
Il eft évident que ces manoeuvres ne peuvent
fe pratiquer , fans que le contrebandier ait fur
la frontière une porte ouverte qui facilité fon
introduction. Cette frontière n’étant gardée que
par des brigades de limples employés , qui ont
au plus trois cents ou trois cents cinquante l i vres
d’appointemens ; comment efpérer qu’ils réliftent
à l’appât de gagner en un feul jour une
année de leurs falaires ? La vigilance des fupé-
rieurs s’épuife en vain pour les contenir dans le
devoir ; la confcience eft fourde quand le befoin
prelie. D ’ailleurs des malheureux gardes , tirés
de la derniere d'aile du peuple, peuvent-ils avoir
la délicateffe & les fcrupules que donne une ame
élevée , & les principes, de conduite que l’on
puife dans une bonne éducation ?
La contrebande qui fe fait aux frontières eft
donc un mal inhérent à l’état des chofes, Ôc auquel
on ne peut appliquer de remede , que par
une réforme dont la dépenfe égaleroit peut-être
la valeur de ce commerce illicite.
Nous ne pouvons mieux terminer cet article,
que par donner l'état des marchandifes de contrebande
, en rappeilant le titre qui a prononcé
leur prohibition , foit à l’entrée , foit à la for-
tie , & après avoir parlé de la contrebande des
anciens.
Les Grecs ôc les Romains avoient, comme nous,
des marchandifes de contrebande , dont le commerce
étoit prohibé , foit entre les citoyens, foit
avec les étrangers.
A Athènes , ces marchandifes étoient le lin ,
les outres, le bois , la cire , la poix & les autres
matières propres à la conftruction des navires.
Chez les Romains , une loi des empereurs V a -
lens & Gratien défendait de porter, hors des limites
de l ’empire, du v in , de l’huile , du liquamen
; pas même pour en faire goûter aux étrangers.
C e liquamen ou garunt é to i t , félon Pline ,
un liquide d’un goût exquis , fait avec des entrailles
de poiftons.
Cette politique n'avoit pas pour ob jet, fuivant
les Commentateurs, la crainte de priver l’empire
de chofes néceflaires ; mais celle d’attirer en
Italie les étrangers qu’on qualifioit de barbares,
en leur donnant connoiflûnce des chofes délicieu-
fes qu’elle produifoit ; crainte fondée fur l’exemple
des Senonois, qui, félon T ite -L iv e , n’étoient I
venus en Iralie que pour avoir le plaifir de
boire du vin.
Il étoit également défendu à tous particuliers,
fous des peines capitales, de vendre des armes
aux étrangers, de la pourpre violette ou autre ,
foit en foie , foit en laine.
D e même à l’importation , il n’étoit permis
qu’au feul fur-intendant ou comte du commerce ,
de faire venir de la foie, dont la livre yaloit
alors y félon Vopifcus, une livre d’or, J
Etat alphabétique des marchandifes de contrebande
a l entree du royaume»
Bazin s à fleurs, foit ray é s , foit de coton teints*
Décifîon du confeil du 20 février 173p.
Boutons d étoffes , de crin , ou faits au métier*
Ordre du roi du i y mai 1735.
Boutons de métal , ou de cuivre poli ou doré.
Arrêt du 22 juillet 174p.
Café autre que celui des colonies ou du Levant.
Déclaration du roi du 17 janvier 1730.
Cartes à jouer. Arrêt du 26 oélobre 1747.
Draps contrefaits de la largeur d’une aune un-
huit. Arrêt du 8 novembre 1687.
Droguets faits de fils teints ou peints. Arrêt du
22 novembre 1 68p.
Etoffes de foie de toute efpèce , tant des Indes
que du Levant. Edit du mois d’odobre 1726.
Gaze de foie découpée comme étoffe de foie écrue.
Ordre du confeil du y août 1770.
Glaces de miroir. Par fuite du privilège exclufif
de la manufacture des glaces, établie à Paris.
