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s’étoient permis de contracter. Cette chaîne d’op-
preflîdn s’eft prolongée. Elle doit lier nos derniers
neveux & s’appefantir fur tous les peuples Ôc fur
tous les lîéeles.
Ce font l’Angleterre , la Hollande & la France,
c ’eft-a-dire, les plus opulentes nations de l’Europe,
qui ont donné un fi mauvais exemple. Ces puif-
fances ont trouvé du crédit par la même raifon
que vous ne prêtez pas à l’homme qui vous demande
l’aumône , mais à celui dont le brillant
équipage vous éblouit.
L a confiance ell la mere du p rê t, & la confiance
naît d’elle-même à l ’afpeél d’un pays où la
richeffe du fol fe multiplie par l’aétivité d’un
peuple induftrieux, à la vue de ces ports renommés^
où fe réunifient toutes les productions de
l ’ univers.
Le fîte de ces trois états a auflï encouragé le
prêteur ; fon gage, ce ne font pas feulement les
revenus publics , mais encore les revenus particuliers
dans lefquels le fifc trouve au befoin fon
aliment ôc fes reflources.
Dans les contrées qui , comme l ’Allemagne,
font ouvertes de tous côtés, ôc n’ont ni barrières
ni défenfes naturelles, fi l ’ennemi qui peut y entrer
librement, vient à s’y établir, ou feulement
à y féjourner , auffi-tôt il leve à fon profit les
revenus publics, ôc s’applique même, par des contributions
, une partie des revenus particuliers.
; Q u ’arrive-1—il alors aux créanciers du gouvernement
? ce qui eft arrivé à ceux qui ont des
rentes dans les pays-bas Autrichiens, Ôc auxquels
il eft du plus de trente années d’arrérages.
Ave c l’Angleterre , avec la France ôc la Hollande,
toutes trois un peu plus ou un peu moins
à lab r i de l’invafion , il n’y a à redouter-que
les caufes d’épuifement dont l'effet eft plus lent,
& par conféquent plus éloigné.
L ’ufage du crédit public , quoique ruineux pour
tous les états , ne l’eft pas pour tous au même
point. Une nation qui a beaucoup de riches productions
, dont le revenu entier eft lib re , qui a
toujours refpeéïé fes engagemens , qui n’a pas
l ’ambition des conquêtes, qui fe gouverne elle-
même ; une telle nation trouvera de l’argent à
meilleur marché qu’ un empire dont le fol n’eft
pas abondant, qui eft furchargé de dettes, qui
entreprend au-delà de fes forces , qui a trompé
fes créanciers , qui gémit fous un gouvernement
arbitraire. Le prêteur qui di&era néceflairement
la lo i , en proportionnera toujours la rigueur aux
rifques qu’il lui faudra courir. Ainfi un peuple
dont les finances font en défordre , tombera rapidement
dans les derniers malheurs, par le crédit
public ; mais le gouvernement le mieux ordonné,
y trouvera aufli le terme de fa profpérité.
N ’eft-il pas utile aux états, difent quelques
arithméticiens politiques, d’appeller dans leur
fein l ’argent des autres nations, ôc les emprunts
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publics ne produifent-ils pas cet effet important ?
Oui fans doute , on attire les métaux des étrangers
par cette v o ie , comme on l’attireroit en
leur vendant une ou plufieurs provinces de l ’empire.
Peut-être même feroit-il moins déraisonnable
de leur livrer le fo l , que de cultiver uniquement
pour eux.
Si l'état n’empruntoit que de fes fûjets, on
ne livreront pas le revenu national à des étrangers
? non, mais la république énerveroit plufieurs
de fes membres, pour en engraifler un feul. Ne
faut-il pas augmenter les impofition's en raifon des
intérêts qu’il faut payer, des capitaux qu’il faut
rembourfer ? Les propriétaires des terres les cultivateurs
, tous les citoyens ne fe trouveront-ils
pas plus chargés que fi on leur eût demandé
dire&ement ôc tout d’un Coup les fommes empruntées
par le gouvernement ? Leur pofition eft
la même que s’ils euflent emprunté eux-mêmes ,
au lieu de faire des économies fur leurs dépenfes
ordinaires, pour fubyenir à une dépenfc accidentelle.
