
8c enveloppent de leur fcience fifcale des contribuables
ignorans , inhabiles à connoître fi on les
trompe, mais qui le foupçonnent ou le craignent
fans cefle. Si ces diverfes fervitudes peuvent un
jour être tempérées; fi d’un pareil chaos il peut
enfin fortir un fyftême fimple 8c régulier d’impofi-
tion , on ne peut l’efpérer, à travers les1 obftacles
de l’habitude, qu’à l ’aide des adminiftrations provinciales
, qui en propoferoient fucceflîvement les
moyens & qui en faciliteroient, l’exécution.
En même tems ce qui convient à chaque province
en particulier feroit mieux connu.
La France , compofée de vingt-quatre millions,
d’habitans répandus fur des fols différens, & fourni
fe à diverfes coutumes, ne peut pas être aflii-
jettie au même genre d’impofitions. Ici la rareté-
exceflive du numéraire peut obliger à commander
la corvée en nature ; ailleurs une multitude de cir-
conftances invitent à la convertir en contribution
pécuniaire : ici la gabelle eft fupportable ; là, des
troupeaux qui compofent la fortune des habitans,
font de la cherté du fel un véritable fléau : ic i, où
tous les revenus font en fonds de terre , l’on
peut confondre la capitation avec la taille ou les
vingtièmes ; ailleurs , de grandes richefles mobi-
Jiaires & l ’inégalité de leur diftribution .invitent à
féparer ces divers impôts : ici l’impôt territorial
peut être fixe & immuable ; là, tout eft vignoble,
8c tellement fournis à des révolutions, que fi l’impôt
n’eft pas un peu flexible, il fera trop rigoureux :
i c i , les impôts fur les confommations font préférables
; ailleurs, le voifinage de l’étranger les rend
illufoires 8c difficile^ à maintenir.
Enfin par-tout, en même tems que la raifon commande
, l’habitude 8c le préjugé font exiftans. Cependant
c’ell i’impoflîbilité de pourvoir à toutes ces
diverfités par des loix générales, qui oblige d’y fup-
pléer par l’adminiflration la plus compliquée ; 8c
comme la force morale 8c phyfique d’un miniftre des
finances ne fauroit fuffire à cette tâche immenfe 8c à
de fi juftes fujets d’attention, il arrive néceflairement
que c’eft du fond des bureaux que la France eft gouvernée
; 8c félon qu’ils font plus ou moins inftruits,
plus ou moins purs, plus ou moins vigilans, les
embarras du miniftre 8c les plaintes des provinces
s’y accroiflent ou diminuent.
En ramenant à Paris tous les fils de l’adminiftration
, il fe trouve que c’eft dans le lieu, où l’on
ne fait que par des rapports éloignés, où l’on ne
croit qu’à ceux d’un feul homme, 8c où l’on n’a
jamais le tems d’approfondir , qu’on eft obligé de
diriger 8c difeuter toutes les parties de l’exécution
appartenant à cinq cents millions d’impofitions fub-
divifées de plufieurs maniérés par les formes , les
efpeces 8c les ufages. Quelle différence entre la fatigue
impuiflànte d’une telle adminiftration, 8c le
repos 8c la confiance que pourroit donner une ad-
nainiftration provinciale, fagement compofée ! Audi
n’eft-il aucun miniftre fage qui n’eût dû defirer un
pareil changement, fi, trompé par une faufle apparence
d’autorité, il n’eût imaginé qu’il augmentoîc
fon pouvoir en rapportant tout à un intendant qui
prenoit fes ordres, tandis que les Contrôleurs Généraux
auroient dû fentir qu’en ramenant à eux une
multitude d’affaires au-deflus de l’attention, des
forces 8c de la mefure du tems d’un feul homme, ce
ne font plus eux qui gouvernent, ce font leurs
commis.
Mais ces mêmes commis, ravis de leur influence^
ne manquent jamais de perfuader au miniftre qu’il
ne peut fe détacher de commander un feul détail ,
qu’il ne peut laifler une feule volonté libre pour
renoncer à fes prérogatives 8c diminuer fa confif-
tance ; comme fi l’établiflement de l’ordre 8c fon:
maintien par les mefures les plus fimples, ne doivent
pas être le feul but de tpus les. adminiftrateurs rai^-
fonnables.
