
Ces outils primitifs paraîtront misérables si on les
rapproche des nôtres; néanmoins, il faut bien reconnaître
qu’ils ont un grand mérite : c’est celui de la
priorité. Si l’apparence n’ëst pas égale, on s’aperçoit
bientôt que le but est identique. Sans doute on les a
beaucoup perfectionnés quant a l’élégance de la forme
et la qualité de la matière, mais on n’a rien ajouté à l’intention
et à l’utilité. Le ciseau, la gouge, le couteau, la
scie, la pioche, le pic, la cognée, le marteau, etc., sont
encore tels que les a conçus leur premier auteur, et
ces milliers d’instruments qui remplissent nos ateliers
et nos expositions, rayons d’une même idée, ne sont
aussi qu’une conséquence de ces types en silex aujourd’hui
si contestés.
Tel fut toujours le sort des inventeurs, et pourtant
qu’on m’en cite un qui, mieux que celui-ci, a bien mérité
de l’humanité? Véritable père des arts et de l’industrie,
il a posé la première pierre de nos temples et de nos
cités, et aussi celle de nos fabriques et de nos ateliers.
11 me reste encore une objection : c’est la plus sérieuse,
disons même la seule sérieuse. J’y ai fait une réponse,
cependant je sens qu’il y a quelque chose à y ajouter, non
d e s e n ta ille s qu i s o n t c e r ta in em en t le fa it d ’u n e main humaine,
La n e tte té e t la p r o fo n d e u r d e c e s e n ta ille s d ém o n tr en t q u ’elles
o n t é té fa ite s a lo r s q u e c e s o s é ta ie n t en c o r e fra is e t n o n dép
o u r v u s de m a tièr e a n im a le . Pa rm i le s an im a u x d ’e sp è c e s éteintes
su r le sq u e ls il a c o n s ta té c e s em p e in te s , M. Lartet c ite : megaccros
hibernicus, cervus semonensis, rhinocéros tichorinus. Ce savant
p a lé o n to lo g is te v ie n t d e p r é sen te r su r c e su je t, à l’A cadémie des
s c ie n c e s , un tr a v a il in t itu lé : Notes sur l'ancienneté géologique de
l'espèce humaine. V o ir le Siècle d u 15 ju in 1860 e t l’a r tic le très-
rem a rq u ab le d e M. V ic to r Meunier.
pas en faits, je n’en ai pas découvert de nouveaux, mais
en probabilités. Cette objection, la voici : pourquoi ne
retrouve-t-on pas les os de l’homme antédiluvien dans
ces mêmes bancs où l’on rencontre ses oeuvres et les
débris si nombreux des mammifères ses contemporains?
J’ai répondu :
1° Que si on ne les avait pas encore trouvés, on ne
devait pas en conclure qu’ils n’y étaient pas, ni conséquemment
qu’on ne les découvrirait pas un jour ;
2 ° Que les ouvriers, par un sentiment louable, manquaient
rarement de rendre à la terre les os humains
que leur pioche mettait à découvert ;
3° Que, dans tous les temps, les hommes, sauf un
petit nombre, avaient cherché à faire disparaître les
cadavres de leurs proches, soit en les brûlant comme
faisaient les Grecs et les Romains, soit en les abandonnant
aux flots comme les Indiens, soit en les cachant
dans les cavernes et les lieux secrets, ainsi que font
encore quelques peuples océaniens ;
4° Que, lors des cataclysmes qui ont détruit les autres
mammifères, l’homme, plus intelligent qu’eux ou prévenu
d’avance, avait eu plus de chances d’échapper au
désastre, comme on le voit aujourd’hui dans les inondations
et autres sinistres où il périt toujours moins
d’hommes que d’animaux ;
5° Que les débris humains, par une cause que l’on ne
s’est pas encore expliquée, étaient partout rares, comparativement
à ceux des animaux, et nullement en
proportion avec la population présente et passée ; qu’on
citait des contrées longtemps populeuses où, nonobstant
les recherches, on n’avait découvert aucun squelette
d’homme.