Mais les papiers publics qui réfultent des em*
prunts faits par le gouvernement , augmentent
la mafle des richefles circulantes , donnent une
grande extenfion aux affaires , facilitent toutes
les opérations. Hommes aveugles ! voulez-vous
voir tout le vice de votre politique ? pouflez-la
aufii.loin qu’elle peut aller ; faites emprunter par
l’ état tout ce qu’il peut emprunter ; accablez-le
d’intérêts à payer; mettez-Ie ainfi dans la nécef-
fîté de forcer tous les impôts : vous verrez qu’avec
vos richefles circulantes, bientôt vous n’aurez
plus de richefles renaiflantes , pour vos confom-
mations ôc pour le commerce.
L ’argent ôc les papiers qui le repréfentent,
ne circulent pas d’eux-mêmes, ÔC fans les mobiles
qui les mettent en mouvement. Tous ces
differens lignes ne figurent qu’à raifon des ventes
ôc des achats qui fe font. Couvrez d’or fi Vous
voulez l’Europe entière ; fi elle n’a point de mar-
chandifes dans le commerce, cet or fera fans activité.
Multipliez feulement les effets commerça-
bles , ôc ne vous embarraflez pas des lignes , la
confiance ôc la néceffité fauront bien les établir
fans vous. Gardez-vous , fur-tout, de vouloir les
multiplier par des moyens qui diminueroient néceflairement
la mafle de vos productions renaifr
fantes.
L ’ufage du crédit pub lic , dit - on , met une
puiflance en état de faire la loi aux autres puif*
lances. Ne verra-t-on jamais que cette reffource
eft commune à toutes les nations ? Si c’eft une
efpèce de grand chemin que vous puiffiez fuivre
pour aller à votre ennemi , ne poürra-t-il pas
aufli s’en fervir pour venir à vous ? Le crédit
de deux peuples ne fera-t-il pas proportionné à
leurs richefles refpeétives , ôc ne fe trouveront-
ils pas ruinés, fans avoir eu l ’un fur l’autre d’au-
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très avantages que ceux dont ils jouifloient indé*
pendajnment de' tout emprunt ?
Quand je vois des Monarques ôc des Empires
fe battre ôc s’acharner les uns fur les autres , au
milieu de leurs dettes, de leurs fonds publics ôc
de leurs revenus engagés ,, il me femble , dit
M. Hume , voir des gens qui fe, battent au bâton,
dans là 'boutique d*un marchand; de porcelaines.
Tout état, qui ne fera pas. détourné, <ie .la voie
l'uineüfe dçs emprunts par les confédérations qui
viennent d’être expofees, creufera lui-meme la
tombe. La facilité d’avoir beaucoup d’argent à la
fo is , jettera un gouvernement dans toutes fortes
d’entreprifes injuftes , téméraires , difpendieufes,
lui fera hypothéquer l ’avenir pour le. préfent,
ôc jouer le préfent contre l’ avenir. U n emprunt
en attirera un autre ; ôc pour accélérer le dern
ie r , on grofiira de plus en plus l’intérêt.
Ce défordre fera pafler le fruit du travail dans
quelques mains oifives. La facilité de jouir fans
rien faire, attirera tous les gens riches , tous
les hommes v ic ieu x , tous les intrigans dans une
capitale, avec un cortège de valets dérobés à
la charrue , des fujets de tout fexe voués au luxe ;
inftrumens, viétimes ôc jouets de la mollefle ÔC des
voluptés.
L a féduétion des dettes publiques fe communiquera
de plus en plus. Dè s qu’on peut moif-
fonner fans labourer , tout le monde fe jette dans
cette efpèce de négoce qui eft tout à-la-fois lucratif
ôc facile. Les propriétairés ôc les négocians
veulent devenir rentiers. On change fon argent
en papiers d’ états , parce que c’eft le ligne le
plus p orta tif, le moins fujet à l’altération du
tems, à l’injure des faifons, ÔC à l’avidité des
iraitans. L ’agriculture, le commerce ôc l’induf-
trie , fouffrent de la préférence qu’on donne au
ligne fur les chofes. Comme l’état dépenfe toujours
mal ce qq’il a mal acquis , à mefure que fes dettes
s’accumulent, il augmente les impôts pour payer
les intérêts.
