
dans la suite pour désigner toutes les nations germaines de la
rive droite du Rhin supérieur. La même chose eut lieu déjà an
premier siècle avant notre ère, par rapport au nom de Germains
qui, avant de désigner la race ou la nation, désignait simplement
une tribu.
§ 49. Origine tin nom tle Germains. — A peu près
quatre-vingt-dix ans- avant notre ère, les Trévirs et les Nervies,
tribus germaines qui s’étaient mêlées avec des tribus keltes (v.
p. 74), s’établirent dans la Gaule sur la rive gauche du bas Rhin
dans la contrée où se trouve aujourd’hui la ville de Trêves. Les
Gaulois et les Belges avaient intérêt à ce que les Teutiskes ne
vinssent pas faire irruption chez eux sur la rive gauche du Rhin,
mais restassent sur la rive droite où ils avaient déjà formé des
établissements. Les Romains, qui avaient des camps retranchés et
des colons sur le Rhin, faisaient .cause commune avec les Gaulois
pour empêcher les Teutiskes de passer ce fleuve. Telles étaient les
dispositions de la population gauloise et romaine du Rhin inférieur,
lorsqu’une tribu tudesque, nommée les Tongres, se présenta sur le
Rhin avec l’intention de le passer et de s établir sur la rive gauche.
Cette tribu éprouva de la résistance de la part des Gaulois et des
Romains. Mais les Teutiskes, comme en général les peuples demi-
barbares et énergiques de l’Antiquité, n’avaient pas «à habitude de
s’arrêter devant les premiers obstacles ou les premières résistances;
ils passaient outre toutes les fois qu’ils pensaient pouvoir
vaincre par la force. Toutes les fois donc qu ils n essayaient pas
de renverser les obstacles, c'est qu’alors la crainte les retenait.
Voilà pourquoi Tacite avait raison de dire (Germ., ch. 1) que les
Germains, les Sarmates et Tes Dâkes rTétaient séparés les uns des
autres que par une crainte réciproque (mutuo metu). Les Gaulois de
la rive gauche, qui refusèrent le passage aux Tongres, étaient puissants
par eux-mêmes (Validiorés olim Gallorum res fuisse summus
auctorum D. Julius tradit. Tacit., Germ., 28). Ils étaient d ailleuis
soutenus par la population romaine qui était encore moins favorable
aux Teutiskes que les Gaulois dont quelques-uns étaient à moitié
de leur sang, tels que les Trévirs et les Nervies. En présence
de cette résistance gallo-romaine, les Tongres n’osèrent pas recourir
à la force. Les Teutiskes, bien qu’ils ne fussent pas une race
astucieuse (Gens won astuta nec callida. Germ., 22) procédaient
cependant, dans les cas difficiles, selon l’usage des barbares, non
seulement avec prudence, mais encore avec ruse. Ne pouvant pas
forcer le passage du Rhin, les Tongres imaginèrent de se faire admettre
paisiblement sur la rive gauche, ën invoquant à cet effet les
liens et les droits de parenté qui les unissaient aux Gaulois. Ils rappelèrent
que les Teutiskes s’étaient mêlés de tout temps avec des
tribus keltes, et que notamment les Trévirs et les Nervies, par
suite de cette alliance, étaient leürs frères. Or,-dans l’Antiquité,
et principalement chez les peuples d’origine scythe, la qualité de
frère impliquait moins des sentiments d'affection que des devoirs de
protection (v. § 70). Le nom de frère (sansc. bhratr; lat. frater;
goth. brothar) signifiait proprement souteneur, et indiquait que le
frère avait l’obligation de soutenir, de défendre et de protéger celui
qui avait la même mère, ou qui était sorti du même germe1 que
lui. Aussi les Tongres, s’appuyant plutôt sur leurs prétendus droits
de frères que sur leurs sentiments fraternels, disaient-ils aux Romains,
pour briser leur résistance, non pas qu’ils étaient les fra-
tres, mais qu’ils étaient les Germani des Gaulois. Cet appel fait à la
parenté, à la communauté du sang, paraît avoir touché les Gaulois,
de telle sorte qu’ils permirent aux Tongres, malgré l’opposition des
Romains, de passer le Rhin et de s’établir sur la rive gauche, là où
cette tribu habitait encore du temps de Tacite. Mais ces Tongres
vinrent en si grand nombre, que, semblables au hérisson de la
fable qui expulsa du terrier le mulot qui l’y avait reçu, ils éconduisirent
tout paisiblement du canton la population romaine et gauloise.
Aussi les Romains, refoulés de la sorte, donnèrent-ils d’abord
ironiquement le nom de Germani (Frères) à toutes les tribus teutiskes
qui, comme les Tongres, se présentèrent sur la rive droite du
Rhin ; dans la suite, ce nom de Germani ayant été appliqué aux Teuliskes,
sans qu’on en connût toujours la signification, les Romains
substituèrent aussi le nom de Germania (Pays des Germains) à l’ancien
nom grec de Keltikè.
Comparé aux noms de tribus, tels que ceux de Marsi, de Gatnbri-
1 Le mot latin germen se rattache sans doute au même thème dont dérivent le
mot sanscrit garbhas (réceptacle, matrice), le grec karpos (réceptacle de noyau,
fruit) et le grec delphus (matrice). Le latin germânus (issu du même germe, de la
meme matrice) correspond au sanscrit sa-garbhas (ayant la même matrice ou
mere) et au grec a-delplios (ayant la même mère).