Lettres-patentes des 25 oCtobre 1702 , Ôc 12,
oétobre I7yy.
Habits faits de toute forte, à l’exception de ceux
qui font portés par les voyageurs. Ordre du
confeil du 2p juin 172p.
Maniquette , ou cardamome en poudre. Arrêt du
22 feptembre 1722.
Manchettes brodées , de Saxe, & toute broderie
fur mouffeline. Ordre du confeil du 3 feptembre
1746.
Mouffelines , excepté celles qui proviennent de
la compagnie des Indes. Arrêt du 30 juillet
1748, ôc 7 feptembre 1764.
Points de V en ife , forte de dentelle. Ordonnance
des fermes de 1687, titre V I I I , article '7.
Poivre ôc maniquette en poudre. A rrêt du 2Z
feptembre 1722.
Quina faux , ou quinquina femelle. A rrêt du 1 z
mars 1737.
Rhap.onric , racine qui reffemble à la rhubarbe ,
ôc qui s’eft vendue pour cette plante. Arrêt
du premier avril 1732.
Salicot, ou cendre de Varech. A rrêt du 30 feptembre
1743.
Sardines de pêche étrangère. Arrêts des 18 novembre
1720, & 24 août 1748.
Sel étranger, ou même de France qui vient du
pays étranger. Ordonnance des gabelles Ôc arrêt
du 12 feptembre 1721.
Serges peintes en fleur, ou imprimées. Ordre du
confeil du 13 mars 173p.
Toiles de fil teint ou peint, toute étoffe de fil
rayée de couleur. A r rê t des 25 mars[i742, ÔC
24 mars 1744.
On voit par ce détail, que parmi ces marchandifes
, les unes font réputées de contrebande, pour
conferver dans le royaume une main-d’oeuvre , propre
à y exercer l’induftrie ; les autres pour maintenir
un privilège exclufif; quelques-unes dans la'
vue de prévenir les tromperies qu’elles poudroient
favorifer ; quelques autres comme les points de
Venife pouvoient être dangereufes , dans un teins
où nos fabriques de dentelles étoient au berceau,
ôc qu’il les falloit défendre de cette concurrence ;
mais aujourd’hui qu’elles font portées à un degré
de perfection qui ne leur laiffe rien craindre à
cet égard, il femble que l’admiffion .des points
de Venife feroit au moins indifférente.
Il fuit de-là auflï, que ce qui & contrebande
dans un tems , ceffe de l ’être dans un autre, fuivant
les cir confiances , à mefure qu’un gouvernement
s’éclaire davantage fur fes propres intérêts.
C ’eft ainfi que les marchandifes déclarées de
contrebande , par le titre 8 de l’ordonnance de
1 687, ne font plus les mêmes aujourd’hui.
Les marchandifes de contrebande à la fortie du
royaume, font en bien plus petit nombre que celles
dont l’entrée eft interdite.
Ce font les armes , inftrumens ÔC outils de
guerre , par la crainte fans doute que l’on en
fournît aux ennemis de l’é ta t , ôc pour empêcher
qu’i l n’en forte du moins que par des ordres du
gouvernement.
Sous le nom d’armes , on comprend les affûts
de canons, les balles, bandoulières, ceinturons,
cuiraffes , fafeines , grenades , hallebardes , poudre
à canon , falpêtre , faucilles , felles de
chevaux, ôc généralement tout ce qui fert dans
l ’artillerie, ôc à l ’équipement des troupes à pied
ÔC à cheval.
Les autres marchandifes de contrebande à la fortie
du royaume, font le bois de chauffage, de conftruction
Ôc de menuiferie ; ceux de ce dernier genre ,
quand ils font travaillés, rentrent dans la claffe
générale : le brai , le goudron ôc les réfines ,
comme matières néceffaires à la marine.
Le caftor en peaux ôc en poil , le chanvre ôc
le lin , le charbon de b o is , les chevaux.
L ’arrêt du 3 juin 1749 .a fait une exception
en faveur du Dauphiné , auquel il eft permis de
faire le commerce de chevaux avec la Savoie.