Ainfi toutes les clafles aétives ôc fécondes de
la fociété, font dépouillées , épuifées par la clafle
parefleufe ôc ftérile des rentiers. L ’augmentation
des impôts fait haufler le prix des denrées , ôc
par-là celui de l’induftrie. Dès-lors la confom-
mation diminue, parce que l’exportation cefle auffi-
îôt que la marchandife eft trop chere pour fou-
tenir la concurrence. Les terres ôc les manufactures
languiflent également.
L ’impuiflance où fe trouve l’empire de faire
face à fes engagemens , le réduit à s’ en libérer
par la voie la plus deftruétive de la liberté des
citoyens ôc de la puiflance du fouverain , par la
banqueroute. Alors les édits d’emprunts font payés
en édits de réduction ; alors font trahis les fer-
mens du monarque ôc les droits des peuples ; alors
eft perdue fans retour la bafe de tous les gou-
vernemens, la confiance publique ; alors eft renverfée
la fortune de l ’homme riche., font fuf-
pendus les travaux, Ôc une multitude de bras
laborieux tombent c-n paralyfie. H. P. des D . I.
Un écrivain Anglois très-verfé dans Ja fcience
des affaires d’éta t, M. David Hume , parmi plufieurs
xiifcours politiques publiés en 17 5 4 , 2 v .
in - r z , en a donné un fur le crédit public , dans*
lequel il combat viélôrieufement M. Melon qui
a beaucoup vanté les avantages des banques Ôi
des papiers de crédit•
Si les abus des tréfors ramaffés par les fou-
verains , font dangéreux, foit en les engageant
dans des entreprifes téméraires j - ou - en faifanc
négliger - la difeipline militaire par ■ la: confiance
qu’on- a -dans les richeflës^ les àbus qui réfultent
des revenus publics engagés, font bien iplus- certains
, ou plutôt fqnt inévitables; ôc Ce, font la
pauvreté, l’impuiflance ô c .l’aflujettiflement à des
puiflances étrangères.
Dans la politique moderne1, la guerre eft Accompagnée
de tous les genres de deftrudtion', qui
font-la- perte dès homrries , r l ’augmentation 'des
impôts , la ruine du commër’c é , là diflipation de
l’argent , le pillage par terre ôc: par mérlr Suivant
la pratique des anciens , l’ouvértùrë du tréforpublic
, en produifant une abondance extraordinaire
d’argent , fervoit pour un tems d’encouragement
à l ’induftrie , ôc dédommageoit, en quelque forte 9
des calamités de la guerre.
On ne craint pas d’avancer aujourd’hui , que
les charges publiques font par elles-mêmes avan-
tageufes , indépendamment de la néceffité de les
contracter , ôc que tout état même, fans être preffe
par l’ennemi, ne peut choifir un expédient plus
fage, pour augmenter le commerce ôc multiplier
fes richefles, que de créer des fonds, des dette*
ôc des taxes fans bonnes.
. D e femblables difeours pourroient pafler pour
des épreuves d’efprit , pàrmi des rhétoriciens ,
comme les panégyriques de la folie ÔC de la fièvre ,
ou.ceux de Néron ôç de Bufiris, fi on n’avoit pas
vu. ces abfur.de> maximes préconifées , en Angleterre
, par de grands miniftres, ôc adoptées par
un parti tout entier. Quoique ces argumens frivoles
n’aient pu être le fondement de la conduite
du lord Orford, qui avoit trop de fens pour en
choifir un pareil,. fes partifans , du moins , y ont
eu recoins, pour fe défendre ôc éblouir la nation.
Examinons la conféquertce des dettes publiques ,
foit dans nos arrangera en s domefliques, par leur
influence fur le commerce ôc fur l’induftrie , foie
dans nos affaires avec les étrangers , par leurs
effets, fur les guerres ôc fur les négociations.
■ M. Hume, après avoir, établi qu’en effet les
dettes publiques peuvent contribuer à animer 3a
circulation Ôc le. commerce , en acçroiffant la clafle
des marchands , en les mettant à-portée d’entreprendre
davantage, de multiplier leurs profits, ea