On apperçoit aifément qu’qn peut modifier ftess
détails du plan qui femblera préférable, de differentes
maniérés, 8c remplir le but qu’on fe propofe*
Un fage équilibre entre les trois ordres , foit qu’ils
foient féparés ou qu’ils foient confondus ; un nombre
de repréfentans qui, fans embarrafler,.foit fuffi-t
fant pour avoir une garantie du voeu de la province
; des réglés fimples de comptabilité ; l’admi-
niftration la plus économe, les aflemblées générales
auflï éloignées que l’entretien du zele 8c de la confiance
peut le permettre ; l ’obligation de foumettre
toutes les délibérations à l’approbation du confeil
qclairé par le commiflaire départi ; lrengagemenc
de payer la même fournie d’impofition verfée aujourd’hui
au tréfor royal ; le fimple pouvoir de faire
des o-bfervations en cas de demandes nouvelles, de
maniéré que la volonté du roi fût toujours éclairée
8c jamais arrêtée ; enfin le mot de don gratuit abfo-
lument interdit, 8c celui de pays d’adminiftration
fubrogé à celui de pays, d’états ; afin que la ref-
femblance des noms n’entraînât jamais des prétentions
femblables : voilà en abrégé l’idée des conditions
eflentielles.
Il eft aifé de les remplir en raflemblanr diverfes
opinions 8c les lumières que peuvent donner la réflexion
8c l’expérience, fur-tout lorfque l ’on n’eft
gêné par aucune convention intérieure, 8c que de
la part du fouverain tout devient conceflion 8c bien-,
faifance.
J’ajouterai encore comme une condition eflen-
tielle , que quelque perfection, qu’on crût avoir
donnée à cette inftitutioil nouvelle, il ne faudroit
annoncer fa durée que pour un tems, fauf à la confirmer
-enfuite pour un nouveau terme , 8c ainfi de
fuite ,. auffi long-tems que votre majeflé le jugeroit
à propos ; de maniéré qu’après avoir pris tous les
foins néceflaires pour former un bon ouvrage ,
votre majefté eût encore conftamment dans fa main
le moyen de le iupprimer ou de le maintenir.
Avec une femblable prudence, quel inconvénient
pourroit-on craindre, 8cque de bien au contraire
ne doit-on pas attendre d’une pareille expérience ?
Déjà j ’ai indiqué une partie des avantages attachés.
% ce nouvel ordre d’adminiftration, il en eft beaucoup
d’autres que j’omets ; c’en feroit un que de
^multiplier les moyens de crédit en procurant à
d’autres provinces la faculté d’emprunter ; c’en
feroit un plus grand que d’attacher davantage les
propriétaires dans leurs provinces, en leur y ménageant
quelqu’occupation publique dont ils fe
cruflerit honorés : cette petite part à l’adminiftra-
tion , releveroit le patriotifme abattu 8c porteroit
vers .le bien de l’état une réunion de lumières 8c
d’aélivité dont on éprouveroit le plus grand effet;
c’en\feroit un eflentfel encore que d’infpirer à
chaque ordre de la fociété une confiance plus di-
redle dans la juftice 8c la bonté du monarque ; c’eft
c,e qu’on éprouve dans les pays d’état: au lieu que
dans une généralité d’éleélion où un intendant
paroît bien plus un vice-roi qu’un lien entre le
fouverain 8c les fujets, on eft entraîné à porter fes
regards 8c fes efpérances vers les parleméns , qui
deviennent ainfi dans l’opinion les protecteurs du
peuple.
Enfin, comme il eft généralement connu que l’ad-
miniftration des pays d’éleétion 8c la forme actuelle
des importions infpirent aux étrangers une forte
du frayeur plus ou moins fondée, tout projet d’amélioration
attireroit en France de nouveaux habitans,
8c deviendroit fous ce rapport feul une nouvelle
fource de richefles. : -
Il eft tems d’examiner les raifonnemens qu’on
peut oppofer aux opinions que nous venons de
développer. Ne dira-t-on point d’abord que c’eft
diminuer l’autorité que de confier la répartition
des impôts à une adminiftration municipale ? Il eft
aifé, ce me femble, de lever un pareil dpute.
L ’autorité royale repofe fur des bafes inaltérables,
8c ne confîfte point à fe montrer dans tous
les détails ; elle exifte également 8c même dans un
plus grand éclat, lorfque par un arrangement fage,
8c par une première impulfion dont ellé fait maintenir
les effets, elle fe difpenfe d’agir fans cefle.