Les écorces d’arbre propres à faire le tan ,
ôc les feuilles de rufque ou myrthe fauvage, qui
fervent à la préparation des cuirs.
Les vieux fers comme éclats de bombes , vieux
boulets de canon, vieux canons, ôcc. Tous fils
gris écrus, ôc tous fils retors , s’ils ne font teints
ou blanchis tous vieux linges ôc chiffons propres
à faire du papier, ôc même les rognures de
peaux , les vieux gants qui fervent à faire de
la colle ; les métiers à faire des bas , les chardons
propres à peigner les étoffes de laine, ôc
tous les inftrumens qui fervent aux manufactures ;
les râpes , les lies ôc marcs de vin , comme propres
aux chapeliers}; les foies grezes ôc les foies teintes.
Le même titre 8 de l’ordonnance des cinq
groffes fermes déclaroit, article 3 , l ’or ôc l’argent
monnoyé, ôc non m o n n o y é le s pierreries,
marchandifes de contrebande à la fortie du royaume.
Cette interdiction a été levée lorfqu’on a eu allez
acquis de lumière Ôc d’ expérience, pour recon-
n oitre , qu’en interdifant toute fortie d’argent ,
c’étoit borner le commerce ôc l’induftrie d’une
nation ; puifqu’il peur fe faire , qu’en foldant fes
comptes en argent avec un é ta t , les marchandifes
qu’on en a reçues en faffent rentrer Je
double,. par la réexportation qui en a été faite.
On ne parle pas des grains ôc des farines,
parce que la légiflation à cet égard varie , fuivant
les circonftances de la difette ou de l ’abondance;
Ôc que quelquefois , quoique la prohibition foit
générale , l’exportation eft néanmoins permife momentanément
par quelques provinces.
Indépendamment des marchandifes de contre-
bande à l’entrée , dont on a donné l’ état , en
expliquant les motifs de leur prohibition , il en
eft d’autres encore qui ont été mifes au même
rang, par raifon de réciprocité. Ce font les marchandifes.
des trois royaumes d’Angleterre.. ,
d’Ecoffe ôc d’Irlande , fur lefqueües l’arrêt du 6
feptembre 1701 a établi une régie qui devenoit
nécéffaire , pour remédier au défavantage que
le commerce françois trou voit alors dans fes relations
avec l’Angleterre.
Les Anglois apportoient librement en France ,
non-feulement les marchandifes du crû d’Angleterre
; mais encore celles que l ’on y fabriquoit avec
des matières venues d’autres p ay s , ôc même des
marchandifes qui n’étoient, ni du crû , ni des fabriques
d’Angleterre, ôc qu’ils tiroient d’ailleurs.
Les François au contraire ne pouvoient porter
en Angleterre, que des marchandifes du crû
de France ; quelques-unes même éroient entièrement
prohibées , ou tellement chargées de droits
a l’entrée , qu’elles ne pouvoient s’y vendre qu’à
perte.
Les Anglois avoient en France la liberté de
décharger leurs marchandifes d’une même car-
gaifon en differens ports , de les y vendre par
eux-mêmes ; de refaire pareillement leurs cargai-
fons de retour en plufieurs ports ; ÔC d’y faire
par eux-mêmes les achats des marchandifes dont
ils avoient befoin.
En Angleterre , le fort des négocians François
étoit bien different. Ils n’avoient ni la l i berté
de négocier de port en port , ni celle de
vendre par eux-mêmes les marchandifes de leurs
cargaifons. Ils ne pouvoient pas non plus acheter
celles dont iis avoient befoin ; ils étoient
obligés , pour faire ces ventes ôc ces achats, de
fe fervir des courtiers des ports où ils abor-
doient.
Les Anglois , comme tous autres maîtres de
bâtimens étrangers, lorfqu’ils déchargeoient leurs
marchandifes dans les ports du royaume , ne
payoient que cinquante fols par tonneau , pou*
droit de fret.