iv ilis a tio n e s t le n te , le r e to u r v e r s la ba rba rie
est promp t.