C ’eft: le pouvoir d’impofer qui conftitue effentiel-
lement la grandeur fou veraine,; mais la répartition
des impôts 8c tant d’autres parties d’exécution ne
font que des émanations de la confiance du monarque:
n’importe en quelles mains il ait dépofé
cette confiance ; feulement ceux de fes fujets qui :
peuvent le mieux y répondre, rappellent davantage
aux peuples la furveillance d’un bon roi.
Cette confufion continuelle entre l’exercice journalier
8c l’autorité même,eft une fource d’incon-
véniens ; 8c. le grand art de tous les adminiftrateurs
fubalternes eft d’entretenir cette confufion : car ils
voudroient que le refpedt à leurs commandemens
les plus arbitraires, fût un des plus grands intérêt^
de la royauté : mais à combien d’embarras ce fyftême
n’entraîne-t-il pas l’adminiftratioîi ? Un mi.-
niftre furchargé de détails, auxquels il ne peut faire
une longue -attention fans arrêter la marche tdes
affaires , cloit néceflairement être entraîné rapider
firent par les rapports qui lui foitf faits ; il ordoiyie,
il permet, il approuve fans, un' examen fuffifant;
l ’autorité engagée , on veut la foutenir , 8c on le
fait d’autant plus facilement, que dans les premiers
momens d’oppofition on efpere qu’avec un arrêt
du confeil on terminera tout : mais la réfiftance, la
réunion des corps fe forment 8c entraînent à des
difficultés férieufes. On trouve alors que les difpo-
fîtioris que l ’on vouloir maintenir , ne font plus
d’une importance proportionnée à la peine 8c au
bruit qu’occafionnent des aéles répétés d’autorité
on temporife, on héfîte, on foiblit, 8c le miniftre
lui-même, qui peut avoir pafle le but en commençant
, mais qui craint d’expofer fa propre fiabilité ,
eft le premier à confeiller la condefcendance.
Je ne dis pas qu’il faille tout foutenir, puifque
ce feroit prendre des engagemens , &c caufer bien
des méprifes ; mais pour éviter de compromettre fi
fouvent l’autorité, il ne faudroit pas être jaloux de
l’exercer fans cefle : on s’épuife à la déployer inutilement
, 8c l’on manque de force'dans les occa-
fîons où il eft important de la maintenir.
Toutes les difcuflïons avec les parlemens 8c lefc
cours des aides pour les vingtièmes 8c la capitation,
la taille 8c les corvées, cefl’eroient par l’effet d’une
adminiftration differente. Eh, que fait au roi, que
fait à fa grandeur, qu’un commiflaire départi ,
qu’un fubdélégué ou un colleâeur répartiuènt en
fon nom les diverfes contributions ï Dès qu’une
fois la quantité en eft déterminée, quand les impôts
font au comble, les meilleurs miniftres des finances,
fécondés des intendans les plus habiles 8c les mieux
intentionnés, ne fauroient prévenir les plaintes 8c
les murmures. Comment peut-on aimer la gloire
du ro i, 8c, s’il m’eft permis de le dire , comment
peut-on jouir de fon bonheur 8c defirer qu’il foit
par-tout ordonnateur 8c garant des détails les plus
durs 8c les plus rigoureux ? comment peut-on fe 1
plaire à faire bruit de fes ordres pour mettre gar-
nifon chez un contribuable, pour vendrefes meubles
8c même fon grabat? Si de trilles contraintes ne
peuvent être évitées fous aucune efpece d’adminiftration
, ne feroit-il pas trop heureux qu’elles
fe fiffent fur le commandement des repréfentans dé
la province, 8c quelenom de votre majeflé toujours
chéri, ne fût entendu que pour la commifération
8c la clémence ; qu’intermédiaire entre fes états
8c fes peuples , fon autorité ne parût que pour
marquer les limites entre la rigueur 8c la juftice ?
Ce n’efl pas feulement au coeurfenfible de votre
majefté que je préfente ces confédérations , c’efl:
encore au maître du royaume , c’eft au fouverain
d’une nation vive 8c éclairée , où l’amour 8c la
confiance rendront toujours l’exercice de Fautorjté
plus facile.
On prétendra peut-être encore qu’en établiflanc
une adminiftration provinciale, fous quelque forme
que ce fût, ce feroit diminuer les reflources de la
finance 8c mettre des bornes à la faculté d’impofer.
On établiroit pour première condition , que le
nouveau pays d’adroiniftration paieroit préçifémeni